Les masques du « soft power » américain, par Philip S. Golub (Le Monde diplomatique, avril 2025)


Quand les États-Unis prétendaient séduire plutôt que dominer

« Le président Donald Trump ne comprend pas le “soft power” », déplorait récemment Joseph Nye, l’inventeur de la notion de « puissance douce ». Ce pouvoir d’influence, notamment culturelle, dont useraient les États-Unis pour subjuguer le monde a lui-même séduit nombre d’intellectuels. Son succès tient notamment à ce qu’il recouvre d’un aimable gant de velours le poing d’acier de la coercition.

JPEG - 187.1 ko

Robert Rauschenberg. – « Blanket Samples » (Échantillons de couverture), 1963

© ADAGP, Paris, 2025 – Photographie : Mauro Magliani – Archives Alinari, Florence, RMN-Grand Palais

Depuis son énonciation en 1990 par le politologue et praticien du pouvoir américain Joseph Nye, la notion de soft power — « puissance douce » — s’est imposée pour décrire la diplomatie d’influence associée à la mondialisation libérale américano-centrée qui prend fin sous nos yeux. Reprise tant en Chine qu’en Europe, elle a longtemps été mobilisée dans les discours des politiques, des experts et dans les commentaires médiatiques. À l’heure du grand réarmement, de l’effilochage du droit international et de la montée en puissance d’ethno-nationalismes agressifs, le soft power n’a plus prise sur les réalités mondiales — en supposant qu’il en ait jamais eu.

En s’attaquant à l’Agence américaine pour le développement international (Usaid), M. Donald Trump vise une institution conçue pour lutter contre le communisme et, plus récemment, contre des régimes dits « illibéraux », en diffusant une image avantageuse du « monde libre ». À la volonté de gagner les cœurs et les consciences se substituent désormais les rapports de forces avec les grandes puissances (Chine, Russie) et de domination brute envers les « faibles » (Panamá, Colombie, Palestine, etc.). « Les forts font ce qu’ils peuvent et les faibles endurent ce qu’ils doivent » : la formule des Athéniens rendue célèbre par Thucydide sied à la diplomatie trumpienne.

La critique de la « puissance douce » n’en reste pas moins nécessaire car, au-delà de sa faiblesse théorique, elle masque plus qu’elle ne révèle les enjeux de pouvoir géopolitiques. Le concept trouve son origine dans le questionnement américain sur le rôle et la place du pays dans les relations internationales à l’issue de la guerre froide : la mondialisation des flux semblait mettre à mal les politiques de puissance « classiques ». Dans ses publications des années 1990, Nye entendait dissiper l’hypothèse du déclin américain, largement répandue au cours de la décennie précédente, et orienter de manière prescriptive le débat public afin de « garantir la position des États-Unis (…)

Taille de l’article complet : 2 374 mots.

Cet article est réservé aux abonnés

Lycées, bibliothèques, administrations, entreprises,
accédez à la base de données en ligne de tous les articles du Monde diplomatique de 1954 à nos jours.
Retrouvez cette offre spécifique.

Philip S. Golub

Professeur de relations internationales à l’Université américaine de Paris. Auteur d’Une autre histoire de la puissance américaine, Seuil, Paris, 2011.



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *