Finistère, correspondance
Épandage, utilisation de produits phytosanitaires… Dans le Finistère, depuis début 2025, un document inédit a vu le jour : une « charte d’installation en milieu rural ». Porté, entre autres, par le conseil départemental, la chambre d’agriculture et la chambre des notaires du Finistère, ce document fait la part belle à l’agriculture intensive et cherche à museler toute opposition au modèle productiviste dominant.
La charte, non obligatoire légalement, est apparue dans un contexte où « on remarquait depuis quelque temps des tensions présentes sur les territoires et milieux ruraux entre productions agricoles et citadins qui y habitent », précise Yannick Galliou, vice-président des Jeunes agriculteurs (JA) 29, syndicat productiviste à l’initiative de la charte.
Selon le conseil départemental, qui a basculé à droite en 2021 et est désormais présidé par Maël de Calan (Les Républicains), ce texte a été créé « afin de prévenir les conflits de voisinage entre agriculteurs et particuliers ».
Défendre le modèle agricole conventionnel
Sauf qu’en seulement quatre pages, le document veut faire « comprendre l’agriculture au fil des saisons », notamment à coups de pesticides. Il rappelle, entre autres, le poids économique de ce secteur dans le département, premier producteur de porcs, volailles de chair, artichauts, échalotes et choux-fleurs. 56 % de la surface du Finistère est destinée à l’activité agricole, 12 % des 30 000 emplois de l’agroalimentaire et de l’agriculture sont pourvus sur ce territoire.
Pour maintenir cela, tout semble permis, selon la charte : « Pour protéger ses cultures, l’exploitant peut utiliser des produits phytosanitaires ou désherber mécaniquement. Chaque produit est homologué et utilisé dans un cadre réglementaire. L’exploitant est formé et certifié. » Peu importe, donc, que l’exposition à ces produits chimiques puisse accroître le risque de cancer ou encore des maladies neurologiques comme celle de Parkinson. Les agriculteurs sont particulièrement touchés par cette dernière, parfois reconnue comme maladie professionnelle.
« Vivre ou se rendre en milieu rural, lit-on aussi sur la charte, c’est donc accepter de coexister avec les agriculteurs et l’activité agricole, apprendre à se connaître, à se respecter, pour une vie plus sereine. » Sous-entendu : le modèle productiviste dominant n’est pas à remettre en cause. Et ce, alors que de nombreux projets de fermes-usines sont contestés dans la région. Et que les relations sont tendues entre certains agriculteurs et habitants, avec des menaces et intimidations, comme dans le scandale des algues vertes sur les plages, conséquence des pratiques agricoles intensives de la région.
Pour Laurent Le Berre, délégué départemental de l’association Eaux et Rivières de Bretagne, l’objectif est ainsi de museler paysans et habitants : « C’est plus dur de parler pour quelqu’un qui est du coin. À Eaux et Rivières de Bretagne, nous faisons face à des intimidations terribles : des pneus crevés, des boulons dans les boîtes aux lettres ou encore des menaces de mort. »
« Ce document, c’est “Poussez-vous, on est chez nous” »
« L’économie agricole est forte en Bretagne et façonne les paysages, dit Véronique Taleb, responsable d’animation territoriale à la chambre d’agriculture du Finistère et des Côtes-d’Armor. En parallèle, de plus en plus de personnes viennent s’installer en zone rurale avec une grande méconnaissance du milieu. C’est un lieu de vie et de loisirs pour certains, et un lieu de vie et de travail pour d’autres, c’est le cas des agriculteurs. »
Accepter une « clause de bon voisinage »
Présentée comme non contraignante, cette charte n’a, sur le papier, pas l’air d’avoir des conséquences de grande ampleur. Mais elle vient poser des problèmes de fond. Pour Julien Tallec, président de la Confédération paysanne dans le Finistère — un syndicat agricole de gauche —, il s’agit d’un outil de communication au profit de l’agriculture conventionnelle. « On a été sollicité à la Conf’ en novembre 2023 au sujet de la charte. On a déploré une vision simplifiée d’un seul modèle agricole, regrette-t-il. La charte ne va que dans un sens. Elle ne proposait pas d’espace d’échanges entre paysans et habitants. »
Le président de la Confédération paysanne s’étonne que sa structure apparaisse comme partenaire de la charte aux côtés des JA, de la FNSEA (un syndicat productiviste), de la Coordination rurale (aux valeurs proches de celles de l’extrême droite) ou encore du Groupement des agriculteurs biologiques (GAB) 29.
