Du yahvisme au satanisme et au transsexualisme — La Science de l’Esprit — Sott.net


Six millions ! Oui, six millions ! « Il y a six millions d’enfants victimes de trafic sexuel dans le monde ! » C’est ce qui s’affiche en introduction d’une vidéo (ici en anglais) promotionnelle de Operation Underground Railroad (OUR), l’organisation de Tim Ballard, le héros sauveur d’enfants incarné par Jim Caviezel dans Sound of Freedom.

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Laurent Guyénot

Vous croyez aux six millions ?

Ça dépend lesquels, me répondez-vous. Mais en réalité, les ressorts psychologiques de la croyance sont toujours les mêmes : les six millions d’enfants, on y croit dans certains milieux, non pas parce qu’on est convaincu par des informations sourcées ou des arguments rationnels, mais parce que la pression morale nous oblige à y croire. Surtout lorsqu’il s’agit de crimes abominables : il est question ici d’enfants vendus et violés des dizaines de fois par jour, et finalement exécutés, ou torturés pour en extraire l’adrénochrome, ou vidés de leurs organes. Ne pas croire, c’est prendre le risque de protéger les monstres. Plutôt croire n’importe quoi que prendre ce genre de risque. Souffrance infinie oblige à croyance infinie. Comment oserais-je contester ? Si le doute m’effleure (six millions, ce n’est pas un peu exagéré ?), je le refoule aussitôt. Donc allons-y pour six millions dans le monde ! Et allons-y pour 800 000 aux USA chaque année, autre chiffre validé par nombre d’experts en tweets, tee-shirts et coffee mugs. En France ? « 116 000 enfants disparus » ! Ah non, pardon, c’est le numéro de téléphone.

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Mais tout de même : on ne parle que du petit Émile, ou de la petite Maëlys il y a huit ans, mais les cas comme ça doivent se compter par centaines de milliers chaque année, c’est sûr ! Un ami m’a dit « par millions ». Il exagère, mais je n’ai pas osé lui dire.

Contester ces chiffres délirants, ce serait se retrouver d’accord avec le journalisme mainstream. Comme par exemple la revue The Atlantic, qui a publié début 2022 un article intitulé « The Great (Fake) Child-Sex-Trafficking Epidemic ». Si la presse mainstream dit que c’est fake, c’est que c’est vrai, n’est-ce pas ? En plus, la revue appartient à Laurene Powell Jobs (veuve de Steve Jobs), et il existe une ou deux photos d’elle à côté de Ghislaine Maxwell, comme nous en informe Luke Rudkowski (complotiste de la mouvance 9/11 was NOT an Israeli job). Mais dites-moi, si ces photos prouvent que Laurene Powell Jobs est au service des pédophiles, que prouvent celles-ci ? Ah bon, c’est pas pareil… !

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Je vous taquine, mais c’est pour vous aider à réfléchir. Comme l’a fait remarquer mon ami Yves Rasir, il est dangereux de partir du principe que les fact-checkers ont toujours tort. Pourquoi ? Parce qu’il existe incontestablement des théories du complot fausses. Il existe un marché de la théorie du complot, qui fonctionne sur le principe de l’offre et de la demande, et auquel s’approvisionnent tous les superhéros et gourous de la complosphère : il faut une nouvelle putaclic tous les mois, et plus c’est pire, plus ça buzz.

Vous pensez bien que ceux qui veulent décrédibiliser la dissidence s’en donnent à cœur joie. Certaines théories sont fabriquées dans le but de rendre les complotistes encore plus fous qu’ils ne le sont.

