Comment les maires de Paris, Lyon (Rhône) et Marseille (Bouches-du-Rhône) seront-ils désignés aux prochaines municipales ? L’incertitude plane, alors qu’une proposition de loi portant un changement de mode de scrutin est sur la table, mais toujours pas adoptée. Elle vise à permettre une élection directe par les citoyen·nes des édiles de ces trois grandes villes. Depuis une loi adoptée en 1982, ceux-ci sont en effet choisis par des élu·es des mairies d’arrondissement (à Paris et Lyon) ou de secteur (à Marseille).
Le texte, qui promet un retour au droit commun et la restauration du « principe démocratique qui s’applique dans les 35 000 communes de France », pose un débat intéressant. Il paraît cependant mal emmanché, en raison du faible soutien gouvernemental et de la difficulté à nouer un consensus entre forces politiques, elles-mêmes parfois divisées entre les villes concernées.
Déposée depuis plusieurs mois à l’Assemblée nationale, la proposition de loi, dite « PLM », devait être examinée mercredi 12 mars par la commission des lois. Un calendrier chargé et, surtout, la persistance de points à éclaircir ont abouti au report de la discussion, qui aura finalement lieu le 2 avril en commission, puis le 7 en séance. Or le caractère tardif de cet examen fait partie des arguments mobilisés par les opposant·es au texte. $
Le député de Paris Sylvain Maillard, issu du camp présidentiel, qui porte le texte, garantit qu’il n’y a aucune fragilité juridique à cet égard et regrette qu’aucun « argument ne [lui] soit apporté sur le fond ». « Chaque voix devrait compter de la même manière, dans une circonscription unique qui soit celle de la ville, défend-il auprès de Mediapart. Faute de quoi, on le voit aujourd’hui, les maires privilégient les mairies d’arrondissement qui sont de leur couleur ou qui pourraient basculer en leur faveur. Un peu comme aux États-Unis, où l’attention se porte sur les “swing states” lors de l’élection présidentielle. »
La comparaison se retrouve dans le chapitre d’un ouvrage collectif publié il y a plus de vingt ans, sous la plume du politiste Bernard Dolez. « Toutes choses égales par ailleurs, a-t-il écrit dans Le Vote des villes (Presses de Sciences Po, 2002), les municipales de mars 2001 ont montré que la loi PLM avait les mêmes propriétés que le mode de scrutin présidentiel aux États-Unis. » Ces élections ont en effet permis d’observer deux effets dommageables de ce système indirect, dans lequel l’issue est très dépendante de la répartition géographique des suffrages.
Des difficultés techniques et des débats de fond
Premièrement, un camp politique peut l’emporter en étant majoritaire en sièges dans suffisamment d’arrondissements ou de secteurs, mais minoritaire en voix à l’échelle de la ville. Ce scénario, qui s’est produit dans les trois villes en 2001, s’était déjà vu à Marseille en 1983, au profit du socialiste Gaston Defferre – auteur, en tant que ministre de l’intérieur… de la loi PLM de 1982. Par définition, ce cas de figure est impossible dans les autres communes de France, où la liste qui rafle les sièges est forcément celle qui est en tête du second tour.
Deuxièmement, le scrutin peut se jouer à quelques voix dans un arrondissement ou un secteur décisif. Cela leur confère un plus grand poids qu’à d’autres et peut aussi mettre en position de « faiseuse de roi » une force ayant une implantation hyperlocale. C’est ce qu’il s’est produit à Marseille en 2020. Pour gouverner la ville, le Printemps marseillais a été dépendant de l’appui de Samia Ghali, élue dans les quartiers nord. Sans son appui postérieur au second tour, avec les sièges qu’elle détenait dans son secteur, la droite aurait pu prolonger son règne.
Permettre l’élection des maires de Paris, Lyon et Marseille au suffrage universel direct semble être une mesure de bon sens. Les forces historiquement les moins implantées localement, le Rassemblement national (RN) et La France insoumise (LFI), y sont favorables. C’est aussi le cas des socialistes marseillais, ainsi que le confirme le député Laurent Lhardit : « L’initiative vient du camp présidentiel et d’élus de droite de Paris, mais le principe du retour au droit commun nous convient. Depuis les années 1990, il a été défendu avec constance par l’opposition de gauche à Marseille. »
Des problèmes sont toutefois soulevés par des élu·es de tendances diverses, qui déplorent un texte mal ficelé, porté par des parlementaires dont ils soupçonnent les arrière-pensées électorales.
