Inquiets de la qualité de leur eau du robinet, ils sont de plus en plus à s’équiper en filtres. Des craintes alimentées par les innombrables études sur les contaminants du précieux liquide : composés per- et polyfluoroalkylés (PFAS), pesticides, microplastiques… Même l’eau en bouteille n’échappe pas aux polluants.
« Cette méfiance, pas toujours fondée, et le marketing ont contribué à une explosion du marché des appareils de traitement de l’eau à domicile », constate l’association Consommation, Logement et Cadre de vie (CLCV). Comment s’y retrouver dans la jungle des produits censés fournir « de l’eau propre en un clin d’œil », « une eau pure à 99 % » ou bien éliminer « jusqu’à 99,999 % des contaminants nocifs » ? Faut-il y croire ? Faut-il investir beaucoup dans un purificateur Berkey, Pure-Filters ou British Berkefeld pour boire une eau saine ? Moins chers, les bâtons de binchotan et les carafes filtrantes de type Brita, Philips ou Waterdrop sont-ils suffisants ?

Les filtres à eau.
© Antoine Dagan / Reporterre
Isabelle s’est procuré des bâtonnets de charbon actif japonais (binchotan) en boutique bio « qui attirent les polluants ». Elle espère que « cela fonctionne aussi pour les PFAS », ces polluants éternels. Le coût n’est pas très élevé : 6 à 7 euros le bâtonnet de 5 à 8 cm. « Par contre, il faut le faire bouillir pendant quinze minutes au préalable et le changer régulièrement, tous les trois mois », précise cette lectrice de Reporterre, qui a répondu à notre appel à témoignages. Élodie, elle, utilise des billes de céramique : « L’inconvénient, c’est qu’il faut souvent les recharger. »
Gilbert et sa famille ont choisi d’investir, voici plus de vingt ans, dans un osmoseur. Ils s’en disent « très satisfaits ». D’après le fabricant, le dispositif élimine mauvais goût et odeurs, mais aussi nitrates, pesticides, herbicides, résidus médicamenteux, métaux lourds, bactéries… Le tout pour « un montant mensuel de 12 à 17 euros », location de l’équipement et entretien compris.
Quant à Amandine, elle a opté en mars 2023 pour un système de filtration de l’eau par gravité. « Les cartouches filtrantes sont censées éliminer les PFAS, les métaux lourds, le chlore, les résidus de pesticides et de médicaments, etc. », explique-t-elle, reconnaissant un certain coût à l’achat, environ 290 euros dans son cas. Sans compter les deux cartouches, plus de 55 euros chacune, à changer tous les 6 à 12 mois.
Ne pas l’appauvrir en minéraux
Première chose à faire avant de se lancer dans ce type d’achat : « Il faut vérifier la qualité de son eau sur le site de l’Agence régionale de santé (ARS) et auprès du service public de l’eau, conseille Ann-Gaël Beard, référente du secteur environnement à la CLCV. L’eau est censée être potable. Or, en installant un dispositif, on va capter des éléments tels que des minéraux et ainsi appauvrir l’eau, avec un risque de la rendre non potable. »
Elle alerte aussi sur la nécessité de procéder à un entretien rigoureux : « Il faut éviter que le filtre ne s’assèche, par exemple, quand vous vous absentez plusieurs jours. Car à la réutilisation, il y aura un risque de relargage des molécules précédemment captées. » Changer le filtre régulièrement est aussi indispensable, comme le recommandait l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), dans un avis de 2017 sur les carafes filtrantes.

Des charbons actifs japonais (binchotan), une carafe filtrante Brita et un osmoseur inverse Josmose.
Montage Reporterre /Brita / Josmose
Pour aider les consommateurs à s’y retrouver dans la pléthore de produits, la CLCV souhaite qu’« un organisme public indépendant puisse publier un comparatif de l’efficacité de ces appareils ». Le pouvoir filtrant de certaines solutions n’est en effet pas prouvé. C’est le cas des billes de céramique, pour lesquelles aucune étude scientifique n’a été publiée, à notre connaissance — ce qui ne signifie pas qu’elles ne servent à rien.
