Le fascisme n’est pas une ombre du passé. Il est bien là, en mouvement. De l’Europe aux Amériques, l’extrême droite progresse, portée par des gouvernements réactionnaires, des lobbys puissants et des discours de haine qui se banalisent. Attaques racistes, violences contre les exilés, assassinats politiques : partout, les signes de son ascension se multiplient.
Mais cette montée n’est pas une fatalité. Partout dans le monde, des collectifs, des associations, des citoyens s’organisent pour lui tenir tête. Le 22 mars, journée internationale contre le racisme et le fascisme, marque un temps fort de ces luttes, qui refusent la peur et l’impuissance. Des manifestations auront lieu dans le monde entier : « Il y a des moments dans l’histoire où il faut se lever et faire entendre sa voix, et nous sommes dans un tel moment. La situation est grave et urgente, mais nous sommes la majorité ; nous pouvons gagner. ¡ No Pasarán ! » exhorte l’appel lancé en France par la Marche des Solidarités, les Collectifs de Sans-papiers et les Collectifs de mineur es isolé es en lutte.
Désobéissance civile, blocages, fermetures de locaux fascistes, actions artistiques subversives, soutien aux exilés : les formes de résistance fourmillent, se réinventent, s’adaptent aux contextes locaux. De France au Brésil, de l’Allemagne aux États-Unis, des activistes osent et remportent des victoires. Reporterre présente ces ripostes concrètes — non exhaustives — qui, chacune à leur manière, désarment le fascisme.
- Saboter (les voitures d’un milliardaire fasciste)
Le 18 mars à Las Vegas, plusieurs véhicules Tesla ont été incendiés dans une attaque ciblée contre la marque d’Elon Musk, comme l’a relaté Libération. Un individu vêtu de noir aurait utilisé des cocktails Molotov et ouvert le feu sur les voitures, avant de laisser un graffiti « Résister » sur le bâtiment.
Cet acte s’inscrit dans une vague croissante de sabotages aux États-Unis, visant la marque associée à Musk, auteur d’un salut nazi lors de l’investiture de Trump, qu’il épaule à la Maison-Blanche. Le FBI enquête pour « terrorisme », tandis que Musk et l’administration Trump dénoncent des « attaques diaboliques ».
D’autres actions similaires ont été recensées à Kansas City, Seattle ainsi qu’en Caroline du Sud, et s’intensifient avec la divulgation publique des coordonnées personnelles des clients de Tesla. Ces actes s’ajoutent à d’autres incendies, ces derniers mois, en Allemagne et en France.
- Surgir (contre l’empire d’un milliardaire d’extrême droite)
Début février, une vague de « surgissements » a visé l’empire Bolloré, dénonçant son influence croissante sur les médias, son implication dans l’industrie extractive et son soutien indirect à l’extrême droite. Pendant cinq jours, plus de 70 actions ont ciblé ses filiales en France et en Belgique : blocages, occupations, sabotages et campagnes d’information se sont multipliés contre ses activités médiatiques, énergétiques et sécuritaires.
Des locaux de Blue Systems, une filiale du groupe Bolloré, ont vu leur façade repeinte à Nantes et reçu une visite nocturne à Besançon.

En Bretagne, les manifestants qui ont défilé en direction des propriétés du milliardaire Vincent Bolloré ont trouvé la police sur leur chemin.
© Chloé Richard / Reporterre
À Montpellier et Grenoble, des chercheurs ont dénoncé la collusion entre la recherche publique et l’exploitation coloniale de la Socfin, dont Bolloré est actionnaire. Ses dépôts pétroliers ont été visés à Strasbourg, Poitiers et dans le Loiret.
Son emprise sur l’édition a été attaquée à Paris, Lyon et Vanves, avec des actions contre Hachette, Larousse et Relay. Même ses propriétés privées n’ont pas été épargnées : à Saint-Émilion, un vignoble détenu par Bolloré a accueilli une marche antifasciste, et son manoir breton a vu un bal de protestation.
