Dans les enquêtes d’opinion, la formulation des questions et les échelles de réponse influencent fortement les résultats. Il est donc utile de comparer l’échelle d’opinion « très défavorable » à « très favorable » avec option de non-réponse utilisée par le sondage France-Soir/BonSens.org de février et mars 2025 à l’échelle « très mauvaise opinion » à « excellente opinion » utilisée par l’IFOP pour Paris Match en mars 2025.
Cet article analyse les biais induits par l’échelle IFOP – notamment sur la personnalisation implicite de l’échelle utilisée– et propose une réflexion sur l’échelle sociologiquement préférable pour les sondages, illustré par une interprétation des différences qui existent sur deux personnalités : Emmanuel Macron et Gabriel Attal.
Comparaison des deux échelles
Le sondage France-Soir/BonSens.org propose une échelle qui mesure une attitude générale avec des gradations et des options d’abstention .: « très défavorable », « défavorable », « favorable », « très favorable », « je n’ai pas entendu parler de cette personne » et « je n’ai pas d’avis ». Une sociologue spécialiste des études explique :
« la connotation associée à l’usage d’une telle échelle est neutre et analytique, avec des gradations pour l’intensité et des options pour éviter des réponses forcées. Elle permet une évaluation de l’inclination (soutien ou rejet) avec prise en compte de l’ignorance ou de l’indifférence ».
Par exemple : le 27 mars 2025, Emmanuel Macron obtient 70 % d’avis défavorables (42 % « très défavorable », 28 % « défavorable ») et 20 % d’avis favorables (3 % « très favorable », 17 % « favorable »), avec 9 % de « pas d’avis ». Dans la vague de février 2025, Marine Le Pen affiche 41 % d’avis favorables (21 % « très favorable »), et Jean-Luc Mélenchon 76 % d’avis défavorables (63 % « très défavorable »).
L’IFOP dans le « tableau de bord des personnalités » de mars 2025, utilise une échelle qui comprend les évaluations d’opinion de « très mauvaise », « mauvaise », « bonne », « excellente » à « ne la connaît pas » et « ne se prononce pas ». « Elle évalue la qualité perçue de l’opinion et apporte une connotation plus émotionnelle, un jugement que l’on peut qualifier de qualitatif avec « mauvaise » suggérant un rejet net portant sur la personne et « excellente » une admiration forte » explique la sociologue.
Exemple : Macron récolte 65 % d’avis négatifs (34 % « très mauvaise », 31 % « mauvaise ») et 35 % de « bonne opinion » (6 % « excellente », 29 % « bonne »). Marine Le Pen atteint 42 % de « bonne opinion » (13 % « excellente »), et Jean-Luc Mélenchon 31 % (9 % « excellente »), mais avec 37 % « très mauvaise ».
Quelles sont les différences clés ?
L’échelle utilisée par France-Soir/BonSens.org mesure « une inclination graduée en essayant de ne pas personnaliser l’avis » alors que l’IFOP s’exerce à « mesurer la qualité de l’opinion » décrit la sociologue. « En termes de granularité, les deux proposent quatre niveaux principaux et des non-réponses, mais cependant dans sa tonalité l’échelle « défavorable/favorable » est neutre, alors que « mauvaise/excellente » est « plus expressif et chargé émotionnellement » tel que le décrypte l’experte.
Et elle ajoute : « Très défavorable » (42 % pour Macron chez France-Soir) et « très mauvaise » (34 % chez IFOP) différent « donc en intensité émotionnelle ; « excellente » (6 % pour Macron) dépasse « très favorable » (3 %) en enthousiasme – « cela pose ici un réel problème, car normalement excellent est supérieur à très favorable, et donc on peut questionner les biais liés à l’évaluation utilisée par l’IFOP . Surtout dans son analyse relative. »
En effet, 6 % d’excellente opinion pour Macron dans l’échelle IFOP peut être mis en perspective des 13 % obtenus par Marine le Pen. Quand on met rapporte cela aux données du sondage France-Soir/BonSens.org, Marine Le Pen a 24 % d’avis très favorable et Macron seulement 3 %. Coté IFOP, on a donc un ratio d’un facteur deux et de l’autre d’un facteur 8. En se penchant sur les opinions négatives, Macron reçoit 34 % de « très mauvais »et Marine Le Pen 30 % dans le sondage IFOP alors que dans le sondage FS/BS Macron a 42 % d’avis très défavorable et Marine le Pen 34 %. Une analyse plus fine par strate devrait être effectuée, mais les données IFOP ne sont pas disponibles.
