Chercheur de révélation, par Lotfi Hadjiat



Enfant, j’eus une révélation. Autour de mes quatre ans. Une révélation sans paroles, sans mots. La terrible révélation que cette vie terrestre est périssable, et que s’y attacher est vain. Un désir d’impérissable germa alors dans les tréfonds de ma conscience naissante. Le désir se mua plus tard en quête. Une quête qui grandit et ne cessa jamais, au fil des ans, des décennies, toujours en proie aux questions sans réponse : jusqu’où va le périssable ?… Est-ce que tout est finalement périssable… Tout n’est-il condamné qu’à sombrer tôt ou tard ? Ou y a-t-il vraiment de l’impérissable ? Je crains que l’homme soit condamné à poser cette question cruciale sans jamais pouvoir y répondre par sa propre pensée. Le désir d’impérissable est venu à l’homme car tout ce qu’il percevait était périssable ; et ce désir forma l’idée de l’impérissable, l’idée d’un être impérissable, souverain. Mais ce n’est qu’une idée, qu’une hypothèse formée par l’homme dont nous ne savons pas si elle renvoie à quelque chose de réel ; et nous demeurons encore et toujours face à ce monde périssable. Même le soleil est périssable, comme toutes les étoiles. L’univers lui-même serait périssable… destiné à une mort thermique, selon le physicien Lord Kelvin. Big freeze ? Ou big crunch ?… Les théories passent et notre question cruciale reste cruellement sans réponse, jusqu’à admettre l’impuissance de notre pensée. On en vient alors à considérer que la seule réponse qui pourrait nous éclairer serait une révélation. De tous temps, de tous siècles, de tous millénaires, il y eut des hommes prétendant avoir reçu une révélation. Des poètes, des mystiques, des artistes inspirés… des escrocs aussi… Certaines révélations furent entendues, d’autres non. Des révélations firent des révolutions. Mais au fond, quelle révélation croire, ou ne pas croire ? Devons-nous nous méfier des révélations des autres ? Ne devons-nous nous fier qu’à nos propres révélations ? Et si nous n’en avons pas, devons-nous nous en remettre alors à la révélation qui a fait le plus grand nombre d’adeptes ?… nous en remettre par facilité au plus grand nombre, à la plus grande quantité ?…  ou persévérer plutôt dont la recherche si âpre de la qualité. Les chercheurs de vérité sont au fond d’eux-mêmes des chercheurs de révélation. Y a-t-il des lieux particuliers où nous sommes plus à même de recevoir une révélation ? Les hauteurs d’une montagne ? Le cœur d’une forêt ? La désolation d’un désert ? La musique d’une source d’eau… Et si la nature entière était une révélation à laquelle nous serions aveugles et sourds, si cette merveilleuse révélation nous était totalement confuse, comme dans un rêve. Nos rêves sont d’ailleurs tous des révélations auxquels nous ne comprenons rien ! Recevoir une révélation suppose que l’on n’y oppose aucune résistance. Or, notre volonté de continuer de vivre, de résister à la mort, est déjà une résistance, qui fonde toutes les autres… nos résistances à tout ce qui nous semble incohérent, et que l’on va plier, tordre, déformer selon notre propre cohérence, cohérence mentale héritée de notre cohérence physique… À ce propos, David Hume pensait par exemple que le fameux principe de cause à effet ne dérivait en fait que de nos habitudes perceptives, comme le pensait d’ailleurs le mystique Al-Ghazali plusieurs siècles avant lui. Ces habitudes perpétuent notre intégrité physique, notre résistance fondamentale à la mort. Dans cette vision empiriste, toute la rationalité dériverait ainsi de nos habitudes perceptives et donc de notre résistance fondamentale. Rationalité qui serait donc une résistance colossale à toute révélation. Est-ce à dire qu’il faut se défaire de toute rationalité pour recevoir une révélation… quitte à sombrer dans la folie… Est-ce à dire qu’il n’y a guère que les bébés qui peuvent recevoir des révélations… Il y a bien un chemin qui permet de déconstruire le rationalisme sans sombrer dans la folie, et ce chemin c’est la sainte philosophie, de Platon à Heidegger, en passant par Nietzsche et Husserl… le chemin de l’émancipation de l’esprit, chemin de l’affranchissement de ses entraves (qu’il avait parfois lui-même créé dans ses balbutiements). En considérant que le rationalisme, que la pensée logique est un ensemble de résistances sémantiques (résistance à tout ce qui nous semble incohérent), résistant à toute révélation, il ne s’agit pas non plus de briser toute pensée logique (au risque de la folie), mais de simplement de réduire ces résistances sémantiques, de les transformer vers un sens poétique, pour accueillir peut-être enfin ce à quoi nous résistions depuis toujours dans notre fatras de dogmes personnels, ou pas personnels. Il s’agit donc de passer d’une logique de résistance à une logique de conquête : conquérir ces résistances sémantiques jusqu’à s’en émanciper poétiquement. Conquête poétique, conquête amoureuse, conquête mystique. Jusqu’à la révélation, dont le sens nous serait enfin clair et profond. Toute révélation est poétique, elle cesse d’être révélation lorsqu’elle cesse d’être poétique. Il y a près de trois mille ans, le poème de Parménide n’était-il pas une conquête riche en révélations : « le char qui me porte » dans « une course impétueuse » à « la porte des chemins du jour et de la nuit »… Et la porte s’ouvrira, et « l’inengendré et impérissable » lui sera révélé, « l’universel, unique » et « sans fin ».

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