Aigle et faucons tués par des éoliennes : EDF et Valeco condamnés


10 avril 2025 à 16h18

Mis à jour le 10 avril 2025 à 17h46

Durée de lecture : 5 minutes

C’est ce qu’on appelle une soufflante : en quelques jours, le tribunal judiciaire de Montpellier a infligé de lourdes peines et amendes à deux grands énergéticiens français et ordonné la mise hors service pour quatre à douze mois de près de quarante éoliennes — avec exécution provisoire — à la suite de la mort de rapaces protégés.

Dans le premier cas, des dizaines de faucons crécerellettes tués par des éoliennes d’EDF-Renouvelables sur le causse d’Aumelas, au nord-ouest de Montpellier, l’entreprise et ses sociétés ont été condamnées lundi 7 avril à plus de 5 millions d’euros d’amende, pour moitié avec sursis. Le PDG de l’entreprise au moment du dépôt de plainte, Bruno Bensasson, a écopé de six mois de prison avec sursis.


Au moins 70 faucons crécerellettes, espèce protégée classée comme vulnérable en France, ont été retrouvés au pied des éoliennes sur le causse d’Aumelas (Hérault).
Flickr / CC BY SA 2.0 / Pierre-Marie Epiney

Mercredi 9 avril, c’est ERL, filiale du groupe Valeco, qui a été condamné à 200 000 euros d’amende, pour moitié avec sursis. Un aigle royal avait été fauché par une pale d’éolienne en 2020 sur son parc éolien de Bernagues, à 50 kilomètres d’Aumelas. Valeco et EDF-Renouvelables ont annoncé faire appel de ces décisions.

« On les avait prévenus qu’il y avait un risque »

Si la justice vole ainsi dans les plumes des deux énergéticiens, c’est peut-être parce que ces éoliennes n’auraient jamais dû être construites dans ces zones extrêmement sensibles. « À Bernagues, on les avait prévenus il y a dix ans qu’il y avait un risque de collision avec aigles royaux qui nichaient à proximité, avec des risques sur le plan pénal », rappelle Simon Popy, président de France Nature Environnement Occitanie-Méditerranée, partie civile dans les deux affaires.

Idem à Aumelas, où, dès les premières années de fonctionnement, des cadavres de faucons crécerellettes avaient été trouvés près des machines. Des risques qui n’ont pas empêché la poursuite totale ou partielle du fonctionnement, sans que les autorités ne prennent les dispositions pour faire cesser complètement les mortalités. Jusqu’à ce qu’au fil des multiples recours en justice, les condamnations tombent.


Les éoliennes du causse d’Aumelas ont été ciblées par de multiples recours en justice.
Wikimedia Commons / CC BYSA 4.0 / Fagairolles 34

« Le Conseil d’État a jugé en 2022 qu’il suffisait qu’un seul individu d’une espèce protégée soit à risque pour qu’un porteur de projet doive déposer une demande de dérogation », explique Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement et défenseur d’entreprises du secteur éolien [1]. Le principe de la loi est celui d’une interdiction de toute destruction d‘espèces protégées, mais les préfets peuvent au cas par cas accorder une dérogation. « Jusqu’alors, certaines administrations n’exigeaient un tel dépôt que lorsqu’une population, et non un seul individu, était en cause », détaille Arnaud Gossement.

« Il faut voir chaque aigle royal comme une petite Joconde »

La même année, la Cour de cassation a jugé que le délit de destruction d’espèces protégées existait à partir du moment où l’exploitant du parc n’avait pas déposé la demande de destruction et qu’un seul individu avait été tué. Pour le juriste, « cette évolution sévère de la jurisprudence est intervenue alors que le soutien politique de l’éolien au nom de la protection de l’environnement était en train de faiblir ».

« Mais la destruction des espèces, ce n’est pas au kilo ! C’est un enjeu qualitatif. Il faut voir chaque aigle royal comme une petite Joconde », image Cédric Marteau, directeur général de la Ligue pour la protection des oiseaux, plaignante dans l’affaire de Bernagues, où l’oiseau mort était un mâle reproducteur d’une espèce très fragile, car avec très peu de progéniture au cours de sa vie.


Des aigles royaux nichent à proximité des éoliennes de Bernagues (Hérault).
Wikimedia Commons / CC BY 3.0 / Juan Lacruz

Pour le responsable associatif, l’enjeu est donc de faire cesser les atteintes : « Ce sont des projets qu’on voit encore, comme sur le parc éolien en mer de Dunkerque, prévu au milieu du premier couloir migratoire d’Europe. » Sur ces secteurs, « vous aurez beau mettre en place tous les mécanismes de réduction des risques, ce ne sera jamais suffisant par rapport à l’impact », estime-t-il.

Offensive politique contre la protection des espèces

« Satisfait » des jugements, Simon Popy espère surtout « un changement d’attitude » des entreprises du renouvelable, « pour qu’elles arrêtent de mépriser les ONG environnementales » sur ce sujet. Mais il craint le « travail de sape » mené par les politiques du centre à l’extrême droite, qui attaquent le droit de protection des espèces lui-même. En février, la loi d’orientation agricole prévoyait ainsi une présomption de « non-intentionnalité » de destruction des espèces protégées, avant que cette partie ne soit retoquée par le Conseil constitutionnel.

À présent, c’est la loi de Simplification de la vie économique, en cours d’examen à l’Assemblée nationale, qui pourrait encore plus faciliter l’obtention d’une dérogation pour la destruction d’espèces protégées pour tous les projets d’énergies renouvelables. Et l’incertitude demeure sur la manière dont la France va transposer les nouvelles directives européennes sur la promotion des énergies renouvelables, qui pourraient entraîner de nouveaux assouplissements dans la protection des espèces.

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