- Tenir bon (dans les tribunes d’un stade)
Depuis juin 2024, un nouveau groupe de supporteurs antiracistes, les Six-Neuf Pirates (SNP), secoue les tribunes du Groupama Stadium, à Lyon, ont rapporté plusieurs médias dont Le Monde. Face à la mainmise historique de l’extrême droite sur une partie du kop lyonnais, ces ultras refusent de laisser le stade à l’idéologie nationaliste et identitaire qui gangrène les tribunes.
La présence de ces supporters plus à gauche que la moyenne locale dérange : agressions, menaces, violences en marge des matchs… Mais ils tiennent bon et veulent ramener une ambiance populaire et inclusive au stade. Leur existence même est un défi à ceux qui voudraient faire du stade un bastion fasciste.
- Fermer (les lieux fascistes)
À Lyon, des militants antifascistes ont exigé la fermeture de La Traboule et de l’Agogé, un bar et une salle de boxe tenus et fréquentés par l’ultradroite.
Le collectif Fermons les locaux fascistes — dont sont notamment membres la CGT, SOS Racisme, le NPA, Alternatiba et le groupe antifasciste lyonnais la Jeune Garde —, a organisé un rassemblement en février 2024 après plusieurs agressions violentes impliquant des militants identitaires.
Ces lieux ont été fermés après la dissolution des associations qui les régissaient, en juin 2024. Cette stratégie de lutte ne se limite pas à Lyon : en France et en Europe, des collectifs obtiennent la fermeture de locaux similaires, privant ainsi ces mouvances d’espaces pour s’organiser et recruter.
- Rester debout (dans un avion, pour empêcher l’expulsion d’une personne migrante)
En 2018, Elin Ersson, une étudiante suédoise, a empêché l’expulsion d’un demandeur d’asile afghan en refusant de s’asseoir à bord d’un avion à Göteborg. Filmant son action en direct sur Facebook, elle a suscité des réactions contrastées parmi les passagers. Son acte de désobéissance civile a finalement conduit au débarquement de l’homme menacé.
Des cas semblables ont été recensés en France — des passagers d’un vol Paris-Bamako ont tenté d’empêcher l’expulsion d’un Malien ayant vécu toute sa vie en France — ou encore en Belgique – -un Camerounais était ligoté et maintenu sur son siège par deux policiers et six passagers ont refusé de s’asseoir.

Paul Lovis Wagner / Sea-Watch.org / CC BY–SA 4.0 / Wikimedia Commons
- Prendre conscience de ses privilèges (et faire front pour protéger des personnes plus exposées à la répression)
À l’été 2020, après la mort de George Floyd, des manifestations contre les violences policières ont secoué les États-Unis. À Portland, en réponse à l’envoi de forces fédérales par Donald Trump, des vétérans forment une chaîne — un « Wall of Vets ». Conscients que leur statut de vétérans leur offre une certaine protection médiatique et policière, ils se sont placés en première ligne pour limiter la répression contre les manifestants, notamment les personnes noires. Leur mobilisation a contribué au retrait des troupes fédérales et inspiré d’autres actions identiques à travers le pays.
- Cultiver (des espaces d’accueil et de travail digne pour les personnes migrantes)
Depuis septembre 2022, l’association A4 a ouvert une serre collective à Lannion, en Bretagne, visant à offrir des conditions de travail dignes aux personnes migrantes, qu’ils soient en situation régulière ou non. Lancé par Idriss, un exilé soudanais, ce projet a permis à des personnes venant de divers horizons, comme le Soudan, la Bolivie et l’Afghanistan, de s’impliquer dans le maraîchage.
Malgré des attaques racistes survenues en juillet 2024, les membres du collectif continuent de cultiver des légumes tout en développant des liens sociaux et des opportunités de formation. Ce projet fait écho à d’autres initiatives solidaires, comme celle d’Emmaüs Roya, où la ferme de Cedric Herrou permet aux exilés de se reconstruire tout en luttant contre l’exploitation dans l’agriculture.
- Désobéir (pour sauver des vies)
En juin 2019, Carola Rackete, capitaine allemande du navire humanitaire Sea-Watch 3, a forcé le blocus imposé par le gouvernement italien pour sauver 42 personnes migrantes bloquées à bord depuis deux semaines. Passant outre les interdictions, la jeune femme — elle avait alors 31 ans — a pénétré dans les eaux italiennes et a accosté à Lampedusa.
Bien que son acte ait suscité la colère de Matteo Salvini et du gouvernement italien, Rackete a défendu son geste en affirmant la nécessité de respecter le droit international. Elle a été arrêtée et poursuivie par la justice italienne, qui a finalement abandonné les poursuites. Elle est aujourd’hui eurodéputée.
- Interdire (les réunions de la droite nationaliste)
Le 16 avril 2024, la réunion de la droite nationaliste, NatCon, rassemblant des figures telles qu’Éric Zemmour et Nigel Farage, a été interdite à Bruxelles par le maire de Saint-Josse, Emir Kir. Une décision motivée par un risque de trouble à l’ordre public.
Certains chefs de gouvernement européens, comme Alexander De Croo et Rishi Sunak, ont dénoncé une atteinte à la liberté d’expression. Kir a justifié l’interdiction en affirmant que « l’extrême droite n’est pas la bienvenue », notamment suite à l’organisation d’une manifestation antifasciste.

Les néofascistes n’hésitent pas à s’en prendre à des lieux de solidarité, comme ici les locaux de l’association des paysans-artisans A4 à Lannion.
© Association A4
- Faire la fête (au nez des fascistes)
Dans la nuit du 8 au 9 mars 2025, une free party organisée dans un ancien cinéma désaffecté à Rennes a dégénéré lorsqu’une équipe de sécurité privée, dirigée par l’influenceur d’ultradroite Yovan Delourme, alias le Jarl, a attaqué les fêtards.
L’événement, un rassemblement antifasciste, se tenait à proximité de la boîte de nuit 1988, dirigée par le Jarl, ancien suppléant d’un candidat du parti Reconquête. Comme le relate l’Humanité, les vidéos des violences, diffusées sur les réseaux sociaux, montrent des agents de sécurité utilisant des gaz lacrymogènes pour déloger les participants et frappant ceux qui tentaient de s’échapper. Des témoins affirment même que des sorties étaient bloquées, empêchant l’évacuation de personnes évanouies.
- Tricoter (avec les Mamies contre l’extrême droite)
Dans un contexte de montée inquiétante de l’extrême droite en Allemagne, le groupe des Omas Gegen Rechts (Mamies contre l’extrême droite), né en 2018, sont devenues un visage emblématique de la contestation contre l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) et ses discours populistes, nationalistes et anti-immigration.
Leur arme de résistance : des bonnets tricotés à la main — un acte volontairement paisible, qui contraste avec les violences et les discours haineux de l’extrême droite. Elles sont de tous les rassemblements, rappelant à la société allemande qu’il est crucial de préserver la mémoire du nazisme et de lutter contre toute forme de relativisation de l’histoire.
- Nourrir (les ventres des opposants au fascisme, et ses cibles)
L’Internationale boulangère mobilisée (IBM) a tissé un réseau de boulangers militants qui, depuis 2018, apportent leur soutien aux luttes antifasciste à travers la fabrication de fours à pain mobiles. Ce projet permet de nourrir les manifestants lors de rassemblements comme ceux contre les mégabassines ou pour soutenir les exilés à Calais.
Les membres de l’IBM, souvent autodidactes en soudure et en boulangerie, construisent eux-mêmes ces fours à bois, se réappropriant des outils paysans pour diffuser une boulange artisanale, solidaire et locale.
- S’allier et faire front commun (contre un gouvernement libertarien d’extrême droite)
Le 11 mars 2025, à Buenos Aires, une manifestation inédite, racontée par Médiapart, a réuni des milliers de retraités et des supporters de football contre le gouvernement de Javier Milei. Les retraités, victimes des politiques économiques du président, dénonçaient depuis plusieurs semaines la baisse de leurs pensions, la fin de la gratuité de certains médicaments et la répression policière qui les frappe chaque semaine.
