La ruse Yahvé
par Laurent Guyénot
Belzébuth pour les Nuls.
Depuis que j’ai commencé à exprimer mon scepticisme sur la thèse du gouvernement mondial des pédo-satanistes (Satan-Worshipping Pedophiles, SWP), on me cite Baudelaire (approximativement) : «La plus belle ruse du diable est de faire croire qu’il n’existe pas». Merveille d’irréfutabilité ! Si je ne crois pas au diable, c’est que je suis victime de sa ruse. Les Romains, qui ignoraient l’existence de cet archange rebelle – ils avaient l’inconscience de nommer Lucifer la planète Vénus – étaient donc sous son emprise : la chute de l’Empire romain serait-elle un dommage collatéral de la chute de l’ange ? Et que dire des Chinois qui, à la lutte cosmique entre Dieu et le Diable, ont préféré l’éternelle dialectique du Ciel et de la Terre. Pauvres naïfs ! Les Romains et les Chinois admettaient l’existence des esprits, que les Grecs nommaient daïmones : il existe pour ces derniers de bons démons (Socrate avait le sien), et de mauvais démons, comme il existe de bonnes et de mauvaises personnes. Mais «Le Démon», comme personnification du Mal absolu, ils ne connaissent pas.
Pour ma part, constatant les ravages du satano-complotisme chez les esprits faibles, je suis tenté de dire que la plus belle ruse du diable est de faire croire qu’il existe. Car plus on y croit, plus il existe, cet égrégore maléfique ! C’est le principe de l’exorcisme, une technique hypnotique qui, appliquée avec de vigoureuses incantations, fera surgir le démon du supposé possédé – surtout à Hollywood, à vrai dire. Ainsi, nous autres peuples chrétiens ne cessons de créer le diable, de chasses aux sorcières en paniques sataniques. Je ne vais donc pas chercher à démontrer que Satan n’existe pas, mais plutôt, dans un premier temps, expliquer de quoi il est fait. Comment notre Satan est-il venu au monde ? C’est la première chose à comprendre pour commencer à se libérer de son emprise, c’est-à-dire de l’emprise de ceux qui, aujourd’hui comme hier, se servent de lui pour nous terroriser et nous contrôler.
Le Satan biblique
Notre imaginaire chrétien de Satan a trois sources principales : le Satan de l’Ancien Testament, la diabolisation des dieux païens, et le mythe des anges déchus.
La première composante n’est pas la plus importante, car le Satan de l’Ancien Testament n’a pas de consistance ontologique. L’idée d’une lutte cosmique entre Dieu et Satan est étrangère à la pensée hébraïque. Dieu est la source du bien comme du mal. «Je façonne la lumière et je crée les ténèbres, dit-il, je fais le bonheur et je crée le malheur, c’est moi, Yahvé, qui fais tout cela» (Isaïe 45,7). Dans la Genèse, c’est lui qui, après avoir créé l’humanité, le regrette et en extermine la quasi-totalité par le Déluge. Tous les fléaux qui s’abattent sur l’humanité – la guerre, la famine, les épidémies, le feu du ciel et le Déluge – ont leur source dans la volonté capricieuse de Yahvé. C’est aussi Yahvé qui, selon Zacharie 14,12, punira tous les ennemis d’Israël, en faisant «tomber leur chair en pourriture pendant qu’ils seront debout sur leurs pieds».
Cependant, dans certains livres tardifs apparaît un premier dédoublement : Yahvé fait appel à un assistant angélique pour les sales besognes. Ainsi, en 2Samuel 24, Yahvé envoie la peste sur son peuple, mais dans le même épisode reproduit quelques siècles plus tard dans 1Chroniques 21, on lit successivement que «Yahvé envoya la peste en Israël», «l’Ange de Yahvé ravagea tout le territoire d’Israël», et «Satan se dressa contre Israël». Dans le Livre de Job, «le satan» est un «fils de Dieu», c’est-à-dire un ange, que Dieu autorise à s’acharner contre Job pour tester sa foi. Un peu comme avec la paire Colomb-Moxica dans le film 1492 de Ridley Scott, on préserve la respectabilité de Yahvé en attribuant les sales besognes à son faire-valoir.
