Ravagée par les incendies, la Gironde reprend vie


Hostens (Gironde), reportage

« Avant, c’était une forêt », indique Elsa Barré, cheffe de projet Forêt au département de la Gironde, devant une vaste plaine de 60 hectares, égayée par des fleurs jaunes d’ajoncs, des touffes de bruyères et quelques chandelles de troncs calcinés. À quelques kilomètres à l’est de la commune d’Hostens, dans le sud de la Gironde, les incendies de 2022 n’ont pas seulement traumatisé les habitants. Les paysages ont aussi été considérablement remodelés, tandis que la faune et la flore semblent connaître une reprise contrastée.

En 2022, deux incendies ont ravagé 32 000 hectares du massif des Landes de Gascogne, du jamais-vu depuis 1949. « À l’époque, il n’y avait pas de suivi de la biodiversité post-incendie, explique à Reporterre Jean-Luc Gleyze, président du département de la Gironde (Parti socialiste). C’est donc l’occasion de débuter aujourd’hui ce travail, afin de savoir comment la nature se réapproprie les zones incendiées. »


Les plans mis en œuvre visent à limiter la monoculture du pin maritime, qui facilite la propagation des incendies.
© Alban Dejong / Reporterre

Le 12 mars, le département lançait officiellement un inventaire biologique post-incendie du massif des Landes de Gascogne. Ce travail, en partenariat avec un consortium d’associations et le Conservatoire botanique national Sud-Atlantique (CBNSA), recouvre l’espace naturel sensible d’Hostens et des lagunes du Gât Mort, soit une superficie de 482 hectares. En 2022, 71 % de cette surface a été touchée par les incendies. Propriété du département depuis 1967, la zone offrait une grande diversité de milieux : zones lacustres avec leurs végétations aquatiques ou amphibies, landes humides, prairies, roselières, tourbières, forêts…

Une zone surveillée depuis longtemps

À la Fosse des demoiselles, au cœur de la réserve, Anthony Le Fouler est en plein comptage de la flore. Dans une placette de sept mètres sur sept délimitée par une corde blanche, le botaniste du CBNSA répertorie et quantifie toutes les espèces de végétaux poussant sur le sol noirâtre. Située dans une tourbière, cette zone était déjà surveillée par les écologues avant l’incendie du fait de ses multiples intérêts.

« Les tourbières sont des puits de carbone, des régulateurs de crues et un patrimoine botanique », détaille le scientifique, tenant une balise GPS qui permet de retrouver la placette d’une année sur l’autre. Dans les Landes de Gascogne, ce milieu est devenu particulièrement rare du fait des aménagements hydrologiques lancés sous Napoléon III pour « assainir » la région dans la seconde moitié du XIXe siècle.


Le paysage de landes qui existait jusqu’au XIXe siècle dans la région reste visible par endroits.
© Alban Dejong / Reporterre

Les zones humides et de bruyères, jusqu’alors abondamment présentes et qui ont donné leur nom de « landes » au territoire, avaient une réputation malsaine de propagatrices du paludisme. Asséchées, elles ont été massivement plantées de pins maritimes, qui ont donné naissance à la plus grande forêt artificielle d’Europe, vaste d’un million d’hectares.

Cette tourbière suivie par Anthony Le Fouler n’a elle non plus rien de naturel. À sa place se tenait une ancienne carrière de lignite, dont l’exploitation a pris fin en 1964. La fosse inondée a peu à peu été reconquise par la nature et un écosystème de tourbière s’y est installé. La présence de lignite dans son sol a toutefois prolongé la présence de feux souterrains, dont les derniers foyers ont été seulement éteints en novembre 2024.