Suzie Dawson a analysé dans ce sens, dès 2018, l’opération Q et le mouvement QAnon, et les a qualifiés de « Pied Piper operation » — soit « opération joueur de flute », en référence à la légende du même nom. Elle entend par là une opération soutenue par des services secrets, visant à attirer et à agréger par la ruse les opposants à « l’État profond » et les entraîner vers des idées et des comportements contraires aux intérêts qu’ils croient défendre. QAnon leur a dit par exemple de se méfier d’Edward Snowden, ou de ne pas s’inquiéter pour Julian Assange, au moment où il avait plus que jamais besoin de soutien. D’ailleurs en mars 2018, peu avant d’être incarcéré au Royaume-Uni et réduit au silence, Assange répondait à quelqu’un qui lui rapportait la rumeur de QAnon selon laquelle il était secrètement libre, en disant que c’était « probablement une campagne noire de relations publiques amplifiée par des sous-traitants de la CIA pour réduire le soutien à WikiLeaks ». Comme le signale Caitline Johnstone, le compte X de Wikileaks a validé les soupçons de Dawson et de Assange : « Malheureusement, il est de plus en plus apparent que cette analyse est correcte. »

Le mouvement QAnon n’est qu’un élément d’une opération psychologique qui s’est servi de militants, peut-être bien intentionnés au départ, pour noircir le tableau de la perversion des élites démocrates et libérales. C’est ce que j’appelle « la pilule noire ». Tim Ballard et son organisation OUR n’ont pas, à la vérité, sauvé beaucoup d’enfants, mais ils ont servi à cela. Résultat : une enquête réalisée en 2020 par les politologues Joseph Uscinski et Adam Enders a révélé que 35 % des Américains pensent que le nombre d’enfants victimes de trafic sexuel chaque année est d’environ 300 000 ou plus ; 24 % pensent qu’il est « beaucoup plus élevé ». Ces chiffres reposent sur une interprétation abusive des statistiques de signalements d’enfants disparus, qui ont généralement plus de seize ans et sont presque toujours retrouvés.

C’est ainsi que, juste avant les dernières élections présidentielles américaines, Ryan Matta a diffusé son documentaire Operation Amber Alert faisant croire que 437 103 enfants ont disparu dans les réseaux de trafic sexuels aux États-Unis, alors que ce chiffre n’est qu’une estimation haute du nombre de soi-disant mineurs ayant franchi la frontière mexicaine illégalement. Mais le message de Matta, qui se présente en chevalier porteur de « l’armure de Dieu », ne fait pas dans la finesse : « Le gouvernement américain a été détourné par un réseau de pédophiles d’élite. »

Et puis, il y a bien-sûr la variante satanique de la pilule noire : ces pédophiles qui gouvernement le monde sont des pédo-satanistes, des Satan-Worshipping Pedophiles. Ils violent et sacrifient des enfants à Bohemian Grove ! Lorsque vous en êtes là, vous êtes au fond du trou. Il ne vous reste plus qu’à rejoindre une secte tradi ou à vous saouler la gueule du matin au soir. Et vous ne voudrez certainement pas faire d’enfants !

Le religieux étant, par définition, le domaine de l’irrationnel et de l’inexplicable, faire vibrer cette corde est particulièrement efficace pour contaminer ou neutraliser l’esprit critique. Et la touche satanique, associée à la pédophilie, inspire un sentiment d’horreur et d’impuissance, et l’attente ardente d’un sauveur. Trust the plan !

Satan, l’ange de Yahvé

Depuis que j’ai commencé à exprimer mon scepticisme sur la thèse du gouvernement mondial des Satan-Worshipping Pedophiles (qui font semblant d’être juifs selon Candace Owens), on me cite Baudelaire (approximativement) : « La plus belle ruse du diable est de faire croire qu’il n’existe pas. » Merveille d’irréfutabilité ! Si je ne crois pas au diable, c’est que je suis victime de sa ruse. Les Romains, qui ignoraient l’existence de cet archange rebelle — ils avaient l’inconscience de nommer Lucifer la planète Vénus – étaient donc sous son emprise : la chute de l’Empire romain serait-elle un dommage collatéral de la chute de l’ange ? Et que dire des Chinois qui, à la lutte cosmique entre Dieu et le Diable, ont préféré l’éternelle dialectique du Ciel et de la Terre. Pauvres naïfs !

Pour ma part, constatant les ravages du satano-complotisme chez les esprits faibles, je suis tenté de dire que la plus belle ruse du diable est de faire croire qu’il existe. Car plus on y croit, plus il existe, cet égrégore maléfique ! C’est le principe de l’exorcisme, une technique hypnotique pour faire surgir le démon du supposé possédé – ça marche surtout à Hollywood, à vrai dire. Ainsi, nous autres peuples chrétiens ne cessons de créer le diable, de chasses aux sorcières en paniques sataniques.

Je ne vais donc pas ici chercher à démontrer que Satan n’existe pas, mais plutôt, dans un premier temps, expliquer de quoi il est fait. Comment notre Satan est-il venu au monde ? C’est la première chose à comprendre pour commencer à se libérer de son emprise, c’est-à-dire de l’emprise de ceux qui, aujourd’hui comme hier, se servent de lui pour nous terroriser et nous contrôler.

Notre imaginaire chrétien de Satan a trois sources principales : le Satan de l’Ancien Testament, la diabolisation des dieux païens et le mythe des anges déchus. La première composante n’est pas la plus importante, car le Satan de l’Ancien Testament n’a pas de consistance ontologique. L’idée d’une lutte cosmique entre Dieu et Satan est étrangère à la pensée hébraïque. Dieu est la source du bien comme du mal. « Je façonne la lumière et je crée les ténèbres, dit-il, je fais le bonheur et je crée le malheur, c’est moi, Yahvé, qui fait tout cela. » (Isaïe 45:7) Dans la Genèse, c’est lui qui, après avoir créé l’humanité, le regrette et en extermine la quasi-totalité par le Déluge. Tous les fléaux qui s’abattent sur l’humanité — la guerre, la famine, les épidémies, le feu du ciel et le Déluge — ont leur source dans la volonté capricieuse de Yahvé. C’est aussi Yahvé qui, selon Zacharie 14:12, punira tous les ennemis d’Israël, en faisant « tomber leur chair en pourriture pendant qu’ils seront debout sur leurs pieds ».

Cependant, dans certains livres tardifs apparaît un premier dédoublement : Yahvé fait appel à un assistant angélique pour les sales besognes. Ainsi, en 2 Samuel 24, Yahvé envoie la peste sur son peuple, mais dans le même épisode reproduit quelques siècles plus tard dans 1 Chroniques 21, on lit successivement que « Yahvé envoya la peste en Israël », « l’Ange de Yahvé ravagea tout le territoire d’Israël », et « Satan se dressa contre Israël ». Dans le Livre de Job, « le satan » est un « fils de Dieu », c’est-à-dire un ange, que Dieu autorise à s’acharner contre Job pour tester sa foi. Un peu comme avec la paire Colomb-Moxica dans le film 1492 de Ridley Scott, on préserve la respectabilité de Yahvé en attribuant les sales besognes à son faire-valoir.

Mais lorsque Satan apparaît au début du récit évangélique, dans l’épisode de la tentation du Christ dans le désert (Matthieu 4:8-10), ce n’est encore que comme tentateur. Et même lorsqu’il est dit, en Luc 22:3, que « Satan entra dans Judas », nous pouvons considérer que Satan est toujours l’instrument de la Providence divine, puisque, selon le scénario évangélique, il est nécessaire que Judas trahisse Jésus. Ces épisodes vont être incorporés dans la satanologie chrétienne, mais on voit bien qu’en soi, ce Satan n’est qu’une composante mineure de l’imaginaire satanique chrétien.

Retenons surtout que le Satan de l’Ancien Testament n’est pas véritablement l’ennemi de Dieu, mais plutôt son double ou son faire-valoir. C’est vers les vrais ennemis de Yahvé qu’il faut se tourner pour saisir la généalogie de notre Démon. Et des ennemis, Yahvé en a beaucoup : ce sont tous les dieux de tous les peuples autres que le sien.

Belzébuth pour les nuls

Le premier commandement de Yahvé à son peuple est : « Tu n’auras pas d’autre dieu que moi. » (Exode 20:3, Deutéronome 5:7) Yahvé est le dieu jaloux, ou plus proprement le dieu sociopathe, puisqu’il ne supporte aucun autre dieu. C’est en raison de leur mépris des dieux que les Juifs étaient réputés comme une « race haïe par les dieux », selon Tacite (Histoires, V, 3). Car Yahvé fait de son peuple l’exécutant de sa jalousie passionnelle et meurtrière. En Nombres 25, Yahvé donne à Phinéas et sa descendance « le sacerdoce à perpétuité » parce que, dit-il, « il a été possédé de la même jalousie que moi » en transperçant d’un coup de lance un Israélite et sa femme madianite.

Cette divine et sainte Jalousie de Yahvé justifie le génocide des villes de Palestine : qu’on extermine tous les êtres vivants sans distinction « afin qu’ils ne vous apprennent pas à pratiquer toutes ces abominations qu’ils pratiquent envers leurs dieux » (Deutéronome 20:18). Raser les sanctuaires et détruire les idoles, telle est la mission première des rois de Judée et d’Israël, selon le Second Livre des Rois. C’est ce qui vaut à Ézéchias d’être loué pour avoir « fait ce qui est agréable à Yahvé ». Au contraire, son fils Manassé est blâmé pour avoir « fait ce qui déplaît à Yahvé » en élevant « des autels à Baal et […] à toute l’armée du ciel dans les deux cours du temple de Yahvé » (2 Rois 21:2-5). Josias, en revanche, se montre digne de son arrière-grand-père Ézéchias : il fait retirer du temple « tous les objets de culte qui avaient été faits pour Baal, pour Ashera et pour toute l’armée du ciel ». Même les prêtres de Yahvé officiant à Béthel « furent immolés par lui sur les autels » (2 Rois 23), car Yahvé n’a pas de résidence secondaire.

Ce que ces versets nous apprennent en passant, c’est que le monothéisme exclusif a mis du temps à s’imposer, le Temple bâti par Salomon abritant à l’origine de nombreuses divinités. Mais le Tanakh rédigé durant l’exil à Babylone ou après déclare toutes ces divinités ennemies de Yahvé, démoniaque — ou bien non existante, cela dépend du contexte.

Une divinité en particulier est ciblée : Baal, le dieu cananéen sur lequel s’acharne le prophète Élie lorsqu’il égorge de sa main 450 prêtres de Baal (1 Rois 18), puis le roi Jehu lorsqu’il convoque tous les prêtres de Baal pour « un grand sacrifice à Baal » et, en guise de sacrifice, les massacre tous. « C’est ainsi, conclut le récit, que Jéhu débarrassa Israël de Baal. » (2 Rois 10) C’est ainsi, autrement dit, que Yahvé devient le seul dieu d’Israël : par l’éradication physique de ses concurrents. Telle est l’essence véritable du monothéisme hébraïque : la fureur théoclastique.

Baal signifie « seigneur » en cananéen, et par extension « dieu ». « Les baals » peut donc se traduire par « les dieux » (comme lorsqu’il est dit en Juges 2:11 que « les enfants d’Israël firent ce qui est mal aux yeux de Yahvé et ils servirent les baals »), tandis que Baal au singulier désigne Dieu, parfois aussi appelé Baal-Zebul, soit « maître des seigneurs », « chef des dieux », ou « le dieu en chef ». Par déformation, Baal-Zebul ou Béelzéboul a donné Belzébuth. Ainsi, ce qui est Dieu pour les Cananéens devient le Diable pour les juifs, puis pour les chrétiens.

