Réflexion autocritique aux militants de la cause palestinienne


Après l’accord de cessez-le-feu arraché mi-janvier par l’inébranlable résistance de Gaza à ses bourreaux américano-israéliens, ont fleuri un peu partout des titres célébrant la ‘victoire’ de la résistance contre l’agresseur sioniste. Et, même précaire, c’en était une, particulièrement pour ceux qui n’ont d’autre lieu de vie pour leur famille, encagés depuis près de 18 ans, sans que le monde ne prenne les mesures politiques pour sanctionner le régime d’apartheid néo-nazi sioniste. L’on a pu se réjouir avec eux de ce calme relatif revenu après le déferlement de violences et de barbaries génocidaires depuis le 08 octobre 2023.

Mais depuis, qu’en est-il réellement ? De quelle ‘victoire’ est-il question ? Dans quelques années, les historiens qui se pencheront sur cet épouvantable épisode d’une Nakba palestinienne sans fin, utiliseront-ils la même sémantique de ‘victoire’ pour qualifier cette trêve fragile, violée à maintes reprises par la soldatesque sioniste, avant d’être trahie quelques semaines plus tard, comme il fallait s’y attendre, et en plein mois de ramadan, de surcroît ? Une fois le côté émotionnel passé, examinons cette ‘victoire’ avec quelque recul.

Certes, toute ‘victoire’ contre un régime d’occupation est horriblement sanglante. Pour ce que nous en savons, l’histoire sombre de l’humanité en témoigne : l’addition payée par les colonisés pour se libérer de leur occupant est épouvantable. Et dans le cas présent, documenté comme jamais, la réalité est accablante : des centaines de milliers de victimes palestiniennes dont une majorité de femmes et d’enfants y ont déjà laissé leurs vies. Un rapport alarmant du ministère de la Santé palestinien, dénombre plus de 38.000 orphelins. Près de 90% des bâtiments de la bande de Gaza ont été impactés par les bombardements israéliens, quand ils n’ont pas été réduits en gravats. Le fragile tissu économique, déjà privé de quantité de produits interdits par ‘Israël’, est en ruine. Le chômage a explosé. Les terres agricoles sont contaminées par l’usage massif (et interdit) d’uranium appauvri des bombardements. L’état de dévastation généralisée de ce ‘camp concentrationnaire’ que je dénonçais déjà il y a près de 20 ans (La Démocratie Mensonge – 2008 – Ed. M. Pietteur) malgré les protestations de certains militants jugeant inadéquat l’usage de tels mots, pourtant devenu depuis ‘d’extermination’, confirme l’impossibilité d’y vivre décemment.

Voici le témoignage d’un frère palestinien en provenance de Gaza, lors du cessez-le-feu : « Le Cessez-le feu est entré en vigueur le 19 janvier 2025 et rien n’a changé pour les Palestiniens de Gaza. Les drones sillonnent le ciel de Gaza nuit et jour, on ne sort pas dans la rue après 19h, il fait froid la nuit dans les maisons éventrées.

La situation humanitaire et sanitaire reste dramatique. Il n’y a rien. Ni hôpitaux, ni centres médicaux, ni médecins, ni médicaments. Si les citoyens ne meurent plus sous les bombardements, ils continuent de mourir de manque de soin et d’eau potable. L’aide humanitaire internationale ne peut faire face à la demande.

Le retour massif de 500 000 Palestiniens déplacés jusqu’à présent pose de graves problèmes logistiques. Les camions d’aide n’entrent qu’au compte-gouttes dans le nord de la bande de Gaza. C’est toujours la pénurie pour beaucoup de produits alimentaires comme la viande, les légumes et les fruits. (A ce jour, plus aucun camion n’entre, tous les passages sont fermés et les bombardements massifs ont repris-ndlr)

