En Belgique, il faut encore se battre pour le droit à l’avortement


Si pour certains la bataille semble gagnée, d’innombrables obstacles continuent d’entraver l’accès à l’avortement en Belgique. Criminalisation, stigmatisation, discrimination et marginalisation empêchent des centaines de personnes d’accéder chaque année à un cadre médical sécurisé. Dans un dossier alarmant, Amnesty International détaille pourquoi il est toujours essentiel de se battre pour le droit à l’avortement en Belgique.

« On n’est pas libre si on ne peut pas prendre les décisions concernant son propre corps. On n’est pas libre si on ne peut pas prendre les décisions concernant son avenir », c’est par ces mots forts que commence le nouveau dossier d’Amnesty International Belgique francophone, dédié aux entraves à l’accès à l’avortement dans le plat pays.

Campagne Amnesty International Belgique francophone.

Mon corps, mon choix

À travers une campagne médiatique lancée cet été, plusieurs articles et de nombreuses interpellations publiques, les militants espèrent faire entendre leur revendication et faire bouger le monde politique :

« il est essentiel que les lois relatives à l’avortement respectent, protègent et mettent en œuvre les droits humains des personnes enceintes et ne les contraignent pas à avorter dans des conditions dangereuses. »

Amnesty International a notamment réalisé une vidéo mettant en scène la chanteuse Nsangu interprétant une chanson originale (bilingue français-néerlandais), qui interpelle les parlementaires belges sur la nécessité de protéger et promouvoir le droit fondamental à l’avortement en Belgique. 

« D’innombrables obstacles continuent d’entraver l’accès à l’avortement, notamment la criminalisation, la stigmatisation sociale, la discrimination intersectionnelle et la marginalisation », énumère Amnesty.

« Dans la loi belge, des sanctions pénales existent à l’encontre des femmes et du personnel soignant qui ne respectent pas les dispositions légales, des entraves importantes à l’accès à l’avortement subsistent et des discriminations notables persistent, notamment envers les personnes LGBTQIA+, envers les personnes sans-papiers ou encore celles issues de milieux précarisés et marginalisés. »

Résultats : des centaines de personnes sont encore forcées chaque année de subir des grossesses non désirées, ou de partir à l’étranger le temps d’un avortement refusé dans leur pays de résidence. Une situation intenable, selon les militants, qui appelle à un « tournant décisif » dans l’évolution de la loi. 

Des conditions jugées trop restrictives

En Belgique, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est partiellement dépénalisée depuis la loi Lallemand-Michielsen de 1991, autorisant l’avortement jusqu’à 12 semaines de grossesse sous certaines conditions. En 2018, une réforme déplace l’avortement hors du Code pénal, une étape majeure vers la décriminalisation complète de l’acte médical.

« Toutefois, l’IVG n’est pratiquée que sous certaines conditions définies par la loi et reste criminalisée au-delà de 12 semaines, exposant personnes enceintes et soignants à des sanctions pénales », rappelle le dossier. Au-delà de ces conditions, et sauf en cas de menace grave pour la santé de la personne enceinte ou de malformation du fœtus, l’avortement n’est plus possible dans un cadre médical sécurisé. 

Flickr.

Selon un rapport émis par un comité scientifique mandaté par le gouvernement en  2023, le délai légal de 12 semaines post-conception entraîne une configuration qui « a pour conséquence une dynamique quasi automatique de voyages vers les Pays-Bas à des fins abortives de femmes belges confrontées à une grossesse non désirée ». En 2021, elles étaient plus de 370 à se rendre dans ce pays voisin.

« Or, la nécessité d’entamer un voyage afin d’accéder à un avortement après le délai légal entraîne des coûts et obstacles pouvant priver certaines personnes d’un accès aux services en la matière – et touche de manière disproportionnée les personnes issues de milieux précarisés et/ou marginalisés », explique l’association.

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Une atteinte au droit à la vie et la santé de milliers de personnes

En plus du délai maximal d’intervention, toute personne désireuse d’avorter en Belgique devra se conformer à d’autres critères énoncés par la loi. D’abord, un délai de six jours de réflexion doit être respecté entre la première consultation prévue et le jour de l’IVG. Ensuite, le personnel soignant est dans l’obligation d’informer le bénéficiaire de soin des différentes possibilités d’accueil de l’enfant, et notamment de l’adoption. 

Pour l’organisation, cette criminalisation partielle de l’avortement et des conditions jugées trop restrictives ne font pas « disparaître » ces actes médicaux, « elle les rend juste plus dangereux, portant ainsi atteinte aux droits à la vie et à la santé de milliers de personnes ».

16.702 avortements ont été déclarés en 2021 en Belgique d’après le nouveau rapport de la Commission nationale d’évaluation de l’interruption volontaire de grossesse. – Crédits photo : Pixabay

Au-delà de l’encadrement légal, d’autres obstacles se dressent concrètement devant les femmes et personnes enceintes désireuses de mettre un terme à leur grossesse : pénurie de personnel de santé, refus de prodiguer des soins, discrimination financière et pression sociale.

En outre, les hommes et des garçons intersexes, transgenres et non-binaires qui peuvent également avoir une grossesse et avoir besoin d’avorter ne sont pas reconnus par la loi actuelle, qui ne mentionne textuellement que l’avortement des femmes. Amnesty défend que :

Parler des « personnes enceintes » (…) permettrait de lutter contre ces discriminations croisées dans l’accès à un avortement sécurisé »

Un plaidoyer pour relancer le débat politique

Finalement, l’organisation de défense des droits humains plaide pour une dépénalisation totale de l’avortement en Belgique. Elle demande également que les obstacles qui entravent l’accès à l’avortement soient supprimés afin de permettre l’accès de toutes les personnes enceintes à des soins de santé de qualité et prodigués dans des conditions sûres. Cela comprend notamment l’allongement du délai légal maximum d’intervention, la suppression du délai de réflexion et la reconnaissance explicite de l’avortement en tant que soin de santé.

Malgré les engagements politiques pris par l’ancienne majorité gouvernementale en 2020 et les recommandations du comité scientifique en charge de l’évaluation de la loi et de la pratique de l’avortement en Belgique trois ans plus tard, aucune avancée législative n’a jusqu’à maintenant eu lieu. Une situation attribuée aux « logiques partisanes et convictionnelles continuant de primer sur l’intérêt des citoyennes belges » par certaines associations. 

Au sein de l’UE, même combat

Ailleurs en Europe, la bataille en faveur du droit à l’avortement se poursuit également. « Dans les 49 pays de la région européenne, 44 ont légalisé l’avortement », explique Leah Hoctor, directrice régionale pour l’Europe du Centre pour les droits reproductifs (CRR), dans un article de la RTBF. Pourtant, 20 millions de personnes ne disposent toujours pas d’une possibilité d’avortement sûre et accessible au sein de l’Union européenne (UE). 

Au Portugal par exemple, de nombreux médecins se déclarent objecteurs de conscience, ce qui oblige les établissements de santé à rediriger les patientes ailleurs. Rien qu’en 2023, 530 femmes y résidant ont eu recours à une IVG dans des cliniques frontalières de Vigo et de Badajoz en Espagne, explique Diana Pinto, coordinatrice nationale de la campagne My Voice, My Choice. Pourtant, en Espagne aussi des barrières existent : entre 2011 et 2020, 45 000 femmes espagnoles ont dû se rendre en dehors de leur province pour avorter, rapportait RTVE en 2022.

Pour faire changer la loi et inciter le monde politique à passer des promesses à l’action, Amnesty lance une pétition qui a déjà recueilli plus de 20 000 signatures.

– Lou Aendekerk


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