Les Kurdes syriens changent de vecteur politique – Les moutons enragés


Par Thierry Bertrand pour Observateur continental

Le gouvernement de transition syrien a conclu un accord assez inattendu avec les formations armées kurdes concernant leur intégration dans les institutions de l’État. Cela s’est produit dans le cadre des efforts visant à unifier les différentes communautés du pays après une décennie de guerre civile et sur fond d’affrontements entre les forces gouvernementales et les Alaouites syriens, qui vivent de façon compacte dans les provinces de Lattaquié et Tartous. En s’unissant avec les nouvelles autorités syriennes, les Forces démocratiques syriennes (FDS) tentent d’éviter une guerre avec les Turcs. 

Le 10 mars 2025 à Damas, le commandant des FDS pro-américaines kurdes, Mazloum Abdi, et le chef du gouvernement de transition syrien, Ahmed al-Charaa, ont signé un accord sur l’intégration de toutes les structures politiques et organes militaires de la communauté kurde dans les institutions de la République arabe syrienne. 

L’accord affirme également que « la communauté kurde est une composante essentielle de l’État syrien », qui « garantit son droit à la citoyenneté et l’ensemble de ses droits constitutionnels », tout en rejetant « les appels à la division, les discours de haine et les tentatives de semer la discorde entre les différentes composantes de la société syrienne. » 

L’administration autonome kurde et les FDS intègrent « toutes les institutions civiles et militaires du nord-est de la Syrie au sein de l’administration de l’État syrien, y compris les postes-frontières, les aéroports ainsi que les champs pétroliers et gaziers ». Les parties garantissent leur coopération pour le retour des réfugiés et des personnes déplacées dans leurs lieux de résidence, en assurant leur sécurité. 

Les unités des FDS kurdes rejoindront les Forces de sécurité intérieure sous l’autorité du gouvernement de transition syrien et s’engagent à soutenir les nouvelles autorités syriennes « dans la lutte contre les partisans d’Assad et d’autres facteurs qui menacent l’unité et la sécurité de la Syrie ». 

Selon l’entente, cet accord doit être mis en œuvre « d’ici la fin de l’année 2025 ». 

Les parties partent du principe que la mise en œuvre de ce document nécessitera une longue concertation sur des dispositions spécifiques, l’élaboration de moyens et de formes d’unification des organes de gouvernance, des structures de sécurité, des entités économiques et administratives qui satisferont les signataires. Il faudra également du temps pour coordonner, élaborer et adopter de nouvelles lois, y compris une Constitution, qui prévoirait la place, les droits et les devoirs des représentants du peuple kurde dans l’État. 

L’actuel gouvernement du pays a manifesté au début une attitude hostile envers les FDS, exigeant d’elles début janvier 2025 qu’elles déposent les armes. Dans cette exigence, on sentait l’influence de la Turquie. Mais ensuite tout a changé, et l’initiative avec la proposition d’intégration des Kurdes syriens dans la structure étatique post-Assad venait d’eux-mêmes. Au début, cette initiative a été accueillie par les nouvelles autorités syriennes avec méfiance et incompréhension. Ainsi, al-Charaa, sous l’influence de la direction de l’opposition syrienne basée en Turquie, n’a pas invité les représentants des FDS à la Conférence du dialogue national qui s’est tenue à Damas les 24-25 février, à laquelle ont participé plus de 600 délégués de diverses organisations politiques opposées à l’ancien régime et provenant de toutes les régions de Syrie. Les Kurdes n’ont pas reconnu les résultats du forum, les ont critiqués et ont refusé d’appliquer les décisions prises à Damas. En réponse, ils ont mené le 27 février leur propre dialogue sur l’avenir du pays. 

Sur fond de désaccords apparus et intensifiés durant cette période avec les Druzes, une autre communauté ethnique, al-Charaa a été contraint de tenir compte des initiatives des Kurdes, qui maintiennent actuellement sous leur contrôle environ un quart de tout le territoire du pays, y compris les principaux gisements de pétrole et de gaz, ainsi que les ressources en eau. Il est probable que le nouveau gouvernement à Damas a subi une pression assez forte de la part des États-Unis, de l’Arabie saoudite et de l’Europe occidentale en faveur de la reconnaissance des Kurdes. 

L’ancien dirigeant de Hayat Tahrir al-Cham et du Front al-Nosra, désormais chef d’État, a dû tenir compte de la présence dans les formations des FDS de plus de 40.000 combattants et spécialistes militaires bien armés et formés. Al-Charaa a dû choisir entre la Turquie et les États-Unis avec l’Arabie saoudite comme partenaires. 

Les analystes occidentaux et moyen-orientaux ont accueilli l’accord des nouvelles autorités à Damas avec les Kurdes syriens de manière assez réservée, compte tenu de la situation qui reste extrêmement dynamique en République arabe syrienne et de l’influence déterminante de la Turquie sur le gouvernement d’al-Charaa. Le dénominateur commun de l’opinion des experts sur cette question peut se résumer au fait que les Kurdes ont fait un pas forcé face à la menace d’invasion de l’armée turque dans les provinces du nord de la Syrie depuis la fin de l’année dernière et d’une défaite totale résultant de l’opération transfrontalière d’Ankara. 

La mise en œuvre pratique de l’accord reste très incertaine, d’autant plus que le délai de son exécution, c’est-à-dire d’ici la fin de 2025, est vague et confirme ainsi indirectement ces doutes. Cela donne l’impression que les parties ne sont parvenues qu’à un règlement situationnel de relations complexes et à l’établissement d’un certain statu quo.

Thierry Bertrand

Voir :

L’Europe élabore des «centres de retour» pour les migrants illégaux

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