“ L’Europe devra agir comme un seul État ”


Mario Draghi :

« Le Rapport, dans sa troisième partie, aborde les principales vulnérabilités auxquelles l’Union européenne est exposée et, parmi elles, la défense.

Il est nécessaire de définir une chaîne de commandement d’échelle supérieure qui puisse coordonner des armées hétérogènes par leur langue, leurs méthodes, leurs armements et qui puisse s’affranchir des priorités nationales en opérant comme un véritable système de défense continental.

D’un point de vue industriel et organisationnel, cela signifie favoriser les synergies industrielles européennes en concentrant les développements sur des plateformes militaires communes (avions, navires, véhicules terrestres, satellites), afin de permettre l’interopérabilité et de réduire la dispersion ainsi que les actuelles duplications dans les productions des États membres.

Ces dernières semaines, la Commission européenne a lancé un important plan d’investissements dans la défense de l’Europe.

Alors même que l’on prévoit de nouvelles ressources, il serait nécessaire que l’actuel marché public européen de la défense – environ 110 milliards d’euros en 2023 – soit concentré sur quelques plateformes de pointe, plutôt que sur une multitude de plateformes nationales, aucune réellement compétitive car essentiellement conçues pour leurs marchés domestiques.

L’effet de cette fragmentation est dévastateur : malgré des investissements globalement élevés, les pays européens achètent finalement une grande partie de leurs plateformes militaires aux États-Unis.

Entre 2020 et 2024, les États-Unis ont assuré 65 % des importations de systèmes de défense des États européens membres de l’OTAN.

Dans la même période, l’Italie a importé environ 30 % de ses équipements de défense des ÉtatsUnis.

Si l’Europe décidait de créer sa propre défense et d’augmenter ses investissements en dépassant l’actuelle fragmentation, plutôt que de recourir massivement aux importations, elle en retirerait sans aucun doute un plus grand bénéfice industriel, ainsi qu’un rapport plus équilibré avec l’allié atlantique, y compris sur le plan économique.

Cette grande transformation est en réalité indispensable, non seulement en raison des complexités géopolitiques actuelles, mais aussi à cause de l’évolution technologique extrêmement rapide, qui a complètement bouleversé le concept même de défense et de guerre.

Prenons l’exemple des drones : selon une estimation des forces armées ukrainiennes, depuis le début du conflit, environ 65 % des cibles touchées l’ont été par des aéronefs sans pilote. Mais ce ne sont pas uniquement les drones : l’intelligence artificielle, les données, la guerre électronique, l’espace et les satellites, ainsi que la cyber-guerre silencieuse, ont désormais un rôle fondamental sur et en dehors des champs de bataille.

La défense aujourd’hui ne se résume plus à l’armement, c’est aussi de la technologie numérique.

C’est le concept même de défense qui évolue vers une notion plus large de sécurité globale. La convergence entre les technologies militaires et les technologies numériques conduit à la synergie des différents systèmes de défense aérienne, maritime, terrestre et spatiale.

Il est donc nécessaire de se doter d’une stratégie continentale unifiée pour le cloud, le supercalcul, l’intelligence artificielle et la cybersécurité.

Cette évolution ne peut se faire qu’à l’échelle européenne. La défense commune de l’Europe devient ainsi un passage obligé pour exploiter au mieux les technologies qui devront garantir notre sécurité.

Même notre façon de mesurer l’investissement dans la défense, aujourd’hui basée uniquement sur les dépenses militaires, devra être revue pour inclure les investissements dans le numérique, l’espace et la cybersécurité, désormais essentiels à la défense de demain.

Pour tout cela, il est nécessaire d’engager un processus qui nous amènera à dépasser les modèles nationaux et à penser à l’échelle continentale. Tout cela concerne non seulement notre sécurité, mais aussi la place de l’Europe parmi les grandes puissances.

Les décisions auxquelles le Rapport appelle l’Europe sont aujourd’hui encore plus urgentes, alors que la nécessité de se défendre et de le faire vite est au cœur des préoccupations de la majorité des citoyens Européens. Une Europe qui croît pourra financer plus aisément des besoins désormais supérieurs aux prévisions du Rapport.