« Depuis 2023, nous n’avons pas eu de nouvelles, et ce jusqu’en février dernier, où nous avons reçu une invitation pour la venue de Françoise Gatel [ministre déléguée chargée de la Ruralité] à Roscoff à ce sujet. Je ne crois même pas avoir eu le document dans les mains », précise-t-il.
« Ce document, c’est “Poussez-vous, on est chez nous” », dit de son côté Christophe Le Visage, vice-président de l’association Eau et Rivières de Bretagne. Mais pas seulement. La fameuse « charte d’installation en milieu rural » a une particularité qui a de quoi inquiéter : la participation des notaires du département à l’élaboration de ce document.
Désormais, dans tous les actes de vente, se trouve une clause de bon voisinage. Clause qui indique que l’acheteur doit, de lui-même, s’assurer des activités exercées autour de chez lui et pouvant occasionner des nuisances « sonores, olfactives ou autres ». Sous-entendu : qu’il ne vienne pas se plaindre ensuite…
Quelques articles de loi sont également cités, comme l’article L.112-6 du Code de construction de l’urbanisme, selon lequel les nuisances causées par des activités agricoles, industrielles ou autres ne permettent aucun dédommagement tant que celles-ci répondent aux dispositions légales.
Stigmatisation des néoruraux
« Il ne s’agit que d’un rappel réglementaire pour éviter tout contentieux », dit Anne-Sophie Queinnec, présidente du pôle Finistère de la chambre interdépartementale des notaires. Et c’est bien tout le problème, selon Laurent Le Berre, d’Eaux et Rivières de Bretagne : « Que se passera-t-il demain si, après s’être installé dans un village tranquille, la ferme à côté de chez nous devient une usine ? En cas d’enquête publique, on dira alors aux signataires [de la clause] qu’ils n’ont pas voix au chapitre, puisqu’ils auront signé cette clause [qui complète la charte]. »
« Qu’en est-il des risques pour la santé liés aux épandages de lisier ou à l’usage de produits phytosanitaires ? La charte parle des nuisances, mais n’évoque pas les risques », ajoute Christophe Le Visage, pour qui cette charte « fantasme le territoire rural comme appartenant aux agriculteurs et à eux seuls ».
« Et puis, qu’est-ce qu’un néorural ? » abonde Laurent Le Berre. « On joue sur l’image facile du Parisien qui n’y connait rien [en agriculture] et ne veut pas du chant du coq au réveil. Or, ce genre de conflit est marginal », complète Christophe Le Visage.
« Une volonté ministérielle de l’étendre sur tous les territoires »
En 2022 déjà, la chambre d’agriculture avait fait paraître une charte « de bonne pratique de l’usage des produits phytopharmaceutiques pour de bonnes relations de voisinage », publiée par arrêté préfectoral. Elle disait, en résumé, « qu’épandre des produits phytosanitaires était normal, tout en incluant des dérogations pour étendre l’usage de ces produits », rappelle Christophe Le Visage. En 2021, un flyer explicatif sur l’agriculture et similaire à la charte avait déjà été diffusé en Pays d’Iroise.
Si cette nouvelle charte n’existe pour le moment que dans le Finistère, elle pourrait s’exporter ailleurs. « L’initiative a été reprise par Notaires de France et il y avait une volonté ministérielle de l’étendre sur tous les territoires », dit Yannick Galliou, des Jeunes agriculteurs 29.
De son côté, la notaire Anne-Sophie Queinnec l’assure, la clause n’est pas obligatoire dans les actes de vente, et « cela n’ouvrira pas plus de droits devant les tribunaux ». Dans ce cas, à quoi bon ?
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