Comme nous n’avons pas la version des Cananéens, nous ne savons pas ce qu’ils pensaient de Yahvé, mais il n’est pas exclu que, inversement, ils aient considéré Yahvé comme un démon maléfique, à l’instar des Égyptiens cités par Plutarque, qui disaient que le peuple juif a été engendré par Seth, le dieu du mensonge et de la discorde, meurtrier d’Osiris, soit l’équivalent égyptien du Diable (Isis et Osiris XXXI) [1]. On nous a appris que Baal ordonnait des sacrifices humains. C’est fort possible, mais en Nombres 31, c’est Yahvé qui réclame pour lui-même 32 jeunes vierges madianites, et, selon la critique historique, lorsqu’il est dit que des Israélites sacrifiaient leurs propres enfants au dieu Molech ou Moloch dans le temple de Yahvé et en son nom (Lévitique 20:2-3 ; Jérémie 7:30-31), il faut comprendre que Molech (qui signifie roi), n’est autre que Yahvé, et non Baal [2]. Encore un dédoublement tardif visant à blanchir Yahvé de ses turpitudes. Théophraste, un disciple d’Aristote, écrivait vers 250 av. J.-C. que « les Syriens, dont les juifs [Ioudaioi] font partie, sacrifient encore aujourd’hui des victimes vivantes », et qu’ils « furent les premiers à instituer des sacrifices d’autres êtres vivants et d’eux-mêmes » [3]. Qui croire ?

Le christianisme nous a appris qu’en épargnant Isaac, le Dieu d’Abraham a fait accomplir à l’humanité un pas de géant. Il nous a aussi transmis la leçon biblique que tous les autres dieux étaient des démons, et que Baal-Zebul, que les Cananéens prenaient pour le Dieu suprême, était en réalité le prince des démons. On lit dans l’Évangile de Marc : « Et les scribes qui étaient descendus de Jérusalem disaient [de Jésus] : « il est possédé de Béelzéboul », et encore : « C’est par le prince des démons qu’il expulse les démons ». » (Marc 3:22) Dans le christianisme primitif, ce prince des démons va naturellement fusionner avec Satan, le tentateur du Christ en Matthieu 4:8-10, et le manipulateur de Judas en Luc 22:3.

Retenons que le christianisme nous a imposé le point de vue hébraïque, qui diabolise tous les autres dieux que Yahvé, et même toutes les autres civilisations anciennes qui sont entrées en contact avec les Hébreux : Égyptiens, Babyloniens et Cananéens. Prendre conscience de ce parti pris, c’est s’autoriser à une démarche révisionniste. C’est ainsi que, dans la tradition chrétienne, le satanisme se confond avec le paganisme. Aujourd’hui encore, le baptême catholique est précédé d’une formule d’exorcisme, parce que dans les premiers siècles, un païen qui se convertissait devait d’abord reconnaître que les dieux qu’il vénérait étaient des démons, et s’arracher à son pouvoir.

Que notre diable est le produit de la diabolisation du paganisme est illustré par l’iconographie qui nous est familière. Pourquoi le Diable est-il représenté avec des cornes et des pieds de boucs ? C’est parce qu’il a pris les traits du dieu Pan, un dieu champêtre, originaire d’Arcadie, protecteur des bergers et inventeur de la flute. C’est là encore une illustration du fait que la figure du diable dans le christianisme est issue de la diabolisation des cultes pré-chrétiens. Même la figure de Mahomet subira un sort identique au Moyen Âge, lorsqu’elle sera transformée en Baphomet lors du procès des Templiers.

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Le nom de Lucifer est un autre exemple : c’est un mot latin qui signifie « porte-lumière », que les Romains réservaient à la planète et déesse Vénus. Dans ce cas, toutefois, l’adoption de ce nom est liée à une autre source de la mythologie du diable : le récit de la chute des anges. Le nom Lucifer apparaît dans la traduction latine (dite Vulgate) du verset 14:12 du Livre d’Isaïe : « Comme tu es tombé du ciel, astre brillant [Lucifer en latin], fils de l’aurore ! Comme tu as été renversé jusqu’à terre, dompteur des nations ! » Ce passage se réfère à un roi de Babylone, mais les pères de l’Église ont décidé de l’appliquer à Satan, identifié entre-temps à un archange rebelle tombé du Ciel.

Penchons-nous maintenant sur cette théorie de la chute de l’archange Lucifer, qui a joué et joue encore un si grand rôle dans l’imaginaire chrétien.

Les mythologies de l’ange déchu

La doctrine de la chute des anges ne se trouve ni dans l’Ancien Testament, ni dans le Nouveau. Elle a été élaborée dans les premiers siècles du christianisme, par des théologiens comme Justin de Naplouse, Irénée de Lyon, Tertullien de Carthage et Origène d’Alexandrie. On en trouve cependant l’ébauche dans l’Apocalypse de Jean, aux versets 12:7-9 :

« Alors, il y eut une bataille dans le ciel : Michel et ses anges combattirent le Dragon. Et le Dragon riposta, avec ses anges, mais ils eurent le dessous et furent chassés du ciel. On le jeta donc, l’énorme Dragon, l’antique Serpent, le Diable ou le Satan, comme on l’appelle, le séducteur du monde entier, on le jeta sur la terre et ses anges furent jetés avec lui. »

Ce thème du combat entre puissances angéliques est tiré de la littérature apocalyptique juive de la période hellénistique, influencée par la cosmologie perse et par le néoplatonisme, mais s’appuyant également sur le très bref passage de la Genèse (6:1-4) évoquant des géants (Nephilim) nés de l’union des fils de Dieu (benei Elohim) avec les filles des hommes. Ce thème est élaboré dans la première partie du très populaire Livre d’Hénoch, intitulée « Le Livre des Veilleurs » et rédigée probablement à la fin du IIIe siècle av. J.-C.

Parmi les apocalypses juives, citons La Vie d’Adam et Ève (ou Apocalypse de Moïse, pour la version grecque), datée du Ier siècle avant ou après Jésus-Christ, et conservée uniquement dans des versions christianisées. On y lit que Dieu, après avoir créé Adam, a réuni les anges pour admirer son œuvre et leur a ordonné de se prosterner devant son chef-d’œuvre, l’homme. L’ange Michel obéit, mais Satan refuse : « Je n’adorerai pas celui qui est plus jeune que moi et inférieur. Je suis plus âgé que lui ; c’est lui qui doit m’adorer ! »

Cette littérature juive, dite pseudépigraphique, est le trait d’union entre le judaïsme de la période hellénistique et le christianisme. Mais le mythe de la chute des anges qui y est développé connaît des versions alternatives, rejetées aussi bien par le judaïsme rabbinique que par le christianisme.

Il existe notamment un courant gnostique qui intègre cette thématique du combat des anges dans une cosmogonie complexe visant à expliquer comment le plan divin a été contrarié, et le monde matériel créé par accident. Dans cette version, c’est Yahvé, le créateur du monde matériel, qui est une entité angélique déchue ; il n’est pas seulement tombé dans le monde matériel, il l’a créé pour devenir le « Prince de ce monde ». Selon l’Apocryphon de Jean, daté du IIe siècle de notre ère, c’est un méchant archonte nommé Yaltabaoth, en lequel on reconnaît Yahvé, qui engendre le monde d’en bas et proclame : « Je suis un dieu jaloux, il n’y en a pas d’autre que moi. » Puis, il tente d’emprisonner Adam dans le Jardin d’Éden, un faux paradis. Mais le Christ lui envoie Ève pour libérer la lumière emprisonnée en lui faisant consommer le fruit libérateur de l’Arbre de la Connaissance. Le Serpent du chapitre 3 de la Genèse est donc ici associé ou assimilé au Christ.

Certaines sectes gnostiques enseignent, selon Irénée, que « la Mère divine utilisa le Serpent pour conduire Adam et Ève à désobéir aux ordres de Yaltabaoth et acquérir la connaissance, provoquant ainsi la colère de ce dernier, qui jeta alors le Serpent dans le monde inférieur, avec Adam et Ève ». Selon Tertullien, ces gnostiques « magnifient le Serpent à un tel degré qu’ils le placent même devant le Christ […]. « Car c’est le Serpent, disent-ils, qui nous a donné l’origine de la connaissance du bien et du mal. » » Vers l’an 400 dans Contre Faust, Augustin dialogue avec un manichéen qui, tout en s’affirmant chrétien (et traitant Augustin de demi-chrétien pour n’avoir pas rejeté les écritures juives), voit dans le Serpent le symbole d’un principe divin (I,2) [4].

