Tôt ou tard, le capitalisme a besoin de la guerre


par Andrea Zhok

Pour survivre, le capitalisme a besoin d’une croissance continue. Quand la croissance s’arrête, le système entre en crise et les solutions traditionnelles ne sont plus suffisantes.

Le professeur de philosophie morale de l’université de Milan entre dans le débat sur la guerre et le réarmement avec une lecture très critique du capitalisme. Selon l’analyse d’Andrea Zhok, le libre marché, pour survivre, a besoin d’une croissance continue. Quand la croissance s’arrête, le système entre en crise et les solutions traditionnelles – innovation technologique, exploitation de la force de travail, expansion des marchés – ne sont plus suffisantes. Dans cette perspective, la guerre devient le dernier recours en offrant au système économique un mécanisme de destruction, de reconstruction et de contrôle social.

L’essence du capitalisme

La relation entre capitalisme et guerre n’est pas accidentelle mais structurelle et étroite. Bien que la littérature auto-promotionnelle du libéralisme ait toujours tenté d’expliquer que le capitalisme, traduit comme «commerce doux», est une voie préférentielle vers la pacification internationale, en réalité, cela a toujours été un mensonge flagrant. Et non parce que le capitalisme ne peut pas être un moyen de paix – il peut l’être – mais parce que l’essence du capitalisme n’est pas le commerce, qui est seulement l’un de ses aspects possibles.

L’essence du capitalisme consiste en un seul point. C’est un système social acéphale, c’est-à-dire, dans l’idéal, sans direction politique, mais guidé par un seul impératif catégorique : l’augmentation du capital dans chaque cycle de production. Le cœur idéal du capitalisme, c’est la nécessité que le capital rende, c’est-à-dire, d’augmenter le capital lui-même. La direction de ce processus n’est pas dans les mains de la politique – et encore moins de la politique démocratique – mais dans les mains de ceux qui possèdent le capital, des sujets qui incarnent les besoins de la finance.

Il faut comprendre que le point crucial pour le système n’est pas «qu’il y ait toujours plus de capital» dans un sens objectif, c’est-à-dire que la quantité d’argent augmente de plus en plus. Elle peut même se contracter temporairement. Ce qui importe, c’est qu’il doit toujours exister la perspective générale d’une augmentation du capital disponible. En l’absence de cette perspective – par exemple, dans une condition persistante «d’état stationnaire», de l’économie – le capitalisme cesse d’exister en tant que système social parce que «le pilote automatique» représenté par la recherche d’issues pour l’investissement fait défaut.

Cela doit se comprendre purement en termes de Pouvoir. Dans le capitalisme, une certaine classe détient le pouvoir et l’arbore comme la personne chargée de la gestion du capital vers la croissance. Révolutionnaire, dans le sens particulier, que la classe qui détient le pouvoir doit le céder à d’autres – par exemple à une direction politique, stimulée par des principes ou des idées directrices, comme ça a été plus ou moins toujours le cas, tout au long de l’histoire (perspectives religieuses, perspectives nationales, visions historiques). Le capitalisme est le premier et le seul système de vie dans l’histoire de l’humanité qui ne cherche à incarner aucun idéal et ne tend à aller dans aucune direction particulière. Ainsi, on pourrait ouvrir une discussion intéressante sur la connexion entre capitalisme et nihilisme nous voulons nous concentrer sur un autre point.

La tendance à la baisse du taux de bénéfice

Dans la nature du système, une tendance que Karl Marx a examiné pour la première fois sous le nom de «tendance du taux de bénéfices à baisser» est implicite. C’est un processus intuitif. D’une part, comme nous l’avons vu, le système exige que nous cherchions constamment la croissance en transformant le capital en investissement qui génère plus de capital. D’autres part, la concurrence interne au système tend à saturer toutes les options de croissance du capital en les réalisant. Plus la concurrence est efficace, plus rapide sera la saturation des lieux dans lesquels on peut obtenir des bénéfices. Cela signifie qu’avec le temps, le système capitaliste génère structurellement un problème de survie du système lui-même.

Le capital disponible augmente constamment et cherche des usages «productifs», c’est-à-dire capables de générer des intérêts. La croissance du capital est liée à la croissance des perspectives de l’augmentation future du capital dans un mécanisme d’auto-renforcement. C’est sur la base de ce mécanisme que nous nous trouvons dans des situations comme celle qui a précédé la crise des hypothèques subprimes, quand la capitalisation dans le marché financier représentait 14 fois le PIB mondial. Ce mécanisme produit la tendance constante vers les «bulles spéculatives». Et ce même mécanisme produit la tendance à ce qu’on appelle les «crises de surproduction», une expression commune mais impropre car elle donne l’impression qu’il y a un excès de produits disponibles alors que le problème est qu’il y a trop de produits seulement par rapport à la capacité moyenne de les acheter.

Constamment, inévitablement, le système capitaliste affronte des crises créées par cette tendance : des masses croissantes de capital font pression pour être utilisées dans un processus exponentiel alors que la capacité de croissance est toujours limitée. Pour qu’une crise soit ressentie, il n’est pas nécessaire que la croissance s’arrête, il suffit qu’elle ne soit pas à la hauteur de la croissante demande de marges. Quand cela arrive, le capital – c’est-à-dire les possesseurs du capital ou leurs administrateurs – commencent à s’agiter de plus en plus parce que leur propre survie en tant que possesseurs du pouvoir est en danger.

La recherche frénétique de solutions

À mesure que se rapproche la compression des marges, une recherche frénétique de solutions commence. Dans la version auto-promotionnelle du capitalisme, la solution principale serait «la révolution technologique», c’est-à-dire la création d’une nouvelle perspective prometteuse pour générer des bénéfices à travers l’innovation technologique. La technologie est réellement un facteur qui augmente la production et la productivité. Si les marges de bénéfice augmentent aussi est une question plus complexe parce qu’il ne suffit pas qu’il y ait plus de produits pour que le capital augmente, il faut qu’il y ait plus de produits achetés.

Cela signifie que l’émarge peuvent augmenter réellement en présence d’une révolution technologique. Seulement si l’augmentation de la productivité se reflète aussi dans une augmentation générale du pouvoir d’achat (salaires), ce qui n’est pas si évident. Mais même lorsque cela arrive, les «révolutions technologiques» capables d’augmenter la productivité et les marges ne sont pas si communes. Souvent, ce qu’on présente comme une «révolution technologique» est énormément surestimé dans sa capacité à produire de la richesse et fini par être seulement une réorientation des investissements que génère une bulle spéculative.

En attendant que les révolutions technologiques qui réouvre, la sphère marge se produise, la seconde direction dans laquelle on cherche une solution pour récupérer démarche de bénéfices et la pression sur la force de travail. Ces pressions peuvent se manifester dans la compression salariale et de beaucoup d’autres façons qui augmentent le niveau d’exploitation du travail. La réduction directe des salaires nominaux est une façon qu’on adopte seulement dans des cas exceptionnels. La non-reprise de l’inflation, la «flexibilisation» du travail pour réduire les «temps morts», le «durcissement» des conditions de travail, les licenciements de personnel, etc. sont plus facile à gérer.

Cet horizon de pressions présente deux problèmes. D’une part, il provoque le mécontentement avec la possibilité que celui-ci dérive en protestations, troubles, etc.. D’autre part, les pressions sur la force de travail, en particulier dans la dimension salariale, réduisent le pouvoir d’achat moyen, et alors, on court le risque d’entrer dans une spirale de récession (moins de ventes, moins de bénéfices, plus de pressions sur la masse salariale pour récupérer des marges, une réduction des ventes de produits conséquente, etc.).

Une façon collatérale de gagner des marges est de «rationaliser» le système de production qui, théoriquement, est à mi-chemin entre l’innovation technologique et l’exploitation de la force de travail. Les «rationalisations» sont des réorganisations qui, pour ainsi dire, liment les «inefficacités» relative du système. Cette dimension de réorganisation produit de fait presque toujours une aggravation des conditions de travail qui deviennent de plus en plus dépendantes des besoins impersonnels des mécanismes du capital.

Un horizon final de solution se présente quand la sphère du commerce extérieur entre dans l’équation. Bien qu’en principe, les points précédents épuisent les endroits dans lesquelles les marges de bénéfices peuvent croître, en réalité, si on prend en considération le domaine extérieur, les mêmes opportunités de bénéfices se multiplient à cause des différences entre les pays. Au lieu d’une augmentation technologique interne, on peut accéder à une augmentation technologique externe grâce au commerce. Au lieu de comprimer la force de travail nationale, on peut avoir accès à une main-d’œuvre étrangère bon marché, etc..

La diminution des bénéfices

La phase actuelle de la courte sanglant, histoire du capitalisme, que nous sommes en train de vivre, se caractérise par l’évanouissement progressif de toutes les perspectives importantes de bénéfices. Il y aura toujours un lieu pour «des révolutions technologiques» mais pas avec une fréquence qui puisse suivre le rythme des masses de capitaux initialement croissantes qui font pression pour devenir des bénéfices. Il y aura toujours un espace pour une compression plus importante de la force de travail mais le risque de créer des conditions pour une révolte ou de réduire le pouvoir d’achat général fixe des limites claires. En ce qui concerne le processus de mondialisation, il a atteint ses limites et un processus de régression relative a déjà débuté. La possibilité de trouver des opportunités externes différentes et meilleures que les opportunités nationales s’est réduite de façon drastique (il faut considérer que plus les chaînes de production s’étendent, plus elles sont fragiles et plus les coûts de transactions supplémentaires peuvent apparaître).

La crise des hypothèques subprimes (2007-2008) a marqué un premier point d’inflexion en amenant tout le système financier mondial au bord de l’effondrement. Pour sortir de cette crise, on a utilisé deux leviers. D’un côté, il existe une forte pression sur le domaine du travail avec une perte de pouvoir d’achat et une aggravation des conditions de travail au niveau mondial. D’autre part, une augmentation des dettes publiques qui constituent une restriction indirecte imposée aux citoyens et aux travailleurs et se présentent comme une charge qui doit être compensée se produit.

La crise du Covid (2020-2021) a marqué un second point d’inflexion avec des caractéristiques pas très différentes de celles de la crise des subprimes. Dans ce cas, les résultats de la crise ont été également une perte moyenne du pouvoir économique des classes ouvrières et une augmentation de la dette publique.

Aussi bien dans la crise des subprimes que dans celle du Covid, le système a accepté une réduction générale temporaire des capitalisations mondiale pour réouvrir de nouvelles zones de bénéfices. En général, le système financier est sorti de ces deux crises dans une position plus forte par rapport à la population qui vit de son propre travail. L’augmentation de la dette publique est en réalité un transfert d’argent depuis les disponibilités du citoyen moyen vers les coupons des possesseurs du capital.

Il faut signaler que, pour désactiver les espaces de conflits et d’opposition entre travail et capital, le capitalisme contemporain a fait pression de toutes ces forces pour créer une co responsabilité dans certains certaines couches de la population, riches, mais loin de compter pour rien en termes de pouvoir capitaliste. En forçant les gens à acheter des pensions privées, des polices d’assurance portant intérêt et en les poussant à utiliser leur épargne dans une forme ou une autre d’obligations d’État, ils essaient (et réussissent) à créer une couche de la population qui se sent «impliquée» dans le destin du grand capital. Ces couches de la population agissent comme des «zones tampons», réduisant la volonté moyenne de se rebeller contre les mécanismes du capital.

La situation actuelle, surtout dans le monde occidental, est la suivante. Le grand capital a besoin d’accéder à des domaines de bénéfices plus larges et plus continus pour survivre. La population des pays occidentaux a vu ses conditions de vie s’éroder, aussi bien en terme strict de pouvoir d’achat, qu’en terme de capacité d’autodétermination, elles sont de plus en plus attachées à une multitude de limites financières, législatives et dans le domaine du travail, toutes motivées par la nécessité de «rationaliser» le système.

Les possibilités de trouver de nouveaux domaines de bénéfices à l’étranger se sont réduites de façon drastique à mesure que le processus de mondialisation a atteint ses limites. C’est la situation qu’affrontent aujourd’hui les grands actionnaires. À leur avis, il est urgent de trouver une solution. Mais laquelle ?

Un mot effroyable et fascinant : guerre !

Lorsque dans le canon occidental apparaissent les guerres mondiales, c’est-à-dire les deux plus grands événements de destruction guerrière de l’histoire de l’humanité, ils apparaissent généralement sous la bannière de quelques coupables bien définis : les «nationalismes» (surtout l’allemand) pour la Première Guerre mondiale, les «dictatures» pour la Seconde. On réfléchit rarement au fait que ces événements ont pour épicentre le point le plus avancé de développement du capitalisme mondial et que la Première Guerre mondiale s’est produite à l’apogée du premier processus de «mondialisation capitaliste» de l’histoire.

Sans faire une exégèse des origines de la Première Guerre mondiale, il est pourtant utile de rappeler comment la phase qui l’a précédée et l’a préparée peut se situer parfaitement dans un cadre que nous pouvons reconnaître. À partir de 1872 environ, a débuté une phase de stagnation de l’économie européenne. Cette phase a donné une impulsion décisive à la recherche de ressources et de main-d’œuvre à l’étranger, en particulier, sous les formes de l’impérialisme et du colonialisme.

Tous les grands moments de crise internationale qui ont préparé la Première Guerre mondiale, comme l’incident de Fachoda (1898) sont des moments de tension dans l’affrontement international à cause de l’accaparement de domaines d’exploitation. La première grande impulsion pour le réarmement de l’Allemagne de Guillaume a été de créer une flotte capable de défier la domination anglaise des mers (qui est une domination commerciale).

Mais pourquoi la guerre devrait-elle être un horizon pour la résolution des crises provoquée par le capital ? La réponse, sur ce point, est assez simple. La guerre représente la solution idéale des crises de «baisse des taux de bénéfices» dans quatre aspects principaux.

La guerre se présente comme une impulsion non négociable, pour obtenir des investissements massif, qui puisse revitaliser une industrie sans vie. Les grands contrats publics au nom du «devoir sacré de la défense» peuvent réussir à faire sortir les dernières ressources publiquement disponibles pour les investir dans des contrats privés.

La guerre représente une grande destruction de ressources matérielles, d’infrastructures et d’êtres humains. Tout ceci, qui, du point de vue de l’esprit humain commun est un malheur, du point de vue de l’horizon d’investissement, est une perspective magnifique. En effet, il s’agit d’un évènement qui «retard de l’horloge de l’histoire économique» en éliminant cette saturation de perspective d’investissement, qui menace l’existence même du capitalisme. Après une grande destruction, s’ouvrent des espaces pour les investissements faciles qui ne requièrent aucune innovation technologique : des routes, des voies ferrées, des aqueducs, des maisons, et tous les services connexes. Ce n’est pas un hasard, si, depuis quelques temps, alors qu’une guerre, étant en cours, de l’Irak, à l’Ukraine, nous Assistanc à une course préliminaire pour obtenir des contrats pour la reconstruction à venir. La plus importante d’instruction de ressources de tous les temps – la deuxième guerre mondiale – a été suivie du plus grand essor économique depuis la Révolution Industrielle.

Les grands possesseurs du capital, c’est-à-dire du capital financier, renforcent leur pouvoir sur le reste de la société. L’argent, virtuel par nature, reste intact face à toute destruction matérielle importante (à condition qu’il ne s’agisse pas de l’anéantissement de la planète).

Et enfin, la guerre gèle et arrête tous les processus de révolte potentiels, toutes les manifestations de mécontentement de la base. La guerre est le mécanisme définitif, le plus puissant de tous, pour «discipliner les masses», en les plaçant dans une condition de subordination dont elles ne peuvent s’échapper, sous peine d’être identifiées comme complices de «l’ennemi».

Pour toutes ces raisons, l’horizon de la guerre, bien que pour le moment qu’il soit loin de l’esprit qui prédomine parmi la population européenne, et une perspective qui doit être prise extrêmement au sérieux. Quand, aujourd’hui, certains disent –avec raison– que la société européenne ne dispose pas des bases culturelles et anthropologiques nécessaires pour se préparer sérieusement à la guerre, j’aime à rappeler qu’en quelques années, Benito Mussolini –flairant le sentiment des masses– est passé du pacifisme socialiste à la fameuse conclusion de son article dans le Peuple d’Italie du 15 novembre 1914 : «Ce cri est un mot que je n’aurais jamais prononcé en temps normal et que je lance au contraire aujourd’hui à pleine voix, sans hypocrisie, avec une foi sûre : un mot effrayant et fascinant : la guerre !».

source : Resumen Latinoamericano via Bolivar Infos



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *