au tribunal, Yannick Jadot persiste


Paris, reportage

« Il est inacceptable que Total reste la dernière multinationale du pétrole et du gaz présente en Russie, c’est une complicité inacceptable », insistait Yannick Jadot à chacun de ses passages dans des médias. Au-dessus des magistrats de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris plongés dans l’obscurité, ce 25 mars 2025, un écran diffusait une série d’interviews capturées trois ans plus tôt, entre le 5 et le 24 mars 2022.

Alors député européen et candidat à l’élection présidentielle, l’écologiste répétait les mêmes mots : en ne quittant pas la Russie, la société française pétrogazière TotalEnergies se rendait complice de crimes de guerre.

À tel point que la multinationale a décidé de poursuivre l’homme politique écologiste pour « diffamation publique ». Elle réclame 1 euro de dommages et intérêts, tandis que l’avocat du sénateur écologiste a plaidé la relaxe. Le tribunal rendra sa décision le 6 juin.

En mars 2022, l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie venait de commencer, et la campagne électorale pour la présidentielle française battait son plein. Le groupe avait annoncé le 1er mars qu’il « n’apportera[it] plus de capital à de nouveaux projets en Russie », sans pour autant se retirer des projets dans lesquels il était investi.

À l’inverse, d’autres majors pétrolières, comme les britanniques Shell et BP, venaient d’indiquer qu’elles allaient se retirer de leurs projets en Russie et vendre les parts de sociétés russes qu’elles détenaient.

Total est toujours actionnaire à 19,4 % de l’entreprise de gaz russe Novatek

Une fois la lumière rallumée, ce 25 mars 2025, Yannick Jadot se tenait donc debout devant la barre des prévenus, reconnaissant que l’ensemble des vidéos, extraits d’articles et tweets exposés devant le tribunal correspondait à ses déclarations de l’époque.

« Dès les premiers jours [après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022], des rapports des Nations unies, d’Amnesty International, démontraient qu’il y avait des crimes de guerre, des bombardements de population civile, des massacres », a-t-il d’abord rappelé aux magistrats.

En poursuivant : « Or dès les premiers jours, Clément Beaune [alors ministre de l’Europe] confirmait que c’était à cause du pétrole et du gaz russes qu’était financé l’effort de guerre. Bruno Le Maire [alors ministre de l’Économie] disait aussi qu’on ne pouvait pas continuer à avoir des relations avec des proches du pouvoir russe. »

TotalEnergies était justement — et est toujours — actionnaire à 19,4 % de l’entreprise de gaz russe Novatek. L’entreprise détient une participation dans les projets russes de gaz naturel liquéfié Yamal LNG (20 %), et Arctic LNG 2 (10 %).

« Il y avait quelque chose qui me soulevait le cœur »

« Après le 16 mars et le bombardement du théâtre de Marioupol, il y avait quelque chose qui me soulevait le cœur, a déclaré Yannick Jadot devant le tribunal. C’était quoi mon rôle en tant que candidat à l’élection présidentielle ? J’avais la possibilité de parler, je devais dire qu’on ne pouvait pas être en complicité avec le régime russe. »

L’eurodéputé Raphaël Glucksmann (Place publique), convoqué pour témoigner au procès, a abondé : « C’est la responsabilité d’un dirigeant, qui plus est en campagne électorale, de poser ces questions dans le débat public. Pourquoi Total ne se retire pas de la Russie ? »

Ravitaillement d’avions de guerre

Mai Rosner, de l’ONG britannique Global Witness, s’est également déplacée pour rappeler au tribunal que « la Russie dépend énormément de la vente de combustibles fossiles : un tiers des revenus annuels du Kremlin est issu des recettes fiscales imposées sur la production et l’exportation de combustibles fossiles ». Autrement dit, selon elle, pour continuer de financer la guerre, Moscou a besoin des projets d’énergies fossiles, et a fortiori d’entreprises comme TotalEnergies.

Une enquête du journal Le Monde, en partenariat avec Global Witness, a également révélé en août 2022 — soit après les propos de Yannick Jadot pour lesquels Yannick Jadot est poursuivi, ce qui n’a pu être pris en compte par le tribunal — qu’un gisement de gaz sibérien, codétenu par TotalEnergies, aurait permis de ravitailler des avions de guerre russes, qui auraient frappé la population civile ukrainienne.

« Il faut arrêter le conflit alimenté par les combustibles fossiles, dont les bombes ruinent nos vies et tuent nos enfants. Je parle au nom de tous les Ukrainiens », s’est exclamé Iryna Ptashnyk, responsable de la recherche pour l’ONG ukrainienne Razom We Stand, venue témoigner.

La multinationale vante son « honnêteté »

Tout au long des huit heures du procès, les avocats représentant TotalEnergies n’ont pas réellement cherché à infirmer les accusations de complicité de crime de guerre — ce n’était d’ailleurs pas ce que le tribunal devait trancher, puisque seul Yannick Jadot était jugé pour diffamation. Ils ont surtout tenté de démontrer dans leur argumentation que le groupe pétrogazier ne pouvait pas choisir « seul dans son coin » de se retirer de la Russie. « C’est au niveau politique que cela doit se gérer, ce n’est pas à Total de décider », a affirmé Me Basile Ader.

Il a d’ailleurs voulu rappeler à de nombreuses reprises que les concurrents de TotalEnergies qui avaient annoncé se retirer de la Russie y étaient en réalité toujours. « Est-ce qu’il vous semble préférable d’indiquer avoir l’intention de partir [de la Russie] et ne pas le faire, ou d’indiquer des principes d’action et s’y tenir ? », a également interrogé Me Antonin Lévy.

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Les avocats de la multinationale sont allés jusqu’à louer l’« honnêteté » et la « transparence » de TotalEnergies, attaquée selon eux par Yannick Jadot car il serait mû par une « animosité personnelle » de longue date contre la société pétrogazière. À cause de cette plainte, l’élu, rapporteur d’une commission d’enquête sur TotalEnergies, avait dû se « déporter » des questions touchant la Russie.

De fait, l’écologiste évoque régulièrement TotalEnergies dans ses prises de parole, car la multinationale multiplie les projets climaticides. Son bilan carbone en 2023 s’élevait à environ 400 millions de tonnes de CO2, soit l’équivalent, en ordre de grandeur, des émissions de la France.

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