Mais lorsque Satan apparaît au début du récit évangélique, dans l’épisode de la tentation du Christ dans le désert (Matthieu 4,8-10), ce n’est encore que comme tentateur. Et même lorsqu’il est dit, en Luc 22,3, que «Satan entra dans Judas», nous pouvons considérer que Satan est toujours l’instrument de la Providence divine, puisque selon le scénario évangélique, il est nécessaire que Judas trahisse Jésus. Ces épisodes vont être incorporés dans la satanologie chrétienne, mais on voit bien qu’en soi, ce Satan n’est qu’une composante mineure de l’imaginaire satanique chrétien.
Retenons surtout que le Satan de l’Ancien Testament n’est pas véritablement l’ennemi de Dieu, mais plutôt son double ou son faire-valoir. C’est vers les vrais ennemis de Yahvé qu’il faut se tourner pour saisir la généalogie de notre Démon. Et des ennemis, Yahvé en a beaucoup : ce sont tous les dieux de tous les peuples autres que le sien.
Le paganisme comme satanisme
Le premier commandement de Yahvé à son peuple est : «tu n’auras pas d’autre dieu que moi» (Exode 20,3, Deutéronome 5,7). Yahvé est le dieu jaloux, ou plus proprement le dieu sociopathe, puisqu’il ne supporte aucun autre dieu. C’est en raison de leur mépris des dieux que les juifs étaient réputés comme une «race haïe par les dieux», selon Tacite (Histoires V,3). Car Yahvé fait de son peuple l’exécutant de sa jalousie passionnelle et meurtrière. En Nombres 25, Yahvé donne à Phinéas et sa descendance «le sacerdoce à perpétuité» parce que, dit-il, «il a été possédé de la même jalousie que moi» en transperçant d’un coup de lance un Israélite et sa femme madianite.
Cette divine et sainte Jalousie de Yahvé justifie le génocide des villes de Palestine : qu’on extermine tous les êtres vivants sans distinction «afin qu’ils ne vous apprennent pas à pratiquer toutes ces abominations qu’ils pratiquent envers leurs dieux» (Deutéronome 20,18). Raser les sanctuaires et détruire les idoles, telle est la mission première des rois de Judée et d’Israël, selon le Second Livre des Rois. C’est ce qui vaut à Ézéchias d’être loué pour avoir «fait ce qui est agréable à Yahvé». Au contraire, son fils Manassé est blâmé pour avoir «fait ce qui déplaît à Yahvé» en élevant «des autels à Baal et (…) à toute l’armée du ciel dans les deux cours du temple de Yahvé» (2Rois 21,2-5). Josias, en revanche, se montre digne de son arrière-grand-père Ézéchias : il fait retirer du temple «tous les objets de culte qui avaient été faits pour Baal, pour Ashera et pour toute l’armée du ciel». Même les prêtres de Yahvé officiant à Béthel «furent immolés par lui sur les autels» (2Rois 23), car Yahvé n’a pas de résidence secondaire.
Ce que ces versets nous apprennent en passant, c’est que le monothéisme exclusif a mis du temps à s’imposer, le Temple bâti par Salomon abritant à l’origine de nombreuses divinités. Mais le Tanakh rédigé durant l’exil à Babylone ou après déclare toutes ces divinités ennemies de Yahvé, démoniaque – ou bien non-existante, cela dépend du contexte.
Deux divinités en particulier sont ciblées : Ashera, la grande déesse adorée sous de nombreux noms dans tous le Moyen-Orient, que des Israélites rebelles vénèrent comme la Reine du Ciel (Jérémie 44) ; et Baal, le dieu cananéen sur lequel s’acharnent d’abord le prophète Élie lorsqu’il égorge de sa main 450 prêtres de Baal (1Rois 18), puis le roi Jehu lorsqu’il convoque tous les prêtres de Baal pour «un grand sacrifice à Baal» et, en guise de sacrifice, les massacre tous. «C’est ainsi, conclut le récit, que Jéhu débarrassa Israël de Baal» (2Rois 10). C’est ainsi, autrement dit, que Yahvé devient le seul dieu d’Israël : par l’éradication de tous les autres cultes. Telle est l’essence véritable du monothéisme hébraïque : la fureur théoclastique.
Baal signifie «seigneur» en cananéen, et par extension «dieu». «Les baals» peut donc se traduire par «les dieux» (comme lorsqu’il est dit en Juges 2 :11 que «les enfants d’Israël firent ce qui est mal aux yeux de Yahvé et ils servirent les baals»), tandis que Baal au singulier désigne Dieu, parfois aussi appelé Baal-Zebul, soit «maître des seigneurs», «chef des dieux», ou «le dieu en chef». Par déformation, Baal-Zebul ou Béelzéboul a donné Belzebuth. Ainsi, ce qui est Dieu pour les Cananéens devient le Diable pour les juifs, puis pour les chrétiens.
Comme nous n’avons pas la version des Cananéens, nous ne savons pas ce qu’ils pensaient de Yahvé, mais il n’est pas exclu que, inversement, ils aient considéré Yahvé comme un démon maléfique, à l’instar des Égyptiens cités par Plutarque, qui disaient que le peuple juif a été engendré par Seth, le dieu du mensonge et de la discorde, meurtrier d’Osiris, soit l’équivalent égyptien du Diable (Isis et Osiris xxxi). On nous a apprès que Baal ordonnait des sacrifices humains. C’est fort possible, mais en Nombres 31, c’est Yahvé qui réclame pour lui-même 32 jeunes vierges madianites, et selon la critique historique, lorsqu’il est dit que des Israélites sacrifiaient leurs propres enfants au dieu Molech dans le temple de Yahvé et en son nom (Lévitique 20,2-3 ; Jérémie 7,30-31), il faut comprendre que Molech (qui signifie roi), n’est autre que Yahvé, et non Baal. Encore un dédoublement tardif visant à blanchir Yahvé de ses turpitudes. Théophraste, un disciple d’Aristote, écrivait vers 250 av. J.-C. que «les Syriens, dont les juifs [Ioudaioi] font partie, sacrifient encore aujourd’hui des victimes vivantes», et qu’ils «furent les premiers à instituer des sacrifices d’autres êtres vivants et d’eux-mêmes». Qui croire ?
Le christianisme, en tout cas, nous a appris qu’en épargnant Isaac, le Dieu d’Abraham a fait accomplir à l’humanité un pas de géant. Il nous a aussi transmis la leçon biblique que tous les autres dieux étaient des démons, et que Baal-Zebul, que les Cananéens prenaient pour le Dieu suprême, était en réalité le prince des démons. On lit dans l’Évangile de Marc : «Et les scribes qui étaient descendus de Jérusalem disaient [de Jésus] : «il est possédé de Béelzéboul», et encore : «C’est par le prince des démons qu’il expulse les démons»» (Mark 3,22). Dans le christianisme primitif, ce prince des démons va naturellement fusionner avec Satan, le tentateur du Christ en Matthieu 4,8-10, et le manipulateur de Judas en Luc 22,3.
Retenons que le christianisme nous a imposé le point de vue hébraïque, qui diabolise tous les autres dieux que Yahvé, et même toutes les autres civilisations anciennes qui sont entrées en contact avec les Hébreux : Égyptiens, Babyloniens et Cananéens. Prendre conscience de ce parti pris, c’est s’autoriser à une démarche révisionniste. C’est ainsi que, dans la tradition chrétienne, le satanisme se confond avec le paganisme. Aujourd’hui encore, le baptême catholique est précédé d’une formule d’exorcisme, parce que dans les premiers siècles, un païen qui se convertissait devait d’abord reconnaître que les dieux qu’il vénérait étaient des démons, et s’arracher à son pouvoir.
Que notre diable est le produit de la diabolisation du paganisme est illustré par l’iconographie qui nous est familière. Pourquoi le Diable est-il représenté avec des cornes et des pieds de boucs ? C’est parce qu’il a pris les traits du dieu Pan, un dieu champêtre, originaire d’Arcadie, protecteur des bergers et inventeur de la flute. C’est là encore une illustration du fait que la figure du diable dans le christianisme est issue de la diabolisation des cultes préchrétiens. Même la figure de Mahomet subira le même sort au Moyen Âge, lorsqu’elle sera transformée en Baphomet lors du procès des Templiers.

Le nom de Lucifer est un autre exemple : c’est un mot latin qui signifie «porte lumière», que les Romains réservaient à la planète et déesse Vénus. Dans ce cas, toutefois, l’adoption de ce nom est liée à une autre source de la mythologie du diable : le récit de la chute des anges. Le nom Lucifer apparaît dans la traduction latine (dite Vulgate) du verset 14,12 du Livre d’Isaïe : «Comme tu es tombé du ciel, astre brillant [Lucifer en latin], fils de l’aurore ! Comme tu as été renversé jusqu’à terre, dompteur des nations !» Ce passage se réfère à un roi de Babylone, mais les pères de l’Église ont décidé de l’appliquer à Satan, identifié entre-temps à un archange rebelle tombé du Ciel.
Penchons-nous maintenant sur l’origine de cette théorie de la chute de l’archange Lucifer, qui a joué et joue encore un si grand rôle dans l’imaginaire chrétien.
L’ange déchu
La doctrine de la chute des anges ne se trouve ni dans l’Ancien Testament, ni dans le Nouveau. Elle a été élaborée dans les premiers siècles du christianisme, par des théologiens comme Justin de Naplouse, Irénée de Lyon, Tertullien de Carthage et Origène d’Alexandrie. On en trouve cependant l’ébauche dans L’Apocalypse de Jean, aux versets 12,7-9 :
«Alors, il y eut une bataille dans le ciel : Michel et ses anges combattirent le Dragon. Et le Dragon riposta, avec ses anges, mais ils eurent le dessous et furent chassés du ciel. On le jeta donc, l’énorme Dragon, l’antique Serpent, le Diable ou le Satan, comme on l’appelle, le séducteur du monde entier, on le jeta sur la terre et ses anges furent jetés avec lui».
Ce thème du combat entre puissances angéliques est tiré de la littérature apocalyptique juive de la période hellénistique, influencée par la cosmologie perse et par le néoplatonisme, mais s’appuyant également sur le très bref passage de la Genèse (6,1-4) évoquant des géants (Nephilim) nés de l’union des fils de Dieu (benei Elohim) avec les filles des hommes. Ce thème est élaboré dans la première partie du très populaire Livre d’Hénoch, intitulée «Le Livre des Veilleurs» et rédigée probablement à la fin du IIIe siècle av. JC.
Parmi les apocalypses juives, citons La Vie d’Adam et Ève (ou Apocalypse de Moïse, pour la version grecque), datée du Ier siècle avant ou après JC, et conservée uniquement dans des versions christianisées. On y lit que Dieu, après avoir créé Adam, a réuni les anges pour admirer son œuvre et leur a ordonné de se prosterner devant son chef-d’œuvre, l’homme. L’ange Michel obéit, mais Satan refuse : «Je n’adorerai pas celui qui est plus jeune que moi et inférieur. Je suis plus âgé que lui ; c’est lui qui doit m’adorer !»
Cette littérature juive, dite pseudépigraphique, est le trait d’union entre le judaïsme de la période hellénistique et le christianisme. Mais le mythe de la chute des anges qui y est développé connaît des versions alternatives, rejetées aussi bien par le judaïsme rabbinique que par le christianisme.
Il existe notamment un courant gnostique qui intègre cette thématique du combat des anges dans une cosmogonie complexe visant à expliquer comment le plan divin a été contrarié, et le monde matériel créé par accident. Dans cette version, c’est Yahvé, le créateur du monde matériel, qui est une entité angélique déchue ; il n’est pas seulement tombé dans le monde matériel, il l’a créé, pour devenir le «Prince de ce monde». Selon l’Apocryphon de Jean, daté du IIe siècle de notre ère, c’est un méchant archonte nommé Yaltabaoth, en lequel on reconnaît Yahvé, qui engendre le monde d’en bas et proclame : «Je suis un dieu jaloux, il n’y en a pas d’autre que moi». Puis il tente d’emprisonner Adam dans le Jardin d’Eden, un faux paradis. Mais le Christ lui envoie Ève pour libérer la lumière emprisonnée en lui en lui faisant consommer le fruit libérateur de l’Arbre de la Connaissance. Le Serpent du chapitre 3 de la Genèse est donc ici associé ou assimilé au Christ.
