Mathieu Simonet, un écrivain la tête dans les nuages


Paris, reportage

Caché par un épais voile gris, le ciel semble avoir disparu : les nuages forment un bloc compact et filtrent la lumière. En cette après-midi de début mars à Paris, le printemps paraît encore loin. Pas blasé par la grisaille habituelle, Mathieu Simonet se dirige vers son balcon, dans son appartement du 20e arrondissement, et lève la tête vers le ciel. Cumulus, cirrus, altostratus ? « Je ne saurais dire de quelle forme de nuages il s’agit », prévient-il d’emblée, avant de s’asseoir. L’écrivain de 52 ans est pourtant devenu « Monsieur nuage » depuis qu’il milite pour la création d’un droit de ces amas de vapeur d’eau suspendus dans l’atmosphère.

Dans son septième roman La fin des nuages (éd. Julliard, 2023), Mathieu Simonet raconte comment le deuil de son mari Benoît — mort d’un cancer en 2020 et avec qui il a partagé sa vie pendant quinze ans — se transforme en combat pour la défense des nuages. Installé dans son canapé, l’homme aux cheveux bruns et à la barbe poivre et sel explique le point de départ de son histoire : « Je me suis intéressé aux nuages parce que Benoît — qui organisait les concerts du festival Fnac Live à Paris chaque mois de juillet — craignait qu’il pleuve lors de l’évènement. » Dans le récit, il se demande si le dernier souffle de Benoît en février 2020 a pu provoquer la pluie, cinq mois plus tard, le 1er juillet — date à laquelle les concerts auraient dû se tenir.

Quand les États veulent contrôler la pluie

Pourquoi l’ancien avocat s’est-il engagé dans une « bataille poético-juridique » pour les nuages ? Parce qu’aujourd’hui, « une cinquantaine de pays ensemence les nuages pour faire tomber la pluie en y introduisant de l’iodure d’argent », répond Mathieu Simonet. Début mars, Jakarta, en Indonésie, a d’ailleurs utilisé la méthode pour diriger la pluie hors des zones les plus critiques et ainsi alléger le poids des inondations qui touchaient la mégapole de 30 millions d’habitants.

Le procédé existe depuis les années 1940 : l’iodure d’argent agglomère les gouttelettes, formant des gouttes ou des flocons, selon la température. Face aux sécheresses aggravées par le dérèglement climatique, des États comme la Chine, l’Inde ou le Maroc tentent de contrôler la météo. « Depuis cinquante ans, la France a également recours à cette technique pour limiter les dommages causés par la grêle sur les récoltes », précise l’écrivain aux petites lunettes rondes. S’il ne se prétend pas spécialiste du sujet, il enquête tout de même dessus depuis trois ans.

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Au fur et à mesure de ses recherches, Mathieu Simonet a découvert que l’ensemencement des nuages a même été une arme pendant la guerre du Vietnam : « En 1966, l’armée américaine a voulu accélérer le processus de pluie pour provoquer des inondations et bloquer les routes contre les troupes Viêt Minh. » Aujourd’hui, seule une convention de l’ONU réglemente la manipulation des nuages, et ce uniquement à des fins militaires. Celle-ci a été ratifiée par 78 États « mais la France ne l’a jamais signée », souligne Mathieu Simonet.


L’auteur, qui est aussi avocat, plaide pour la reconnaissance d’un statut juridique aux nuages.
© Mathieu Génon / Reporterre

Bien que l’efficacité de l’ensemencement des nuages fasse débat parmi la communauté scientifique, le sujet devient un enjeu géopolitique avec des pays qui en accusent d’autres de voler des nuages, comme l’Iran avec Israël en 2018. Les effets sur l’environnement et la santé sont très peu documentés : « On sait seulement que l’iodure d’argent, accumulée en grande quantité, peut affecter les sols et les milieux aquatiques. »

En outre, jouer aux apprentis sorciers avec le climat peut se révéler très dangereux : déployée à grande échelle, cette technologie pourrait avoir des conséquences imprévues.

Lutter par la poésie

C’est pour toutes ces raisons que Mathieu Simonet milite pour avoir un débat sur l’ensemencement des nuages. « Mon but n’est pas de dire s’il faut interdire, encadrer ou ne rien faire. Mon rôle, c’est plutôt d’encourager les gens à se saisir de la question en attirant leur attention sur les nuages. » Pour se faire, il organise des « actions poético-politiques ».