« Les macronistes, cingle Céline Hervieu, députée parisienne du Parti socialiste (PS), ont mis Lyon et Marseille dans la proposition parce que le contraire aurait été trop gros, mais ils ciblent bien la capitale, où ils ne font que perdre leurs élections et cherchent un moyen d’y améliorer leurs performances. » Selon elle, le principal défaut du texte serait de mettre fin à « la cohérence nécessaire entre les élus au conseil d’arrondissement et ceux du conseil de Paris ».
Puisqu’il y aurait deux urnes, l’une pour la mairie d’arrondissement et l’autre pour la mairie centrale, « des arrondissements pourraient ne pas être représentés au conseil de Paris et ce dernier pourrait ne plus avoir de droit de regard sur les politiques qui y sont menées », alerte-t-elle. « Ce lien organique est important, abonde Léa Balage El Mariki, députée écologiste à Paris, car les arrondissements ont des délégations de pouvoir, par exemple sur la propreté. » Même des élu·es parisien·nes du parti Les Républicains (LR) s’en sont ému·es.
À ce stade, Sylvain Maillard rétorque que « les maires d’arrondissement siègeront bien au Conseil de Paris ». Son autre problème concerne la ville de Lyon, où deux urnes sont déjà utilisées, puisque les Lyonnais·es sont les seul·es à élire au suffrage universel direct leur conseil métropolitain. C’est une condition nécessaire pour la bonne appropriation de cet échelon crucial d’action publique, mais sur place, personne ne veut se retrouver avec trois urnes à gérer lors des prochaines municipales. Ce point devrait être résolu d’ici début avril.
Reste enfin la question de la prime majoritaire pour composer les conseils à l’échelle des mairies centrales. Dans les arrondissements comme ailleurs en France, la liste arrivée en tête du second tour rafle la moitié des sièges et le reste est distribué à la proportionnelle. Dans sa version actuelle, la proposition de loi dispose que la liste gagnante n’obtiendrait que 25 % des sièges avant la répartition à la proportionnelle, afin que les oppositions soient mieux représentées. « Mais il n’y a pas de ligne rouge sur la question », précise Sylvain Maillard.
La question des intercommunalités
Si des résistances sont à attendre du côté de la droite, il y en a aussi curieusement de la part des Écologistes. « On est en train de créer une disposition particulière dans un texte censé faire rentrer ces villes dans le droit commun, explique Léa Balage El Mariki. En ce qui concerne les Écologistes, nous serions plutôt favorables à généraliser la prime de 25 % à toutes les communes de plus de 3 500 habitants. »
La réforme de la loi « PLM » fournit ainsi l’occasion de mettre en lumière les défauts du mode de scrutin ordinaire des municipales. Celui-ci tend à écraser la représentation des oppositions et donc le pluralisme. La faible culture de partage du pouvoir, pointée ces derniers temps au niveau national, s’enracine en réalité aussi dans les collectivités locales. Il s’agit cependant d’un vaste chantier sur lequel les opinions sont loin d’être alignées.
De la même façon, le problème posé par le cas lyonnais, dans le cadre de cette proposition de loi, révèle surtout que les élu·es des 1 200 autres intercommunalités du pays sont désigné·es presque « sans le savoir » par l’électorat. Grâce à la technique dite du « fléchage », celui-ci continue de ne déposer qu’un seul bulletin dans une seule urne, en ayant avant tout en tête l’espace communal. Alors que ce faisant, il désigne aussi des élu·es à un niveau de gouvernance encore plus décisif, mais mal connu.
« Le scrutin communautaire [est dissous] dans le scrutin municipal, regrettait Bernard Dolez dans une tribune récente. Pendant la campagne électorale, les enjeux intercommunaux sont occultés. Le président de l’intercommunalité est souvent élu au terme de transactions dont les enjeux échappent aux citoyens. Au terme de son mandat, il n’a aucun compte à rendre aux électeurs. » Selon le politiste, la proposition d’avoir des urnes séparées pour différents échelons territoriaux doit valoir sur l’ensemble du territoire, et pas seulement pour corriger les problèmes propres à Paris, Lyon et Marseille.
Que le texte dit « PLM » soit adopté ou échoue en cours de route, ce qui reste fort probable, il aura tout d’une occasion manquée. Traitant d’un vrai problème de fond, que personne ne s’était empressé de traiter jusque-là, il se sera concentré sur trois grandes villes seulement, alors que les lacunes de la démocratie locale méritent d’être corrigées sur l’ensemble du territoire.