À partir de bois ou d’écorces de noix de coco
La plupart des équipements proposés reposent sur le charbon actif en granulés ou en poudre, fabriqué à partir de végétaux (bois, écorces de noix de coco, etc.). Ce matériau est reconnu pour sa capacité d’adsorption, c’est-à-dire à fixer et retenir les molécules indésirables présentes dans l’eau. Mais son efficacité dépend fortement de sa quantité, sa qualité, sa concentration.
Dans une étude publiée en février 2020, une équipe de scientifiques étasuniens montrait que les filtres à charbon actif testés avaient éliminé en moyenne 73 % des contaminants PFAS, avec des résultats très variables : « Dans certains cas, les produits chimiques ont été complètement éliminés ; dans d’autres, ils n’ont pas du tout été réduits », concluaient les chercheurs.
Le charbon actif est souvent combiné à d’autres technologies, comme les membranes échangeuses d’ions, capables d’éliminer les métaux lourds, comme le plomb ou le cadmium. Ou encore la nanofiltration. Les fabricants donnent rarement tous les ingrédients de leur recette, « pour des raisons évidentes de secret industriel », précise sur son site Berkey, la marque de purificateurs sans doute la plus connue. Plus le procédé est avancé, plus il coûtera cher. Ce qui explique les tarifs très élevés (de 200 à 500 euros, selon les modèles) des purificateurs associant plusieurs techniques.
Un filtre Berkey.
© Berkey
Pour savoir si la carafe ou le filtre à robinet convoité sera vraiment efficace, le consommateur peut s’appuyer sur les certifications NSF/ANSI 42 et 53 [1]. Délivrées par la National Sanitation Foundation, elles garantissent la filtration des métaux lourds, pesticides ou PFAS. Mais certains polluants éternels passent à travers les mailles du filtre, comme l’acide trifluoroacétique (TFA), une molécule dérivée de l’herbicide flufénacet, très répandue dans les eaux européennes, et difficile à capter en raison de sa formulation chimique, alertait l’ONG Pan Europe dans un rapport de mai dernier.
L’eau, un produit devenu suspect
Pour échapper au TFA, reste l’osmose inverse, un gros appareil à installer sous l’évier. Cette technique consiste à séparer, grâce à la haute pression et à une membrane semi-perméable, les molécules d’eau de celles indésirables. Mais le coût est à la hauteur du résultat : minimum 500 euros, auxquels il faut ajouter l’entretien, voire l’installation d’un adoucisseur d’eau dans les régions très calcaires. Sans oublier les cartouches de reminéralisation (l’osmoseur supprimant un grand nombre de minéraux), la hausse de la facture d’énergie (liée à la haute pression très énergivore) et celle d’eau (une perte entre 15 et 30 % d’eau à prévoir). N’en jetez plus, la coupe est pleine !
Face à de tels investissements, seuls les plus fortunés pourront-ils prétendre à une eau débarrassée — au moins en partie — des substances toxiques ? C’est la crainte de Régis Taisne, chef du département du cycle de l’eau à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) : « Il y a un risque de distorsion énorme entre les personnes qui ont les moyens de se payer ces dispositifs, et les autres, estimait-il lors d’une conférence de presse le 11 mars. Or, disposer d’une eau potable est un besoin humain fondamental, essentiel. »
Un avis que partage Rémi Barbier, professeur de sociologie à l’École nationale du génie de l’eau et de l’environnement de Strasbourg (Engees). Selon lui, les inégalités ne sont pas seulement sociales, mais aussi spatiales « au regard des capacités des services [publics de l’eau] à assumer des investissements curatifs très coûteux sans hausse délirante du prix de l’eau ».
Pour le sociologue, cet intérêt pour la filtration individuelle « témoigne d’une fragilisation du rapport de confiance patiemment construit qui scellait notre relation aux services publics et d’une entrée de l’eau dans la catégorie (en extension) des produits suspects qui échappent aux protections et réglementations ». L’eau ne représente qu’une voie — et pas la plus importante — de contamination par les micropolluants, rappelle Rémi Barbier. Mais « en arrière-plan, c’est bien la contamination généralisée du monde (eau, sols, air, aliments…) qui est en cause ».
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