L’écrivain a ainsi initié en 2022 la journée internationale des nuages le 29 mars. Ce jour-là, 600 enfants et adolescents du village de Saint-Soupplets (Seine-et-Marne) se sont allongés dans l’herbe pour regarder les nuages et écrire ce qu’ils voyaient. Elles et ils ont ensuite envoyé une lettre à l’ONU avec leurs descriptions de nuages. « Tous ces écrits constituent une pétition poétique pour réfléchir de manière collective à un droit des nuages », estime Mathieu Simonet.


«  Une action poétique, ce n’est pas seulement mignon, c’est efficace dans la lutte. C’est un moteur d’enthousiasme qui fédère les énergies et donne envie d’agir  », dit l’auteur.
© Mathieu Génon / Reporterre

La scène, qui a ému beaucoup de monde, s’est ensuite propagée, d’abord à Clermont-Ferrand, puis à Meyrin en Suisse, au Maroc, en Finlande et même en Australie. En trois ans, plus de 4 000 personnes issues d’une quinzaine de pays ont pris quelques minutes pour s’allonger dans l’herbe et décrire les nuages lors de la journée désormais dédiée. Pour Mathieu Simonet, cette expérience littéraire collective constitue une première étape avant la création d’un droit des nuages.

« En suscitant une émotion, ces actions poético-politiques sont un moyen d’attirer l’attention des gens », dit le quinquagénaire. Lui-même, lorsqu’il a entendu parler pour la première fois de l’ensemencement des nuages, « c’était par Monsieur Moo, un artiste qui fait pleuvoir les nuages, et j’étais fasciné par le côté romanesque du geste, c’est ça qui m’a ému ».


C’est en 1946 que des scientifiques étatsuniens ont mené les premières expériences d’ensemencement des nuages.
© Mathieu Génon / Reporterre

Il veut ainsi prouver qu’« une action poétique, ce n’est pas seulement mignon, c’est efficace dans la lutte, puisque c’est le point de départ à toute action. Surtout, c’est un moteur d’enthousiasme qui fédère les énergies et donne envie d’agir ».

Une fois l’émotion suscitée, vient le temps de ce qu’il appelle le « doute constructif ». « Là je n’ai plus ma place, c’est aux scientifiques de prendre le relais pour étudier l’ensemencement, c’est-à-dire savoir si ça fonctionne, ainsi que son impact. » Et enfin vient le temps de la lenteur relative où c’est au tour des juristes et du législateur de faire évoluer le droit et la loi.

Une personnalité juridique pour les nuages

En tant qu’ancien avocat, Mathieu Simonet imagine plusieurs pistes pour protéger les cirrus et cumulus. La première serait l’inscription des nuages au patrimoine mondial de l’Unesco. « Le problème, c’est que l’Unesco estime que les nuages ne relèvent pas de la Convention de 1972 sur la protection du patrimoine matériel car ils sont partout et mobiles. Par ailleurs, il n’existe aucune convention qui protège les biens naturels immatériels », indique Mathieu Simonet. Une piste éventuelle serait de considérer les nuages comme un patrimoine culturel immatériel, qu’une convention protège depuis 2003.

À côté de l’Unesco, une seconde possibilité serait de leur donner une personnalité juridique, comme cela existe déjà pour les fleuves. « Dans ce cas, on estime que le nuage est un être vivant avec des droits. Ses droits seraient défendus par un ministère naturel, un magistrat qui serait uniquement là pour protéger la nature, à l’instar du ministère public chargé de défendre la société. Ce magistrat prendrait en compte les intérêts des nuages, indépendamment de ceux des humains », imagine Mathieu Simonet.


Et si on inscrivait les nuages au patrimoine mondial de l’Unesco  ? suggère l’auteur.
© Mathieu Génon / Reporterre

Par ce triptyque — attention, doute constructif et lenteur relative —, il appelle à « faire de la politique autrement, loin du clash, de la sur-confiance en nos opinions et de l’immédiateté de nos réactions ».

En attendant, des choses s’organisent au niveau local. Par exemple, le maire de Florange en Moselle a pris en 2024 un arrêté qui interdit « tout acte susceptible d’altérer volontairement la constitution, la composition ou la trajectoire des nuages au-dessus du territoire de la ville ». Une initiative qui sera peut-être suivie par d’autres élus, espère l’auteur.

Il se rend aussi régulièrement dans des collèges pour aborder l’ensemencement des nuages. Ainsi, début 2025, les élèves du collège d’Othe et Vanne dans l’Aube ont voté pour l’encadrement de l’ensemencement des nuages dans l’enceinte de l’établissement. L’objectif est là encore d’encourager d’autres établissements scolaires à se saisir de la question.

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La fin des nuages, de Mathieu Simonet, aux éditions Julliard, 2023, 208 p., 20 euros.



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