PFAS dans l’eau potable : « Les industriels doivent payer »


« On est dans une impasse totale. » Au téléphone, Mickaël Derangeon ne cache pas son désarroi. La raison ? La découverte d’un polluant éternel — le TFA, ou acide trifluoroacétique, un résidu de pesticides — dans l’immense majorité des captages d’eau de Loire-Atlantique. Résultat, les deux nouvelles usines de potabilisation de son syndicat, Atlantic’eau, n’ont pas été inaugurées fin 2024 comme prévu : « Elles ne sont pas capables de traiter le TFA », dit le vice-président du service public de l’eau.

Un cas loin d’être isolé. Depuis quelques années, autorités sanitaires et collectivités locales multiplient les analyses, traquant ces micropolluants éternels. Avec, régulièrement, de mauvaises surprises : « On découvre de nouvelles molécules dans l’eau, et on n’a pas toujours de solution, s’inquiète Mickaël Derangeon. On vit avec une épée de Damoclès. »

Car avec les PFAS, quand on cherche… On trouve. Et une fois le cadeau empoisonné déballé, difficile de rester les bras croisés. Mais que faire ? La toute nouvelle loi anti-Pfas devrait permettre de réduire les rejets industriels. C’est insuffisant, hélas : vu la persistance de ces substances toxiques dans l’environnement, il faudra également dépolluer l’eau, sans doute pendant des décennies.

Des traitements guère satisfaisants

Sur ce sujet, on en est encore aux balbutiements. « Il existe aujourd’hui deux procédés de traitement, dit la chercheuse Julie Mendret, la filtration sur charbon actif et la filtration membranaire. » Sauf qu’aucune n’est vraiment satisfaisante.

Première technique, la plus répandue : le charbon actif, « un solide microporeux, qui fixe certaines molécules », explique la scientifique. Grosso modo, de la houille chauffée afin d’accroître sa capacité de rétention, réduite en grain ou en poudre, puis compactée dans des filtres à travers desquels l’eau est envoyée. Un procédé éprouvé à Valence, qui l’utilise depuis décembre 2023, et a fait chuter significativement les concentrations en PFAS.

En Loire-Atlantique, Mickaël Derangeon ne peut pas en dire autant. Et pour cause : le filtre à charbon fonctionne très mal sur le TFA. Idem à Eau de Paris, qui a détecté ce polluant sur plusieurs captages. Même s’il est possible d’améliorer la méthode en renouvelant régulièrement les filtres, ou en utilisant des grains plus petits, « l’efficacité reste partielle » sur les polluants éternels, reconnaît Benjamin Gestin, directeur général de la régie publique.

« C’est aujourd’hui la technologie la plus performante »

Autre solution, la filtration membranaire, et son nec plus ultra : l’osmose inverse basse pression. Il s’agit, dans ce cas, de pousser l’eau à travers un filtre extrêmement fin qui retient virus, bactéries et substances chimiques. « C’est aujourd’hui la technologie la plus performante », confirme Adrien Richet, du Sedif, qui distribue l’eau de 4 millions de Franciliens. Grâce à cette méthode que le syndicat compte mettre en place dans ses trois usines, « on s’attend à un abattement de 95 % des PFAS, contre 35 à 45 % pour les filières conventionnelles [avec du charbon par exemple] ».

Mais il y a un hic : que fait-on de ces polluants retenus par les membranes ? « Aujourd’hui, c’est renvoyé dans la ressource », admet Adrien Richet. Tandis que l’eau coule, limpide, au robinet des Franciliens, tous les PFAS retournent ainsi contaminer les rivières. Un moindre mal, selon l’ingénieur : « On n’ajoute pas des micropolluants, puisqu’ils y étaient déjà au départ, souligne-t-il. Et l’eau que l’on rejette, même si elle est chargée en PFAS, est tout de même plus propre que celle prélevée au départ, car elle est passée par plusieurs phases de traitement. »

Pas de quoi convaincre Mickaël Derangeon, qui trouve le procédé trop consommateur en eau — il faut 100 L d’eau prélevée pour produire 85 L d’eau potable — ni Dan Lert, le président d’Eau de Paris : « Il s’agit d’une technologie extrêmement coûteuse et qui ne règle pas le problème de la pollution à la source », dit-il.

