Réunions d’information, distribution de pièges, médiatisation… C’est le branle-bas de combat chez les apiculteurs et dans les collectivités locales. Avec l’arrivée du printemps et des températures plus clémentes, les reines de frelons à pattes jaunes (ou frelons asiatiques) sortent de leur hivernage. Alors, dans les villes et les campagnes, la lutte s’organise contre Vespa velutina, introduit involontairement en France il y a plus de 20 ans.
« La période recommandée pour installer les pièges s’étend du 15 février au 15 mai, parce que le pic de population des fondatrices est aux alentours de la mi-avril, explique Sophie Memeteau, vétérinaire chargée de mission au sein du réseau du Groupement de défense sanitaire (GDS) France. C’est lors de cette période que les reines construisent un premier nid, assez petit, pour pondre les larves des premières ouvrières. À partir de juin, la colonie part construire le nid secondaire, le plus visible, celui qu’on aperçoit tout en haut des arbres.
Des millions d’euros de pertes pour les apiculteurs
Sur les 20 % de mortalité des abeilles domestiques, la prédation des frelons jouerait un rôle important. La filière apicole évalue ses pertes à près de 12 millions d’euros par an. Face à cette hécatombe, le piégeage printanier des femelles reproductrices apparaît indispensable à nombre d’apiculteurs. Mais également aux particuliers et collectivités locales soucieux de ne pas être envahis durant l’été ou inquiets d’une possible attaque.
Pourtant, le piégeage ne doit se faire « ni n’importe comment ni n’importe où, au risque d’être contreproductif, insiste Sophie Memeteau. Le frelon est installé, on sait qu’on ne l’éradiquera plus. Maintenant, il faut pouvoir le piéger à la période où on sera le plus efficace. »
99 autres insectes tués pour 1 frelon attrapé
Le printemps est tout indiqué, mais poser des pièges en plein réveil des populations d’insectes présente un risque. Car la plupart des pièges ne sont pas assez sélectifs, avertit Quentin Rome, chargé de mission Frelon asiatique au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). « Nous avions repéré avec l’ITSAP [Institut de l’abeille] un piège qui nous semblait vraiment bon lors de nos premiers tests. Mais quand nous l’avons déployé l’année suivante à plus grande échelle, on s’est aperçu que parmi les insectes piégés, seulement 25 % étaient des frelons asiatiques. »
Les résultats seraient encore plus catastrophiques avec les autres systèmes, selon le scientifique, notamment les pièges fabriqués de façon artisanale à partir de simples bouteilles ou de bidons : les frelons à pattes jaunes ne représenteraient que 1 % des captures. Autrement dit, pour un frelon attrapé, ce sont 99 autres insectes qui périssent, dont de nombreux pollinisateurs et insectes auxiliaires.

Trois modèles sont cependant recommandés dans le cadre d’un plan national de lutte contre le frelon à pattes jaunes, initié en 2024 par le réseau GDS France et le réseau Fredon France [1] : le piège japonais, le piège coréen à ailes et le piège nasse à grilles Néoppi jaunes.
« On sait qu’ils ne sont pas sélectifs à 100 %, mais ce sont ceux qui le sont le plus aujourd’hui, à notre connaissance », dit Sophie Memeteau qui s’occupe du suivi de ce plan national volontaire. Ce dernier impose des pièges équipés de cônes d’entrée, « avec une séparation entre l’appât et la partie de captures afin de retenir les fondatrices et ouvrières en laissant échapper un maximum d’espèces non-cibles ». Il interdit en revanche le recours aux pièges artisanaux, de type bouteilles, et recommande un piégeage de deux mois maximum afin de limiter les dégâts sur les autres insectes.
Mais l’information a encore du mal à essaimer, déplore Sophie Memeteau. « Plein d’initiatives sont prises à droite et à gauche. Encore récemment, dans un reportage sur TF1 diffusé le 26 février, l’utilisation de pièges bouteille ou de pièges cloche était montrée sous un angle assez positif. Certes, ceux-ci sont très simples à fabriquer et ne coûtent pas cher, mais ils occasionnent beaucoup de dégâts chez l’entomofaune. » L’experte constate aussi que la lutte contre le frelon est devenue un lucratif marché avec de nombreux vendeurs qui démarchent les communes et autres collectivités.
Indemnisation des apiculteurs
Ces pratiques seront-elles bientôt mieux encadrées grâce à la loi « visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole », qui a été publiée le 15 mars au Journal officiel ? Ce texte a en tout cas pour objectif d’harmoniser les moyens utilisés dans cette lutte et de la rendre plus efficace.
Il acte notamment la création d’un plan national, décliné au niveau des départements, destiné à mieux coordonner les actions. « Il serait logique qu’il reprenne le plan déjà mis en place par GDS France et Fredon France, estime Sophie Memeteau, mais il faut désormais attendre le décret d’application. »
Pour la vétérinaire de GDS France, « l’avantage de la loi, c’est qu’elle va permettre de cadrer les choses. Parce que notre plan national n’a rien de réglementaire. On communique tout un tas de recommandations très pratiques, on fait plein de choses, mais une loi va fixer les choses beaucoup plus dans le dur. Pour les collectivités, ce sera aussi plus rassurant. »
« La loi va permettre de cadrer les choses »
La filière apicole a salué le texte dans un communiqué. « Ce texte répare un vide législatif qui a trop longtemps laissé les apiculteurs seuls face à cette crise dont les coûts devenaient exponentiels pour le monde apicole et les collectivités », a estimé Christian Pons, président de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf).
La loi prévoit pour la première fois la mise en place d’une indemnisation des pertes de ruchers attaqués — pour les exploitants apicoles uniquement. Et aussi, des financements pour l’information au public et la recherche scientifique.
Lors des débats parlementaires du 6 mars dernier, plusieurs députés ont cependant regretté que le texte n’oblige pas explicitement à utiliser en priorité des techniques respectueuses de l’environnement pour lutter contre le frelon. Par exemple, les aspirateurs à dos pour la destruction des nids ou encore l’installation de harpes électriques pour protéger l’entrée des ruches. Leurs amendements ont été rejetés.
« Le frelon asiatique constitue une menace pour les abeilles, mais le dérèglement climatique et l’épandage de produits toxiques encore plus », a tenu à rappeler la députée écologiste Marie Pochon.
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