Une Europe qui réforme son marché des services et des capitaux verra le secteur privé participer à ce financement. Mais l’intervention de l’État restera nécessaire.

Les marges budgétaires étroites ne permettront pas à certains pays d’augmenter significativement leur déficit, et il est tout aussi inimaginable de réduire les dépenses sociales et de santé : ce serait non seulement une erreur politique, mais surtout un reniement de la solidarité qui fait partie de l’identité européenne, cette même identité que nous voulons défendre face à la menace des autocraties.

Le recours à la dette commune est la seule voie possible. Pour mettre en œuvre de nombreuses propositions contenues dans le Rapport, l’Europe devra agir comme un seul État.

Cela pourra signifier soit une plus grande centralisation des décisions et des capacités de dépense, soit une coordination plus rapide et plus efficace entre les pays qui, partageant des orientations communes, réussiront à atteindre les compromis nécessaires pour avancer ensemble.

À chaque étape de ce processus, les Parlements nationaux et le Parlement européen joueront un rôle essentiel. Les choix qui nous attendent sont d’une importance historique, peut-être comme jamais depuis la fondation de l’Union européenne.

La politique – et en particulier la politique intérieure de chaque État membre – en sera au cœur. Vous, députés, en serez les acteurs, en répondant, par vos décisions, aux aspirations mais aussi aux inquiétudes des citoyens.

C’est ainsi que nous construirons une Europe forte et cohésive, car chacun de ses États n’est fort que s’il est uni aux autres et s’il est cohérent en son sein.

Je vous remercie. »

Ainsi la menace russe, devenue terriblement prégnante (et non provoquée), au point où même l’assassin islamiste de Samuel Paty est soudainement devenu – si je puis dire – « un tchétchène russe aux ordres du Kremlin » dans toutes les bouches ressassant les éléments de langage de la propagande officielle, permet utilement de soutenir à la fois les intérêts des mêmes industriels (de la finance) qui ont tout fait pour aboutir à la guerre en Ukraine (et poussent pour son escalade), et l’agenda fédéraliste qui vise la destruction des États-nations, qui est me semble-t-il le seul cadre où puisse s’exercer (un ersatz de) la démocratie.

En outre, l’UE qui s’assume comme l’antagoniste des autocraties, s’assure désormais – pour notre bien – de mieux censurer les discours dérangeants et d’intimider ou de supprimer les plateformes qui les diffuseraient. On attend désormais avec impatience que l’Euro numérique dûment sécurisé puisse favoriser encore mieux tous les prélèvements à la source, et la marche au pas de l’ensemble des acteurs de l’économie.

Pour ce qui est des capacités de notre industrie, Mario Draghi parle bien du coût faramineux de l’énergie, mais – à l’instar de bon nombre de nos représentants – il n’évoque étrangement pas les conséquences concrètes de la mise à mort de Nord Stream par un mystérieux allié.

La revente du pétrole russe raffiné, via l’Inde et autres circuits pirates qui permettent, en transvasant les précieux fluides d’un navire à l’autre dans les eaux internationales, de continuer à acheminer jusqu’en Europe une bonne quantité d’énergies fossiles venues de Russie sous sanction, mais en masquant leur origine, ne permet-elle finalement pas un bénéfice très substantiel à ceux qui l’organisent ?

Qui, par exemple, se soucierait de 1300 emplois chez Michelin, franchement ? Michelin, contrairement aux boulangers, peut rester compétitif en vulcanisant ailleurs. L’Europe, qu’on n’en doute pas, s’assurera d’offrir autrement à ces quelques malheureux salariés un cadre idéal à leur épanouissement. Et puis le pain des boulangeries artisanales, c’est surcoté.

Une question qui me taraude ici (parmi d’autres) c’est : est-ce que c’est le totalitarisme qui conduit à la guerre, ou est-ce que c’est la guerre qui justifie le totalitarisme ?

Et vous : Qu’est-ce qui est au cœur de vos préoccupations ?

Discours intégral

Le Rapport Draghi (en anglais uniquement)





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