Du point de vue d’un juif ou d’un chrétien, ces gnostiques inversent le mythe de la Genèse. Mais il faut comprendre que, de leur point de vue, c’est le récit de la Genèse qui est une inversion de la vérité, vérité qu’ils ne font que rétablir en remettant le récit à l’endroit. Qui croire ?

Il se trouve que la critique historique donne en partie raison aux gnostiques, car elle reconnaît dans le récit de la Genèse une attaque polémique contre le culte d’une divinité représentée par le Serpent. Plusieurs hypothèses ont été proposées pour identifier ce culte (je renvoie le lecteur à mon article « Qu’est-ce que le gnosticisme ? »). Le plus probable est cependant que la véritable cible du récit du Jardin d’Éden en Genèse 3 n’est pas un culte particulier, mais plutôt la croyance en la capacité donnée à l’homme d’accéder à la connaissance du bien et du mal par ses propres moyens. Cette croyance est moins gnostique que philosophique (lire « L’arbre philosophal et le dieu jaloux »), et l’on ne doit pas s’étonner que le philosophe Celse, contemporain de Marc Aurèle, dénonçât le dieu des juifs comme un ennemi du genre humain, « puisqu’il a maudit le serpent, de qui les premiers hommes reçurent la connaissance du bien et du mal » (Origène, Contre Celse VI,28). À la différence des gnostiques, les philosophes ne prennent pas Yahvé au sérieux, ni comme Dieu suprême, ni comme mauvais démiurge créateur du monde matériel : il n’est pour eux que le méchant « dieu des Juifs » dont le culte rend les juifs méchants.

En définitive, les gnostiques comme les philosophes dénoncent dans le récit biblique une ruse. Ils pourraient donc rétorquer à Baudelaire : « La plus belle ruse de Yahvé est de nous faire croire qu’il est Dieu alors qu’il est un démon malfaisant (ou une Idée malsaine). »

Le grand historien britannique Steven Runciman a écrit ceci sur les sectes gnostiques :

« La plupart des sectes divisaient l’humanité en trois catégories, suivant la mesure d’étincelles divines qui existait en chaque homme. Ces catégories étaient, selon Valentin : les Spirituels, qui étaient remplis de divinité, et auxquels il ne fallait pour être sauvés que la Gnose et les mots du mystère. […] Ensuite les Psychiques, qui avaient dans l’âme une petite étincelle, mais n’étaient pas assurés du salut. Ils devaient faire le bien pour le mériter. […] Enfin, il y avait les Matériels, hommes dépourvus de l’étincelle et qui retournaient inévitablement à la poussière d’où ils étaient venus. » [5]

Or, que dit Yahvé à l’homme en le chassant du Paradis ? « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière. » (Genèse 3:19).Tu n’es qu’un être matériel, aucune âme immortelle ne t’habite. Tel est le dogme premier de la religion de Moïse, véritable anti-religion du point de vue des religions qui font de l’immortalité de l’âme le socle de la foi et de la morale. C’est une malédiction, en vérité, que Yahvé, le dieu d’Israël, a jeté sur son peuple. N’est-il pas le dieu maléfique par excellence ?

