“ Fanon ” (2025), un film censuré ?


À sa sortie le 2 avril, une polémique a enflé concernant la censure du biopic sur Frantz Fanon, célèbre psychiatre et défenseur de la décolonisation. En cause, le nombre restreint de salles à Paris diffusant le film, à savoir quatre, en ne comptant pas les cinémas de la proche banlieue. Selon les partisans du biopic, le manque de diffusion du film serait lié au contexte actuel de racisme montant, à la difficulté de la France à regarder son passé colonial dans les yeux et donc à mettre en avant une des figures les plus importantes et toujours discutées de la décolonisation, bref, à tout un système qui empêche le film de se diffuser. Loin de nous de remettre en question la montée du racisme en France (bien au contraire), ni de la bonne foi des défenseurs du film, cependant l’argument est relativement faux. En réalité, le film Fanon n’a sans doute pas été prévu pour être un film à grosses entrées malgré la célébrité du personnage principal, il se range donc parmi ces nombreux films, comme certains ont pu le souligner (1), qui ne vont pas être projetés dans la première semaine dans de nombreuses salles. Cependant, ces films font ensuite l’objet d’une diffusion dans les cinémas d’art et d’essai, permettant de maintenir un public pour le film et de le faire connaître. Et avec 27277 entrées au box-office le 9 avril 2025, le film risque de faire encore parler de lui (2) (3).

Maintenant, revenons au film en lui-même. Le biopic commence avec l’arrivée de Fanon en Algérie pour entrer à l’hôpital psychiatrique de Blida en tant que médecin. Le film s’attarde sur ses méthodes pour soigner et faire participer ses malades arabes, traités dans des conditions bien pires que les malades européens. Ensuite, sur son aide à la résistance algérienne contre l’occupation française, mais aussi les difficultés qu’il rencontre avec ses collègues français relatives à ses théories.

Fanon est donc un biopic très classique, valorisant un personnage héroïque dont on voit toutes les facettes, avec divers éléments mettant en avant ses doutes et ce qu’il a dû affronter comme vexation et difficultés par rapport à son entreprise. À titre d’exemple, des étudiants en psychiatrie lui jetant une peau de banane alors qu’il fait un cours, ou cette scène avec des fermiers pieds noirs lui extorquant une somme d’argent importante sous la menace d’une arme. L’auteur de ces lignes n’aime pas le genre biopic, en général, car il est toujours traité de la même façon, qu’il est assez peu intéressant et permet peu de comprendre vraiment l’importance du personnage historique, comme c’était le cas avec le film Napoléon de Ridley Scott (4). Cependant, force est de constater que les idées de Fanon sont mieux traitées et amenées, ce qui permet d’avoir un meilleur éclaircissement sur leur importance (ce qui explique pourquoi Fanon est encore connu aujourd’hui).

Le long-métrage insiste beaucoup sur la notion de regard. Pour Fanon, c’est le regard du colonisateur sur le colonisé qui fait celui-ci, qui lui donne certaines caractéristiques qui ne sont pas les siennes, qui le déshumanise. À l’instar de son collègue juif, qui ne s’est senti juif que quand Vichy et les nazis l’ont regardé comme juif. Regard qui est aliénant pour le colonisé, mais aussi pour le colonisateur. Celui-ci en refusant le statut d’homme à l’autre, afin de mieux l’exploiter sans vergogne, se prive d’une humanité et donc de vrais rapports humains avec les autres. Fanon a soigné, comme dans le film, des militaires tortionnaires, traumatisés par ce qu’on les obligeait à faire. Certes, le long-métrage dramatise beaucoup le sort de ces assassins, mais il est clair que tout rapport de domination a un impact in fine négatif sur le dominateur, même si en apparence il est le bénéficiaire.

Sans être un chef-d’œuvre, Fanon (2025) est utile et agréable à regarder. Utile, car il est toujours bon dans une période de fascisation et d’exterminisme de rappeler à la mémoire collective l’histoire des hommes et des femmes se battant pour la libération des peuples, qu’ils s’appellent Robespierre, Lénine, Fanon ou le Che. Agréable, car, dans son style classique et prévisible, au moins nous ne nous ennuyons pas une seconde.

Ambroise-JRCF

(1) https://x.com/MimeOsen/status/1908060182912856327

(2) https://x.com/boxofficefr/status/1910004791956111767

(3) L’auteur des lignes a été à sa diffusion à l’UGC des Halles, qui comporte de très grandes salles, et la séance affichait quasiment complet.

(4) https://jrcf.fr/2023/12/25/napoleon-a-mort-les-biopics/





Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *