C’est un nouveau rebondissement dans l’interminable feuilleton de la programmation énergétique française. Face à l’indignation de parlementaires de tous bords, le Premier ministre François Bayrou a annoncé le 2 avril au Figaro la tenue d’un débat au Parlement. Un exercice très attendu par la droite et l’extrême droite, qui y voient l’occasion de raboter les objectifs de déploiement des énergies renouvelables au profit du nucléaire. Ce débat ne sera toutefois pas suivi de vote et sa date n’a pas encore été fixée.
François Bayrou a aussi annoncé le sauvetage de la proposition de loi de programmation énergétique du sénateur des Vosges Daniel Gremillet (Les Républicains, LR), qui devrait être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Le texte avait été adopté au Sénat le 16 octobre dernier. Il fait la part belle à l’atome au détriment des énergies renouvelables, avec un maintien de la part du nucléaire dans la production d’électricité à plus de 60 % à l’horizon 2030.
Les énergies fossiles en question
Il ambitionne aussi de « tendre vers » 27 gigawatts (GW) de nouvelles capacités installées de production d’électricité d’origine nucléaire d’ici 2050, ce qui correspondrait à la construction d’au moins 14 réacteurs nucléaires et 15 petits réacteurs modulaires (SMR) d’après la proposition originelle de Daniel Gremillet.
Cette proposition de loi avait été soutenue à contrecœur par le gouvernement : l’ex-ministre chargée de l’Énergie Olga Givernet avait salué une convergence « sur un certain nombre de points », malgré une « réelle divergence » sur « l’objectif d’un mix majoritairement nucléaire en 2050 ». Il ne figurait cependant pas dans l’ordre du jour de l’Assemblée nationale transmis au Parlement le 18 février.
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Ces déclarations interviennent alors que la programmation pluriannuelle de l’énergie 2025-2035 (PPE 3) doit être adoptée par décret courant avril, comme l’a confirmé Matignon au Figaro. Cette feuille de route de 221 pages fixe les grands objectifs énergétiques de la France pour 2035, notamment en matière d’énergies fossiles.
Ces dernières ne devraient plus représenter que 30 % de la consommation énergétique finale à cette date, contre environ 60 % en 2023, et de déploiement des énergies renouvelables : 65 à 90 GW de capacité photovoltaïque en 2035 (contre 19,3 GW en 2023), 40 à 45 GW d’éolien terrestre, 18 GW d’éolien en mer (contre 0,84 GW en 2023), etc.
Bronca chez les parlementaires
Sauf que le choix du gouvernement de valider la PP3 par décret a entraîné une levée de boucliers chez les parlementaires, outrés d’être court-circuités de la sorte. En effet, le Code de l’énergie stipule qu’« avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d’action de la politique énergétique nationale ».
Las, l’élaboration de cette loi a été repoussée à de nombreuses reprises, en raison d’un contexte politique difficile, lié à l’absence de majorité à l’Assemblée nationale et la dissolution. L’exécutif avait finalement opté pour une loi de souveraineté énergétique, qu’il avait définitivement enterrée en avril 2024.
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Des parlementaires de tous bords avaient alors tenté d’organiser eux-mêmes le débat en déposant des propositions de loi de programmation énergétique ces derniers mois : celle de la députée (Les Écologistes) de Loire-Atlantique Julie Laernoes, adoptée en commission des affaires économiques le 27 mars dernier ; celle de l’ex-député (Liot) Benjamin Saint-Huile, qui n’avait toutefois pas été inscrite à l’ordre du jour de la niche parlementaire du groupe en juin dernier ; et évidemment celle de Daniel Gremillet.
Le travail parlementaire ignoré
La fronde s’est intensifiée à l’approche de la publication du décret. « Ce projet de PPE 3 ne tient pas compte des conclusions de la commission d’enquête du Sénat sur la production, la consommation et les prix de l’électricité ni de la proposition de loi […] adoptée au Sénat le 16 octobre dernier. Le travail parlementaire […] ne peut être à ce point ignoré surtout dans le contexte politique actuel. Aussi nous vous demandons de renoncer à la publication de ce décret », ont écrit à François Bayrou plus de 160 sénateurs, dans un courrier du 11 mars dévoilé par Contexte.

La proposition de loi de programmation énergétique des Républicains fait la part belle à l’atome, au détriment des énergies renouvelables.
Pixabay/CC
Une nouvelle offensive a eu lieu lors de l’examen du projet de loi de Simplification de la vie économique en commission spéciale : un amendement du député (Horizons) d’Indre-et-Loire Henri Alfandari prévoit qu’« une seule loi de programmation pluriannuelle de l’énergie […] déterminera les objectifs de production d’énergie décarbonée et fixera les priorités d’action de la politique énergétique nationale pour les soixante années à venir » avant le 1er juillet 2026 — une formulation qui sape la légalité des PPE. Il a été adopté le 26 mars contre l’avis du gouvernement. Le projet de loi de Simplification sera examiné en séance plénière à l’Assemblée nationale le 8 avril.
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Dans ce jeu parlementaire, le Rassemblement national (RN) n’est pas en reste. En visite à l’EPR de Flamanville (Manche) le 11 mars, la députée du Pas-de-Calais et ex-patronne du RN Marine Le Pen a appelé François Bayrou à renoncer à son projet de décret PPE 3, lequel serait trop favorable aux énergies renouvelables « intermittentes ».
« Bayrou, il commence à m’énerver. S’ils mettent en œuvre ce plan de 37 milliards d’euros de RTE [le gestionnaire national du réseau de transport d’électricité] pour raccorder les éoliennes en mer par décret, sans passer par le vote, je vais me fâcher », a-t-elle dit au Figaro Magazine, laissant planer la menace d’une censure du gouvernement.
L’urgence de la planification
Quelques jours plus tard, le parti d’extrême droite promettait de reprendre à son compte la proposition de loi de Daniel Gremillet. « Le RN sait très bien que si la PPE 3 n’est pas adoptée très vite, ce ne sera pas le nucléaire qui sera le plus impacté, mais les énergies renouvelables qui ont besoin d’appels d’offres et de soutien public pour se déployer », analyse Bastien Cuq, responsable énergie au Réseau Action Climat (RAC).
« C’est un sujet sur lequel
vous n’avez que des postures »
Si François Bayrou semble avoir en partie cédé, le gouvernement répugne toujours à l’idée d’un débat parlementaire sur une loi de programmation énergétique. « On va se foutre sur la gueule, ça va être horrible, prédit une source gouvernementale. Personne n’a envie de discuter d’un truc sur lequel il va y avoir une empoignade généralisée […] C’est un sujet sur lequel vous n’avez que des postures. »
De son côté, le RAC défend la publication du décret. « La PPE 3 est en concertation depuis très longtemps. C’est un document très complet, qui s’appuie sur les travaux de modélisation des services de l’État en concertation avec énormément d’acteurs — des représentants de toutes les filières, des ONG et des politiques », rappelle Bastien Cuq.
Repousser encore la planification énergétique pour se laisser le temps d’un débat parlementaire risquerait de porter un coup fatal à certaines filières : « Les projets sont longs, les acteurs ont besoin que les appels d’offres soient cadrés et lancés le plus tôt possible, de même que les industriels ont besoin de savoir quel volume d’énergie sera disponible et à quel prix. »
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