Les personnes déplacées qui reviennent et cherchent leurs maisons n’ont souvent plus rien et sont sous le choc de ce qu’elles voient, choc qui sera très long à guérir. Les services municipaux essaient de réparer les routes mais c’est très difficile parce que les réseaux d’eau, d’électricité, les canalisations, tout est détruit, sans parler du manque de moyens. Les voitures ne peuvent pas rouler sur les routes défoncées, il y a des tonnes de gravats à déblayer. » – Ziad Medoukh –

Ainsi, la bande de Gaza est, au sens premier du terme, rendue inhabitable ; le Liban est, depuis la décapitation des hauts dirigeants du Hezbollah, envahi par le même régime terroriste israélien sans résistance ferme de son nouveau gouvernement, et il est même évoqué une guerre possible entre l’armée libanaise et le Hezbollah ; la Syrie est éclatée et dirigée par un groupe désigné comme ‘terroriste’ à qui les occidentaux déroulent le tapis rouge ; l’Iran est menacé de toutes parts et redoute une intervention prochaine à grande échelle contre le pays ; le Yémen est régulièrement bombardé par la coalition des Etats-unis, de la Grande-Bretagne et toujours le même ‘Israël’. Et, cerise sur le gâteau, le nouveau locataire de la Maison Blanche, présenté comme ‘homme de paix’ par les plus niais, a accepté la livraison de milliers de bombes d’environ 1 tonne chacune, alors qu’il avait décrété l’arrêt de toute aide extérieure pendant 90 jours ; a bombardé le Yémen à près de 100 reprises ; menace ouvertement les installations nucléaires civiles de l’Iran et n’a aucun problème à soutenir l’organisation de la famine contre plus de 2 millions de Palestiniens. Et, dans la foulée, il presse la Jordanie, l’Egypte et d’autres nations arabes à se préparer à l’accueil de Palestiniens qu’il veut contraindre à l’exil pour nettoyer la terre… au profit de projets américano-israéliens !

Des voix palestiniennes elles-mêmes commencent à se demander comment vivre dans un tel champ de ruines ? Comment les jeunes pourront-ils reprendre leurs études quand la plupart des établissements scolaires n’existent plus ? Comment les gens pourront-ils se soigner quand la majorité des hôpitaux ont été détruits ? Comment la population exsangue pourra-t-elle se relever d’une telle épuration ethnique ? Après les communiqués triomphants, la réalité, comme toujours, reprend ses droits et, des citoyens qui ont tout perdu, demandent : et maintenant, que fait-on ? Comme l’écrit Rami Abu Jamous, le fondateur de Gaza-Press : « Nous sommes dans une période de non-vie. Et je crois que le prix de la libération des prisonniers palestiniens était très élevé. Chacun considère qu’il a gagné. Mais moi je peux vous dire que le grand perdant, c’est la population de Gaza, et la Palestine en général  ».

Le travail d’autocritique est toujours difficile. Mais nous ne pouvons nous en délester. Voilà des décennies que nous militons, écrivons, informons, avertissons, remuons autour de nous pour mettre en garde et prévenir de ce qui risquait de se produire à l’encontre des Palestiniens, et nous ne sommes pas parvenus à transformer l’essai. Malheureusement, le pire est advenu. Et se poursuit chaque jour sous nos yeux incrédules, qui ne peuvent que pleurer de voir nos promesses de soutenir nos frères et sœurs palestiniens réduites à néant, n’être pas prises en compte par les autorités de nos Etats qui continuent à entretenir des relations avec un régime génocidaire, sans sourciller. S’autorisant même aujourd’hui à arrêter des citoyens pour simple prise de position en faveur de la Palestine et de son peuple résistant dans l’agonie.

Face à la perspective d’une situation toujours plus grave en Palestine – et qui s’étend maintenant à tout le Levant – ne faudrait-il pas commencer à s’interroger sur nos méthodes ? Ne faudrait-il pas, plus qu’auparavant, alerter et expliquer que, loin d’une ‘victoire’ acquise, cette trêve n’était qu’une occasion pour le régime terroriste israélien de se réorganiser et de se réarmer grâce à la nouvelle administration Trump, avant de nouvelles interventions ? A lire les déclarations de Benyamin Netanyahu et ses appuis, n’est-il pas urgent de redoubler de prudence, d’anticiper et de considérer s’il n’est pas d’autres formes d’actions ?). Ne faut-il pas envisager de changer de braquet ? ’’On fait ce qu’on peut’’, me dira-t-on. Mais, la question n’est-elle pas plutôt : vu la gravité des faits, le fait-on bien ? Les formes sont-elles encore les bonnes ? Le nombre de victimes n’est-il pas assez lourd que pour comprendre qu’en fait nos responsables politico-médiatiques s’en fichent et s’en tiennent à suivre les directives étasuniennes ? Qu’attendons-nous pour examiner d’autres formes de résistance et de lutte contre les tenants d’une hégémonie aussi sourde que criminelle ? Les initiatives citoyennes des Palestiniens ne nous donnent-elles pas l’exemple ? Ne nous éclairent-elles pas assez sur toutes les manières dont nous pouvons résister au rouleau compresseur de la propagande adverse ?

Soyons modestes et réalistes : la seule réelle ‘victoire’ dont il soit question et qui puisse s’entendre est bien celle de la résistance hors norme des factions gazaouies et de la population de Gaza qui sont restées debout, dignes et solidaires, encaissant toutes les veuleries et les crimes odieux de tous ceux qui se sont lancés à l’assaut de l’enclave, de près et de loin, en d’autres termes, là-bas et ici. Depuis bientôt 18 ans, rien ne les a fait plier. Ni les menaces, ni la douleur, ni le chagrin, ni les assauts répétés, ni les meurtres massifs, enfants compris, ni les tortures, ni les mutilés à vie, ni les bombardements incessants de jour comme de nuit, ni les pires privations de moyens de subsistance élémentaires comme les soins, le pain et jusqu’à l’eau. S’il est donc une ‘victoire’ c’est celle de la dignité des uns contre l’absolue barbarie des autres, dont celle de nos gouvernements.

Le régime terroriste israélien a échoué à éradiquer le Hamas, comme il l’a répété en boucle, et l’image de cet abject régime colonial et de ses dirigeants racistes est désormais vomie largement à travers le monde entier, mais cela ne l’empêche pas de violer comme à son habitude tout accord, y compris le dernier cessez-le-feu, sachant les appuis sur lesquels compter. Et sans que personne n’y mette un terme, poursuivant aussi dorénavant ses lourdes interventions armées en Cisjordanie, soutenu par le feu-vert de l’administration Trump en plus de la complicité sordide de l’Autorité palestinienne et son traître président zombie Mahmud Abbas.

Dans nos pays nantis, à de rares exceptions, le citoyen lambda ignore totalement ce que vivre en pays occupé représente. Il n’en a qu’une vague idée. Les évènements dramatiques qu’endure la population continuellement agressée dans son quotidien lui échappent complètement. Ainsi, il semble ignorer qu’en Palestine c’est une guerre coloniale qui s’y déroule depuis près de 78 ans, avec l’objectif d’en éradiquer le peuple comme ce fut le cas pour les Amérindiens, et non un « conflit » pour le partage d’une terre, comme nombre de médias et d’intervenants en parlent quand ils abordent le sujet. D’autant que la propagande sioniste a recyclé le récit et lui rabâche les oreilles, expliquant qu’il s’agit de récupérer une ‘terre promise’… par Dieu ! Et sans parler de l’indifférence de ceux qui ne veulent pas savoir et se replient sur leur petit confort. Mais si par hasard, ce citoyen a entendu parler de « conflit », de « tensions » voire d’« affrontements » qui opposent la résistance palestinienne à l’occupant israélien, il ne peut comprendre ce que cela signifie au jour le jour, tout simplement parce qu’il n’a pas grandi dans une telle réalité. Il a eu la chance de naître dans un pays pacifié… bien souvent sur le dos d’autres pays dont les populations y ont laissé leurs vies. Mais cela aussi, il l’ignore, maintenu dans les récits fallacieux de nos gouvernements et leurs nervis qui n’ont de cesse de vanter les ‘bienfaits’ de la colonisation.

Les médias dominants occidentaux font leur travail de désinformation prenant soin de présenter les Palestiniens comme des sauvages qui ne veulent rien entendre, et les Israéliens comme ayant « droit de se défendre » face à ces ‘terroristes’, alors qu’ils en sont les agresseurs et assassins. L’inversion accusatoire dans toute sa splendeur est la signature même du régime terroriste israélien. C’est la marque de fabrique du sionisme. Il n’est qu’à écouter ceux qui défilent sur les plateaux et nous racontent leur habituelle salade. Et hélas, les médias alternatifs ne sont pas encore suffisamment suivis ni entendus que pour corriger les malversations et la propagande de ces médias toxiques qui s’acharnent à étouffer les voix de la vérité. Ainsi malgré leur lot de victimes innombrables, les Palestiniens sont-ils ramenés à de simples statistiques, anonymes, ayant permis de maintenir la qualification de ces faits criminels sionistes comme appartenant à un « conflit de basse intensité », pour reprendre la terminologie onusienne. Cela parle bien d’un vague « conflit » mais, sauf exception, cela ne dit rien ou si peu de ses victimes.

Dès lors, et pour commencer, la multitude d’associations soutenant la cause palestinienne de par le monde ne devraient-elles pas s’unir pour exiger que soit revu l’amalgame complice ayant décrété que l’antisionisme est une forme renouvelée de l’antisémitisme, au risque de poursuites pénales ? Faire œuvre de clarté concernant cette imposture sémantique devrait être la première étape dans une reprise en mains des militants doublés de juristes pour la cause juste de la décolonisation de la Palestine. Et permettre alors les étapes suivantes à savoir : établir une nette distinction entre judaïsme et sionisme, et donc entre antisémitisme et antisionisme. Ce qui autoriserait ensuite l’établissement de règles claires au niveau du Droit et des relations internationales entre Etats qui auront à se positionner pour savoir s’ils soutiennent un régime sioniste raciste ou non. Et agir en conséquences. Le flou qui s’est immiscé dans cette question est voulu et entretenu, et nous ne pouvons l’ignorer. Il faut non seulement le combattre, mais au vu du génocide qu’il permet, nous devons en exiger la cessation et une clarification immédiate. Il faut sans relâche revenir aux fondamentaux et systématiquement rappeler que c’est bien ‘Israël’ l’occupant et la Palestine l’occupée. C’est donc cette dernière qui selon la Résolution 2621 XXV, du 12.10.1970 des Nations-Unies affirmant « le droit inhérent des peuples coloniaux de lutter par tous les moyens nécessaires contre les puissances coloniales qui répriment leur aspiration à la liberté et à l’indépendance », a tous les droits de se défendre ’’par tous les moyens nécessaires’’, et non l’inverse.

A ceux qui soutiennent les résistants palestiniens, Ahed Tamimi a eu ces mots clairs et sans ambiguïté : « Nous ne sommes pas des victimes, mais des combattants pour la liberté. Notre lutte est politique, elle n’est pas religieuse. »

Elle avait 17 ans, au moment de ces mots… Bel exemple de ce qu’avoir une ‘culture politique’ signifie. Et qui devrait nous encourager à passer à la vitesse supérieure, à savoir : de l’étape des manifestations mondiales actuelles, à celle d’un large et puissant mouvement international organisé de désobéissance civile, jusqu’à ce que nos responsables politiques comprennent notre détermination solidaire avec les Palestiniens. Il y a quantité de pistes à explorer et de choses à faire : bloquer les axes et les ports d’où partent les armes pour le régime génocidaire israélien, organiser des grèves à plusieurs nivaux, exiger que le personnel diplomatique de ce régime terroriste soit expulsé, cesser toute collaboration à tous niveaux avec ce régime colonial, tant sur le plan économique que culturel et autre..

Indignez-vous », nous exhortait Stéphane Hessel… « Levez-vous ! », nous exhortent les résistants palestiniens.

Daniel Vanhove –

08.04.25





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