Fragments d’un testament dénudé, ébruités depuis Haïti


Entendre le bruit de la déshumanisation derrière l’impuissance

Dans le carrousel des images de chaos et des échos assourdissants de douleur qui défile et projette la déshumanisation et l’impuissance de certains peuples du monde, devant la résurgence de la barbarie des puissances occidentales, deux situations, certes éloignées par la culture et la géographie, mais combien proches par les histoires de détresse humaine qui s’y enchevêtrent, méritent qu’on s’y attarde un peu. Les situations poignantes des peuples de Gaza et d’Haïti constituent le miroir éclatant qui renvoie la vérité grégaire de notre monde. Un monde superficiel et inhumain, dont l’existence s’est désensorialisée, fossilisant son essence dans une abjecte et sourde indigence. Á force de se réfugier derrière des impostures civilisationnelles pour masquer les horreurs de la barbarie esclavagiste qui ont tissé le luxueux voile de sa grandeur, l’Occident a refusé d’assumer sa laideur et de faire le saut éthique de la résurgence vers son humanité. Il a préféré : s’adapter à de petites réussites matérielles, vénérer un progrès technologique ambivalent, magnifier des artefacts dits intelligents jusqu’à dresser l’homme contre l’humain.

Le dévoilement de l’auto-déshumanisation

Comme Gaza a sombré définitivement en octobre 2023, livrant la vérité nue de la barbarie occidentale, après des années d’érosion silencieuse de son humanité par les crimes d’Israël – faut-il le rappeler, cautionnés par les Nations Unies –, Haïti sombre à son tour, et livre, dans un silence encore plus assourdissant, l’image d’une désolation qui n’a rien à envier à la réalité horrifiante de l’esclavage. Dans leur progression acharnée, cherchant à imposer la terreur à la population pauvre et noire d’Haïti, les gangs ne font que réactiver les codes de la déshumanisation tatoués dans leur mémoire. Chaque assaut contre un quartier de la capitale, chaque massacre perpétré, chaque dévastation relayée, chaque mouvement de fuite de la population, chaque adaptation à cette inhumanité, sont autant de pièces d’un puzzle qui, à la fois, redessine le rodéo des razzias esclavagistes du passé ; et ébruite le tam-tam blues qui accompagne la fuite des marrons de jadis. Sauf qu’aujourd’hui, la fuite des marrons, devant la gangrène qui déploie cette explosion de terreur pour imposer la déshumanisation qui l’a structurée, n’a rien à voir avec la liberté ; pas plus d’ailleurs que la tectonique qui rythme l’agitation de cette gangrène ne soit le fait exclusif de forces étrangères.

Le drame de l’impuissance agonisante de la population haïtienne devant la terreur des gangs révèle une tout autre histoire, qui, au fond, se joue de l’Histoire. C’est un peu une version tragi-comique de l’histoire qui s’entête à enseigner ses vérités à un collectif dont la mémoire s’est fissurée dans les nuits barbares de la déshumanisation. Cette histoire actualisée de gangs, pourtant enchevêtrée dans le passé, est tissée dans une complexité méconnue : c’est celle de la déliance d’un lieu qui porte les douleurs d’un passé prégnant. C’est celle du mysticisme éclaté d’une terre, qui s’étant abreuvée du sang des génocides occultés et invisibilisés, refuse l’imposture et le métissage du faire semblant. C’est le spectacle paradoxal, lancinant et violent, des va-nu-pieds et laissés pour compte qui impriment leur marque de déshumanisation à une société peuplée d’insignifiants anoblis et de déracinés corrompus qui vivent dans les rêves blancs d’ailleurs. C’est l’histoire transfigurée d’un héritage de liberté, de dignité et d’humanité qui a été laissée en déshérence par des groupes dominants plus occupés à survivre ou à réussir dans l’indignité et la servitude qu’à oser l’insolence et l’intelligence éthique pour innover leur pays.

La vérité primitive et douloureuse de ce qui se joue en Haïti est celle du dévoilement d’une auto-déshumanisation. Si l’on croit les enseignements d’Ilya Prigogine, dans La fin des certitudes (Odile Jacob, 1996), et de Jean Claude Ameisen, dans La Sculpture du vivant (Points, 2014), c’est là un processus dissipatif et d’autodestruction qui s’empare du vivant dès qu’il se trouve dans un milieu déliant où les échanges se font pour dégrader la vie et non pour la sublimer. Dans les sociétés humaines, ce processus déliant survient partout où la richesse, le pouvoir et le savoir ont été accaparés ou confiés à des insignifiants anoblis. Par insignifiants anoblis, il s’entend ces médiocres à succès qui ne pensent qu’à leurs petites réussites sociales, économiques, académiques et politiques, en se détournant des problèmes de leur environnement et en se focalisant sur les plaisirs du paraître, du ventre, du bas-ventre et du bas du dos (innovation LGBT oblige). Ces êtres décérébrés et déracinés ne vivent que d’impensés, de catastrophes et d’indigences. Et pour cause ! C’est par la perduration de ces défaillances que viendra la promesse de l’assistance dont ils dépendent, et qui est le carburant de leur performance.

Notre propos dans les prochains fragments, s’il nous reste du temps, sera de mettre en évidence l’impensé agissant et le paradoxe anthropologique qui régulent la tectonique de la gangstérisation et de la shitholisation d’Haïti.





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