Comparaison sur Gabriel Attal
Les deux sondages montrent un rejet majoritaire (51-53 %), mais l’échelle utilisée par France-Soir/BonSens.org indique une hostilité plus marquée (28 % « très défavorable » vs 19 % « très mauvaise »).
Le décalage ne peut pas s’expliquer uniquement par l’échelle, surtout si l’on considère les éléments en termes de relativité. Il faudra donc aller chercher dans le profil des réponses et les biais induits par l’échelle. La différence de taille d’échantillon 1200 pour France-Soir, fournit ainsi une meilleure base statistique que celle de l’IFOP avec 1002 sondés.
L’IFOP capte une appréciation qualitative plus nuancée (39 % « bonne opinion » vs 34 % « favorable »). Le décalage peut s’expliquer par le contexte de quelques semaines d’écart entres les mesures ou la taille des échantillons (1200 vs 1002 répondants).
Comparaison des résultats : Macron comme référence
Le rejet parait identique, 65 % pour IFOP et 70 % mais à ce niveau d’échantillon une telle différence est statistiquement significative. Le sondage France-Soir/BonSens.org montre une opinion plus défavorablement intense (42 % vs 34 %) – le sondage IFOP semble être plus favorable à Macron.
Y-aurait-il donc une surestimation des opinions positives dans le sondage IFOP de 15 % à 71 % et une sous évaluation des opinions négatives de 5 % à 19 %
Analyse des biais induits par la personnalisation de l’échelle « très mauvaise » à « excellente »
L’échelle « très mauvaise opinion » à « excellente opinion » de l’IFOP, bien qu’elle permette une évaluation qualitative, « pose des problèmes significatifs en raison de sa formulation » explique la sociologue. Le terme « mauvaise opinion » personnalise l’évaluation en renvoyant « implicitement à un jugement sur la personne » elle-même, et « non uniquement sur ses actions, son rôle ou ses performances » ajoute-t-elle. Cette personnalisation amplifie plusieurs biais chez les sondés que l’experte décrypte :
- Biais de personnalisation et de moralisation : dire qu’on a une « mauvaise opinion » de quelqu’un peut être perçu comme un jugement moral ou personnel, comme si la personne elle-même était « mauvaise » (ex. : 34 % « très mauvaise » pour Macron). Cela diffère de « défavorable », qui reste plus neutre et axé sur une inclination générale. « Ce biais pousse les sondés à projeter des jugements éthiques ou émotionnels, rendant les réponses plus subjectives et moins rationnelles ». Par exemple, les 19 % de « très mauvaise opinion » pour Attal chez IFOP peuvent refléter un rejet personnel, et non une critique de ses actions politiques.
- Biais de désirabilité sociale amplifié : la connotation morale de « mauvaise opinion » « peut dissuader les répondants d’exprimer un avis négatif, surtout dans des cultures où critiquer une personne (plutôt qu’une idée) est perçu « comme impoli ou conflictuel » rajoute la sociologue.
En France, où la politesse sociale joue un rôle, cela peut sous-représenter les avis négatifs extrêmes (ex. : 19 % « très mauvaise » pour Attal, contre 29 % « très défavorable » chez France-Soir). À l’inverse, « excellente opinion » (8 % pour Attal) peut être surévaluée pour signaler une conformité à des normes sociales positives.
- Biais de projection émotionnelle : la personnalisation de l’échelle IFOP peut inciter les sondés « à projeter leurs émotions ou frustrations personnelles sur la personne évaluée, plutôt que de se concentrer sur des critères objectifs » établit l’experte.
Par exemple, les 34 % de « très mauvaise opinion » pour Macron peuvent inclure des jugements influencés par des ressentiments personnels ou des stéréotypes, plutôt qu’une évaluation de sa politique. Cela contraste avec France-Soir, où « défavorable » (42 % pour Macron) permet une critique plus détachée.
- Contexte culturel et sous-déclaration : « En France, où la critique personnelle peut être mal vue, dire qu’on a une « mauvaise opinion » d’une personne est plus engageant que dire qu’on a une opinion « défavorable ». Cela peut entraîner une sous-déclaration des avis négatifs extrêmes (ex. : 19 % « très mauvaise » pour Attal chez IFOP vs 29 % « très défavorable » chez France-Soir), car « les personnes interrogées hésitent à juger la personne elle-même » conclut la sociologue sur les biais.
Quelle échelle est sociologiquement préférable pour les sondages ?
Du point de vue sociologique, l’échelle « très défavorable » à « très favorable » (France-Soir) est « généralement préférable pour plusieurs raisons » explique l’experte. Elle l’explique de la manière suivante :
- Caractéristiques de neutralité et d’objectivité : les termes « défavorable » et « favorable » sont « moins chargés émotionnellement et moralement » que « mauvaise » et « excellente ». Ils permettent aux sondés de se concentrer sur leur inclination générale (soutien ou rejet) sans impliquer un jugement personnel ou moral sur la personne. Cela réduit les biais de personnalisation et de moralisation, rendant les réponses plus objectives et comparables.
- Flexibilité et inclusion des non-réponses : l’échelle de France-Soir, avec ses options « je n’ai pas entendu parler de cette personne » et « pas d’avis » (ex. : 15 % pour Attal), évite de forcer les sondés à donner un avis sur des figures qu’ils ne connaissent pas ou sur lesquelles ils n’ont pas d’opinion. La sociologue explique que cela reflète mieux « la réalité sociale, où l’ignorance ou l’indifférence sont des positions légitimes, et réduit le risque de réponses biaisées ou aléatoires ».
- Granularité sans polarisation excessive : les gradations « très défavorable » et « très favorable » offrent une nuance suffisante pour capter l’intensité des opinions, mais sans pousser à une polarisation excessive comme le font « très mauvaise » et « excellente » (19 % vs 8 % pour Attal chez IFOP). L’experte ajoute que cela permet « une analyse plus fine des tendances sans exacerber les clivages émotionnels ».
- Adaptation au contexte culturel
En France, où la critique personnelle peut être mal perçue, une échelle neutre comme « défavorable/favorable » est mieux acceptée et encourage des réponses plus sincères. D’après la sociologue, cela « évite le sentiment de culpabilité ou de jugement moral » que peut induire « mauvaise opinion », qui semble accuser la personne elle-même.
- Comparabilité et universalité : l’échelle « défavorable/favorable » est largement utilisée dans les sondages internationaux (ex. : Gallup, Pew Research), ce qui facilite la comparabilité des données à travers différents contextes et cultures. En revanche, « mauvaise/excellente » est plus contextuelle et subjective, ce qui peut compliquer les comparaisons.
Quelles implications pour la conception des sondages ?
Pour une analyse sociologique fiable, l’échelle « très défavorable » à « très favorable » serait préférable, car elle minimise les biais émotionnels et moraux tout en offrant une flexibilité pour les non-réponses. Cependant, même avec cette échelle, il est utile de préciser les critères d’évaluation (ex. : « favorable en tant que leader politique ») pour éviter les ambiguïtés en ajoutant d’autres questions de validation ou de calibration.
Les échelles France-Soir/BonSens.org (« très défavorable » à « très favorable ») et IFOP (« très mauvaise » à « excellente ») diffèrent donc par leur neutralité et leur expressivité, comme vu avec Attal (51-52 % négatifs) et Macron (65 % négatifs). L’échelle IFOP, en personnalisant l’évaluation, introduit des biais significatifs (personnalisation, moralisation, cadrage), rendant les réponses plus subjectives et émotionnelles.
Sociologiquement, « l’échelle « défavorable/favorable » est préférable pour sa neutralité, sa flexibilité et sa capacité à refléter les opinions de manière plus objective et comparable » exprime l’experte tout en ajoutant que « ces outils révèlent la complexité des opinions, mais leur fiabilité dépend d’un design attentif aux dynamiques sociales et culturelles ».
Contacté par France-Soir, afin de fournir les données et répondre à certaines questions, l’IFOP n’était pas disponible pour répondre.
1) Positif pour l’échelle France-Soir/BonSens.org est la somme des opinions « favorables » et « très favorables », Négatif celle des « défavorables » et « très défavorables ». Dans le graphique les pourcentages ne prennent pas en considération ceux sans avis et ceux qui n’ont jamais entendu parler de la personne.
Positif pour l’échelle IFOP est la somme des opinions « bonnes » et « excellentes » , Négatif celle des « mauvaises » et « très mauvaises ».