La composition des sols modifiée depuis les incendies

Les observations du scientifique sur ce site sont prometteuses. La présence du lycopode inondé, petite fougère inscrite sur la liste des espèces protégées au niveau national, et de la sphaigne papilleuse, une mousse poussant en butte, est le signe d’une reprise de la flore propre aux tourbières. « Ce sont des plantes de cicatrisation des tourbières, dit le scientifique. Leur retour était attendu après le passage du feu. Les incendies existent depuis la nuit des temps, tout comme les plantes pionnières. »


Le lycopode inondé est l’une des premières plantes à réapparaître dans les tourbières après un incendie.
© Alban Dejong / Reporterre

Certaines d’entre elles, comme la molinie, poussant en touffe avec des tiges de couleur paille, sont même considérées comme pyrophiles. « Non pas que la molinie aime le feu, explique Anthony Le Fouler. Mais, du fait de sa structure en touffe, son cœur n’est pas atteint par un feu passant à toute vitesse. Après un incendie, elle est donc parmi les premières plantes à redémarrer. »

Cette reprise biologique sur la Fosse des demoiselles porte toutefois des incertitudes. Le sol, normalement très acide, pourrait avoir été bouleversé par les feux. Les cendres riches en potassium, ainsi que le retardant concentré en phosphore utilisé par les pompiers, pourraient l’avoir « enrichi » avec des composants plus basiques. La population de lézards vivipares, espèce emblématique des zones humides, semble avoir été particulièrement affectée : un seul spécimen a été observé depuis 2024.

Une étude plus approfondie du mode de passage du feu est aussi un paramètre à intégrer dans la compréhension de la reprise biologique. « Les feux passant rapidement en surface n’ont pas les mêmes effets que les feux stagnants qui ont pénétré le sol », décrit Anthony Le Fouler. La spiranthe d’été, une espèce d’orchidée dont le bulbe est implanté profondément dans le sol, semble avoir survécu aux incendies qui ont traversé la tourbière. Mais d’autres espèces, comme la centenille naine, une petite plante aux feuilles ovales, n’ont plus été observées depuis 2022.

Le feu comme accélérateur

La possible disparition de certaines espèces dans la réserve biologique peut pousser le département à une intervention beaucoup plus volontariste. Depuis le 12 mars, son mode de gestion a été actualisé, avec 10 % de sa surface — majoritairement des zones forestières de feuillus — laissée en libre évolution. Les 90 % restants sont classés en réserve biologique dirigée, autorisant des interventions pour faciliter la visite du public, la réintroduction d’espèces ou l’écopâturage.

L’un des objectifs de cette gestion interventionniste sera notamment de maintenir des espaces ouverts. « Les landes sont un milieu reconnu comme d’intérêt communautaire au niveau européen, explique Elsa Barré. La volonté de restaurer ces milieux en convertissant notamment les pinèdes existait déjà avant les incendies. Les feux ont permis d’accélérer cette démarche. »

« Il existe clairement des convergences entre les objectifs de biodiversité et de prévention des incendies »

L’ancienne forêt à l’est d’Hostens, devenue une prairie, sera par exemple maintenue en un espace ouvert par de l’écopâturage avec des vaches marines originaires des Landes de Gascogne. « La biodiversité est souvent plus riche en milieu ouvert qu’en milieu fermé composé de monocultures de pins maritimes », dit Anthony Le Fouler. D’après les premières observations de scientifiques, ces nouvelles prairies ont permis l’installation d’oiseaux comme le pipit rousseline, l’alouette des champs ou l’alouette lulu.


Le botaniste Anthony Le Fouler répertorie toutes les espèces de végétaux poussant sur les zones touchées par les incendies.
© Alban Dejong / Reporterre

« Mais, sans intervention humaine, ces espaces vont se refermer du fait de la progression naturelle des forêts », estime Elsa Barré. La surveillance des scientifiques sur ces milieux remodelés par les feux est d’autant plus cruciale qu’ils sont toujours propices à l’installation d’espèces exotiques envahissantes, comme la vergerette du Canada, avec ses fleurs en forme de lanternes, qui prend ses marques entre les ajoncs en fleurs.

Ce nouveau mode de gestion de la réserve entend allier préservation des patrimoines biologique et paysager et prévention du risque d’incendie. « Dans le massif des Landes de Gascogne, on sait que la monoculture des pins maritimes présente un risque plus important d’incendie que les milieux ouverts, précise Elsa Barré. Il existe clairement des convergences entre les objectifs de biodiversité et de prévention des incendies. »



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *