Une bande-dessinée pour narrer la révolution animale ? C’est l’idée développée par Guillaume Meurice et Sandrine Deloffre dans La Révolte sans précédent, où l’humour vient au secours des animaux dans leur lutte contre l’oppression humaine. Rencontre.
Qu’ont en commun un raton-laveur, un renard, un chien, une vrai-fausse licorne ou encore un bonobo ? L’envie d’agir contre les destructions humaines au sein d’un Comité d’Action Radicale pour la Libération Animale (aka La MEUTE – non, les lettres ne correspondent pas du tout). Abandons, destructions de leur habitat, massacres, exploitations diverses et trop variées : les animaux n’en peuvent plus et ont bien prévu de le faire entendre, grâce à une lutte… pas très organisée.
Entretien avec Guillaume Meurice, co-créateur de La Révolte sans précédent avec Sandrine Deloffre, illustratrice, une bande-dessinée qui, par le rire, dénonce nos rapports de domination vis-à-vis du règne animal.

Mr Mondialisation : Comment l’idée d’une bande-dessinée et votre collaboration avec Sandrine Deloffre sont-elles nées ?
Guillaume Meurice : Avec Sandrine, nous nous connaissions déjà via les réseaux sociaux : chacun aimait le travail de l’autre. Quand j’ai reçu la proposition de Clotilde Palluat, des éditions Dargaud, de créer un projet commun, j’ai de suite accepté. Le courant avec Sandrine est très bien passé dès notre première rencontre, nous avons énormément ri et avons eu plein d’idées… dont celle des animaux qui se révoltent.
L’idée de la BD nous est venue assez vite, même si ça bousculait le projet initial de travailler uniquement pour les réseaux : Dargaud a accepté que l’on creuse plus loin et ils sont aujourd’hui heureux de nous avoir suivis. « La Révolte sans précédent » s’est déjà vendu à 30 000 exemplaires, et le tome 2 est en cours d’écriture ! Une décision assez naturelle car avec Sandrine, le travail d’écriture est facile, chacun fait rire l’autre, et nous nous retrouvons autour de cette thématique commune qu’est la cause animale.
« Le courant avec Sandrine est très bien passé dès notre première rencontre, nous avons énormément ri et avons eu plein d’idées… dont celle des animaux qui se révoltent. »
Mr Mondialisation : Le choix de l’humour et du côté BD est-il une manière d’essayer de ne pas prêcher uniquement les convaincus ?
Guillaume Meurice : Je ne me pose pas vraiment cette question dans le sens où je ne me sens pas militant ni prêcheur de quoi que ce soit. Je suis un clown et m’assume en tant que tel. Ici, l’idée était juste de faire rire autour d’une thématique importante, en y pointant l’absurdité.
Au-delà de la thématique, nous parlons aussi de la façon d’organiser une lutte : il y a les radicaux, les modérés, les traîtres… C’est un miroir de nos comportements, à travers les personnages des animaux. Je me concentre avant tout sur l’idée de faire des choses qui me plaisent et me font rire, je ne pense pas par cible. Le sujet de la cause animale est facilement moralisateur : nous voulions éviter de tomber dedans. « La Révolte sans précédent » n’est pas du tout dans le prêche, et c’est finalement sans doute le meilleur moyen de faire résonner le message.
Mr Mondialisation : D’où vous vient votre engagement pour les animaux ?
Guillaume Meurice : Il me vient de mon éducation : j’ai grandi à la campagne avec des parents écolo, entourés de chasseurs et d’agriculteurs. Ils tenaient la Maison de la presse du village, qui était lieu de nombreux débats ! Je me suis imprégné de ces questionnements sur l’écologie et notre rapport aux animaux, entourés de parents qui, à cette époque, passaient pour de joyeux hurluberlus (rires) ! J’ai également grandi avec la cueillette des champignons, le brame du cerf…
Mr Mondialisation : Comment cet engagement se manifeste-t-il au quotidien ?
Guillaume Meurice : Aujourd’hui, cet amour pour les animaux et la nature se concrétisent notamment par le biais de la photo animalière. J’aime accompagner des photographes passionnés par le vivant, comme dernièrement Adrien Favre. Je l’ai suivi par -10°C dans le Jura dans sa quête d’une vidéo autour du renard, pour tenter de le faire retirer de la liste des espèces nuisibles. C’était une expérience incroyable !
Je suis également proche de différentes associations, dans lesquelles j’ai la chance de croiser plein de gens engagés. Pour ma part, mes moyens d’action sont limités car je reste un clown, mais j’aime m’entourer de gens passionnés, qui sont souvent les plus passionnants. Je m’intéresse beaucoup aux rapports de domination, que j’ai du mal à comprendre. La manière dont nous maltraitons et massacrons les animaux m’a toujours questionné, car ils ne peuvent pas se défendre. Leur apporter un semblant de voix me paraît être la moindre des choses.
« le véganisme et la protection animale sont des thématiques dont on parle depuis peu, alors que ce n’était pas un sujet avant, à l’image de l’écologie. Il faudra plusieurs générations pour les choses changent. »
Mr Mondialisation : Faut-il dédramatiser la cause animale pour la faire entendre ?
Guillaume Meurice : J’essaie de me garder de dire ce qu’il faut faire. La colère est mobilisatrice, pose des questions et permet d’avancer. Je pense qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise méthode, je n’ai juste pas envie d’être un donneur de leçons. Je ne suis pas dans la provocation, je donne juste mon point de vue – ce qui n’empêche pas les gens d’entendre ce qu’ils veulent (rires).
Par exemple, quand tu dis que tu es végétarien autour d’une table et que tu ne veux que des frites, tu n’as rien fais mais tu vois les gens se sentir agressés. Il faut quand même être très fragile pour avoir peur des véganes (rires) ! Mais je suis lucide dans l’idée que ce sera long : à échelle humaine, le véganisme et la protection animale sont des thématiques dont on parle depuis peu, alors que ce n’était pas un sujet avant, à l’image de l’écologie. Il faudra plusieurs générations pour les choses changent.
Mr Mondialisation : Vous avez également préfacé récemment le livre Ça pousse où le jambon ?, de Richard Monvoisin. Une façon de toucher les plus jeunes ?
Guillaume Meurice : En 2023, j’ai écrit « Peut-on aimer les animaux et les manger ? » en y brassant tous les arguments que l’on peut entendre quand on est végétarien ou végane. En réalité, ces discussions récurrentes, Richard Monvoisin les a eues avec sa fille, et c’est ce qui a lancé l’idée du livre, que je suis très heureux d’avoir préfacé. Il a su soulever des questionnements enfantins que l’on entend trop souvent de la part d’adultes. Que ces questions soient posées par et pour les plus jeunes, en revanche, c’est très bien.