Ce texte, et d’autres du même genre, figurent parmi les manuscrits de Nag Hammadi retrouvés en Égypte en 1945, qui ont probablement été cachés en 367 par les moines du monastère de Saint-Pacôme, lorsque Athanase d’Alexandrie ordonna la destruction de la littérature non canonique. Cela démontre que ce courant de pensée, que l’on dit «gnostique», est resté influent jusqu’à cette date, et même encore un siècle plus tard, puisque des théologiens continuent de le dénoncer. Certaines sectes gnostiques enseignent, selon Irénée, que «la Mère divine utilisa le Serpent pour conduire Adam et Ève à désobéir aux ordres de Yaltabaoth et acquérir la connaissance, provoquant ainsi la colère de ce dernier, qui jeta alors le Serpent dans le monde inférieur, avec Adam et Ève». Selon Tertullien, ces gnostiques «magnifient le Serpent à un tel degré qu’ils le placent même devant le Christ (…). «Car c’est le Serpent, disent-ils, qui nous a donné l’origine de la connaissance du bien et du mal»». Vers l’an 400, dans Contre Fauste, Augustin dialogue avec un manichéen qui, tout en s’affirmant chrétien (et traitant Augustin de demi-chrétien pour n’avoir pas rejeté les écritures juives), voit dans le Serpent le symbole d’un principe divin (I,2).
Du point de vue d’un juif ou d’un chrétien, ces gnostiques inversent le mythe de la Genèse. Mais il faut comprendre que, de leur point de vue, c’est le récit de la Genèse qui est une inversion de la vérité, vérité qu’ils ne font que rétablir en remettant le récit à l’endroit. Qui croire ?
Il se trouve que la critique historique donne en partie raison aux gnostiques, car elle reconnaît dans le récit de la Genèse une attaque polémique contre le culte d’une divinité représentée par le Serpent. Plusieurs hypothèses ont été proposées pour identifier ce culte (je renvoie le lecteur à mon article «Qu’est-ce que le gnosticisme ?»). Le plus probable est cependant que la véritable cible du récit du Jardin d’Éden en Genèse 3 n’est pas un culte particulier, mais plutôt la croyance en la capacité donnée à l’homme d’accéder à la connaissance du bien et du mal par ses propres moyens. Cette croyance est moins gnostique que philosophique, et l’on n’est pas étonné que le philosophe Celse, contemporain de Marc Aurèle, dénonçait le dieu des juifs comme un ennemi du genre humain, «puisqu’il a maudit le serpent, de qui les premiers hommes reçurent la connaissance du bien et du mal» (Origène, Contre Celse VI,28). À la différence des gnostiques, les philosophes ne prennent pas Yahvé au sérieux, ni comme Dieu suprême, ni comme mauvais démiurge créateur du monde matériel : il n’est pour eux que le méchant «dieu des juifs».
En définitive, les gnostiques comme les philosophes dénoncent dans le récit biblique une ruse. Ils pourraient donc rétorquer à Baudelaire : «La plus belle ruse de Yahvé est de nous faire croire qu’il est Dieu alors qu’il est un démon malfaisant (ou une Idée malsaine)».
Le grand historien britannique Steven Runciman a écrit ceci sur les sectes gnostiques :
«la plupart des sectes divisaient l’humanité en trois catégories, suivant la mesure d’étincelles divines qui existait en chaque homme. Ces catégories étaient, selon Valentin : les Spirituels, qui étaient remplis de divinité, et auxquels il ne fallait pour être sauvés que la Gnose et les mots du mystère. (…) Ensuite les Psychiques, qui avaient dans l’âme une petite étincelle, mais n’étaient pas assurés du salut. Ils devaient faire le bien pour le mériter. (…) Enfin, il y avait les Matériels, hommes dépourvus de l’étincelle et qui retournaient inévitablement à la poussière d’où ils étaient venus».
Or, que dit Yahvé à l’homme en le chassant du Paradis ? «Tu es poussière et tu retourneras à la poussière» (Genèse 3,19). Tu n’es qu’un être matériel, aucune âme immortelle ne t’habite. Tel est le dogme premier de la religion de Moïse, véritable antireligion du point de vue des religions qui font de l’immortalité de l’âme le socle de la foi et de la morale. C’est une malédiction, en vérité, que Yahvé, le dieu d’Israël, a jeté sur son peuple. N’est-il pas le dieu maléfique par excellence ?
source : Kosmotheos