Lorsque des images d’un retraité portant un maillot de Chacarita, Carlos Dawlowski, ont circulé après qu’il a été violemment arrêté, les supporters du club, ainsi que de leurs rivaux d’Atlanta, se sont indignés et ont décidé de le soutenir, mettant de côté leurs différences sportives. La manifestation a été violemment réprimée par les forces de police, le gouvernement dénonçant une « tentative de coup d’État » mené par des hooligans.
- Désarmer (l’industrie de l’armement)
Un réseau d’activistes propalestiniens et écologistes mène depuis plusieurs mois une série d’attaques contre l’industrie de l’armement britannique, dénonçant son rôle dans le conflit israélo-palestinien. Issus notamment du mouvement Palestine Action et d’Extinction Rebellion, ces militants ciblent des sites stratégiques liés à la production et à l’exportation d’armements, en particulier ceux associés au groupe israélien Elbit Systems. Occupations de sites, destruction d’équipements, coupures de réseaux et vandalisme ciblé… leurs actions se multiplient.
Le 17 juin 2024, des activistes ont attaqué l’usine Instro Precision, située dans le Kent, qui fournit des viseurs d’armes à l’armée israélienne. Ils ont forcé les barrières de sécurité, détruit du matériel et bloqué l’accès aux véhicules.

En Angleterre, les activistes de Palestine Action ont envahi et bloqué une usine d’armes à destination d’Israël, située à Newcastle.
© Palestine Action
En octobre 2024, une usine de Teledyne CML Composites à Bromborough, fabricant de composants pour les avions de chasse F-35, a été vandalisée, ses salles blanches aspergées de peinture rouge, perturbant potentiellement la production pour un an.
Les autorités britanniques répriment sévèrement ces actes. En novembre dernier, dix-huit militants ont été arrêtés sous le régime du Terrorism Act après une action contre le siège d’Elbit à Bristol. Le gouvernement envisage désormais d’interdire Palestine Action, qui promet pourtant de poursuivre ses actions directes jusqu’à la fermeture de toutes les installations d’Elbit au Royaume-Uni.
- Se défendre (face à la violence des groupes fascistes)
Face à la montée des violences d’extrême droite en Europe, des salles de boxe et d’arts martiaux antifascistes émergent dans plusieurs villes. En Italie, les Palestre Popolari se développent comme des lieux d’apprentissage du boxe popolare, mêlant entraide, engagement politique et discipline sportive.
Inspirés par les traditions antifascistes, ces clubs rejettent le culte du corps viriliste et prônent une approche collective du combat. En région parisienne, le collectif Raccoon Kai — Antifa Boxing Club organise des entraînements gratuits de Muay-thaï pour populariser l’autodéfense dans les milieux militants.
À Londres, le club antifasciste Solstar, fondé en 2016, propose un espace non-mixte où les femmes s’initient aux techniques de combat loin du machisme ambiant. Ces initiatives s’inscrivent dans une volonté de préparer les militants aux tensions croissantes dans l’espace public et d’assurer la protection des événements menacés par des groupuscules néofascistes.
Tourner en dérision (une chaîne d’opinion favorable à l’extrême droite)
Avec « L’Heure de Trop », une vidéo publiée en novembre 2024, Malik Bentalha s’attaque à l’émission « L’Heure des Pros », diffusée sur CNews — plusieurs fois sanctionnée par l’Arcom pour surexposer des discours d’extrême droite — et animée par Pascal Praud.
Ce pastiche reprend les codes du programme pour en exagérer les travers, notamment son obsession pour certains sujets et son traitement caricatural de l’actualité. Rebaptisé « Patrick Traud », l’animateur est entouré d’invités aux traits forcés : « Viviane Bouchard », polémiste véhémente, « Larsen Harbouni », imam maladroit, ou encore « Jimmy Di Canio », ancien militaire aux idées radicales.
Les mêmes figures reviennent sans cesse pour alimenter des controverses souvent stériles. Les débats mis en scène dans la vidéo pastichent ceux de CNews, abordant des sujets polémiques sous un angle volontairement absurde. Parmi eux : « La djellaba est-elle un vêtement religieux ? » ou « Un policier attaqué dans un lycée : faut-il interdire les élèves ? »
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