Mr Mondialisation : Comment vivez-vous le fait que la défense de la cause animale soit aussi clivante ? Elle est systématiquement associée à la gauche et, de ce fait, souvent conspuée par les mouvements de droite. Pourtant, la souffrance animale est universelle et la combattre devrait l’être tout autant…
Guillaume Meurice : C’est un sujet éminemment politique car il parle de rapports de domination, or ça n’a jamais gêné la droite ! C’est ancré dans leur idéologie de gagnant et de perdant – cette mythologie tenue, évidemment, par des gens qui ont gagné. En parallèle, pourquoi la gauche met-elle autant de temps à s’emparer de cette question ? Je peux comparer ça au féminisme, qui a dû attendre la lutte des classes et le droit de vote des femmes pour se faire entendre.
Malheureusement, les animaux ne font pas partie des débats… Quand je vois Fabien Roussel au Salon de l’agriculture, je me permets d’espérer qu’il reverra sa copie d’ici quelques années (rires). S’engager contre la souffrance animale, cela se concrétise souvent par la nécessité de devenir végane ou végétarien. Or le véganisme est un marqueur identitaire et par défaut politique. C’est très dur de le devenir et de réaliser qu’on a fait de mauvais choix pendant des années, tout en osant s’affirmer ainsi auprès de son entourage.

Mr Mondialisation : Qu’espérez-vous que devienne La Révolte sans précédent ? Connaissez-vous des exemples de bande-dessinées similaires et qui aient pu faire avancer le débat ?
Guillaume Meurice : J’aime beaucoup le travail d’Alessandra Pignocchi : à travers de très beaux dessins, il interroge en profondeur notre rapport aux animaux. J’apprécie également les livres de Maxime de Lisle sur le sujet des océans. Il existe sous l’eau un véritable carnage dont nous parlons bien trop peu…
Avec Sandrine, on espère surtout pouvoir poursuivre l’aventure : nous sommes suivis par gens complémentaires et leurs retours nous ont encouragés à continuer. C’est une très belle collaboration, elle est l’une des personnes qui me fait le plus rire. Elle est l’une de mes plus belles rencontres de ces dernières années. Vivement le tome 2 !
La Révolte sans précédent, de Guillaume Meurice et Sandrine Deloffre, 48 pages, octobre 2024, éditions Dargaud.
– Entretien réalisé par Renard Polaire
Image d’en-tête : Guillaume Meurice et Sandrine Deloffre ont associé leurs valeurs et leur humour autour d’une BD désopilante ©Rita Scaglia