Des traitements très chers

Le prix, voici le nœud du problème. Le Sedif a investi plus d’un milliard d’euros dans la mise en place de ce traitement high-tech. Bien que moins onéreuse, la filtration par charbon actif aspire aussi des montants importants. Eau de Paris dépense chaque année trois millions d’euros juste pour renouveler ses filtres. Atlantic’eau a de son côté déboursé 1,7 million d’euros dans son traitement au charbon. Au sud de Lyon, dans la vallée de la chimie, le syndicat Rhône-Sud doit sortir 6 millions d’euros pour équiper son usine d’une filtration.

Avec des effets immédiats pour les usagers : la facture des habitants d’Île-de-France a ainsi grimpé de 40 à 50 € par an. Selon la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), l’osmose inverse entraîne une hausse de 0,40 à 1,80 € du mètre cube ; elle est de 0,10 à 0,40 € du mètre cube pour le filtre à charbon. « Le traitement des PFAS constitue un défi énorme pour les collectivités, estime Franco Novelli, de la FNCCR. Ça interroge clairement le modèle économique de l’eau. »

Si le Sedif, plus gros service d’eau de France, a les moyens de ses ambitions, nombre de collectivités freinent des quatre fers face à « ce mur d’investissement », dit Christophe Montvernay, directeur du syndicat des eaux des Monts du Lyonnais. « Pour l’instant, on est dans l’expectative, ce sont de gros investissements, donc on attend », dit-il.

« Il faut que les industriels payent »

Attendre, jusqu’à ce que les analyses se révèlent alarmistes. Patienter, aussi, jusqu’à ce que la réglementation soit plus claire. Car il existe des milliers de molécules PFAS, dont une vingtaine seulement devront être surveillées et limitées à partir de janvier 2026. Pour les autres, tout dépendra des décrets d’application de la loi anti-PFAS, censés fixer une liste des substances à suivre. Avec de grosses incertitudes : le TFA, omniprésent dans les eaux françaises mais dont les effets sanitaires restent encore méconnus, sera-t-il concerné par l’obligation de traitement ?

« Ce serait complètement illogique qu’il n’y soit pas, plaide Nicolas Thierry, le député écologiste à l’origine du nouveau texte de loi. Raisonnablement, il faudrait que tous les PFAS qu’on détecte dans l’environnement soient soumis à la réglementation. » Principe de précaution oblige. Mais cela risque de faire exploser les coûts de la dépollution. « Il faut que les industriels payent », tranche-t-il.

C’est d’ailleurs l’une des mesures phares de sa loi : l’instauration d’une redevance sur les rejets de polluants éternels dans l’eau. Les industriels émetteurs devraient ainsi être taxés à hauteur de 100 € pour 100 g de PFAS déversés. Soit une manne de 2,4 millions d’euros par an, selon les premières estimations du ministère de la Transition écologique. Une somme trop modeste au vu des investissements nécessaires.

Des rejets plus importants qu’attendu

Lueur d’espoir pour les défenseurs de la redevance, certains sites émettraient en fait des PFAS dans des proportions bien supérieures à ce qui était attendu, a révélé récemment Le Monde. Ainsi, l’usine BASF de Saint-Aubin-lès-Elbeuf, au sud de Rouen, rejette à elle seule jusqu’à 177 kilos de TFA par jour, ce qui équivaudrait à une facture annuelle de 64,5 millions d’euros par an.

De quoi changer la donne, pour l’économiste Maria Salvetti : « Pour que le principe pollueur payeur soit efficace, il faut que la redevance soit relativement élevée, explique-t-elle. Ça permet de financer les surcoûts de traitement mais aussi d’envoyer un signal fort aux industriels. » En clair : frapper les pollueurs au portefeuille afin de les pousser à réduire, enfin, leurs rejets toxiques.

En attendant le grand soir des polluants éternels, la confiance des Français dans l’eau du robinet s’effrite. Pourtant, rappelle la FNCCR, « il s’agit de l’aliment le plus surveillé » dans l’Hexagone. En d’autres termes, dès que des limites de qualité sont dépassées, l’alerte permet de prendre rapidement des mesures curatives. Nombre de spécialistes mettent ainsi en garde contre « l’arbre [de l’eau potable] qui cache la forêt [de la contamination] ».

« Le problème des PFAS, c’est à 5 % dans l’eau potable, nous assure un expert qui préfère rester anonyme. Et c’est principalement l’alimentation. » La contamination de l’eau n’est que la partie émergée de l’iceberg, celle que l’on détecte. La pollution — massive — de l’alimentation et de l’air demeure invisible. Et donc pas traitée. Le scandale des PFAS est loin d’être terminé.

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