Satanisme et transsexualisme : même combat

Étant donné que Satan n’a pas de réelle consistance dans la tradition juive, n’est-il pas étrange que deux des sectes sataniques les plus en vue aient été fondées par des juifs : Anton LaVey, fondateur de l’Église de Satan en 1966, ou plus récemment Malcolm Jarry, fondateur du Temple satanique. La « biographie autorisée » de LaVey nous apprend que, dans sa jeunesse, « il s’impliqua dans des groupes militants israéliens, dont certains fournissaient des armes à la nouvelle nation — des organisations portant des noms tels que Betar, Hashimer Hatzair, Poale Zion, le Stern Gang et l’Irgoun » [6]. Quant à Jarry, il se décrit lui aussi comme un « juif laïc » attaché à Israël. Selon l’article que lui consacre The Times of Israel, il prêche « l’art du changement social « satanique » ». Le « changement social » pour les goyim : une passion juive.

Remarquons également que la mythologie satanique, qui avait perdu son attrait au début du XXe siècle, a été réactivée au cinéma par des réalisateurs juifs : Roman Polanski avec Rosemary’s Baby (1968) et William Friedkin avec L’Exorciste (1973). Ces deux films ont eu une influence considérable sur la psyché collective, et ont fait de nombreux petits. Là encore, il faut s’interroger sur le fait que ce ne sont pas de vrais satanistes, mais de vrais yahvistes qui nous imposent Satan.

Notons, enfin et surtout, que le satanisme culturel est souvent associé au transsexualisme. C’était déjà un peu le cas avec The Rocky Horror Picture Show, produit en 1975 par Lou Adler et Michael White. Un « film culte », me disait-on dans ma jeunesse, ce qui signifie qu’un culte a été organisé autour de ce film, à destination de la jeunesse. Organisé par qui, telle est la question.

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Mais l’association du satanisme et du transsexualisme est plus marquée et plus systématique depuis les années 90. Les exemples sont trop nombreux pour que je me livre à un inventaire du phénomène. Pensons à l’exemple emblématique de Marilyn Manson.

Mais éliminons d’abord un faux problème. La question qui nous intéresse n’est pas celle de la motivation de celui qui se fait appeler Marilyn Manson, mais celle de la motivation de ceux qui décident d’en faire une star, à commencer par son producteur Trent Reznor. Le sujet important n’est pas la responsabilité de l’artiste, mais la responsabilité de ceux qui décident quel type d’art et quels artistes vont être promus. Plus largement, la question n’est donc pas de savoir pourquoi il y a des pervers dans nos sociétés, mais pourquoi ils sont érigés en modèles pour la jeunesse, plutôt qu’enfermés dans des centres de rééducation. Ce que nous cherchons à comprendre ici, ce ne sont pas les pervers eux-mêmes, mais l’origine et la motivation des courants culturels et intellectuels qui promeuvent la perversité. Ainsi, il existe une pathologie nommée autogynéphilie, conceptualisée par le psychiatre Ray Blanchard : les hommes porteurs de cette pathologie éprouvent une excitation sexuelle en se travestissant en femme. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas ce trouble psychiatrique, mais le mouvement politique et culturel consistant à vulgariser cette pathologie pour en faire une normalité (voir à ce sujet le documentaire Les loups dans la Bergerie).

Pour clarifier le sujet, j’ai proposé, dans « Satanisme et transgression de masse », de considérer le satanisme culturel comme un exemple parmi d’autre de ce qu’Alain Soral a pertinemment nommé la « transgression de masse ». Le satanisme n’est que la transgression du sacré et du religieux, et s’il est associé à la transgression des repères anthropologiques par le transsexualisme, c’est parce qu’il va dans le sens du même courant. Les symboles et l’esthétique sataniques servent de décor au transsexualisme, en tant que codes programmatifs de la transgression des valeurs morales traditionnellement défendues en Occident par le christianisme.

Le satanisme est la forme culturelle, le transsexualisme est le fond idéologique. Le satanisme est là pour accompagner et faciliter le dernier stade du « changement social » : la destruction des repères anthropologiques les plus fondamentaux.

Le fond idéologique est bien représenté par Martine (ex-Martin) Rothblatt, coauteur dans les années 90 du premier projet de loi sur l’identité de genre, la Charte internationale des droits du genre (International Bill of Gender Rights), et d’un best-seller, The Apartheid of Sex (réédité en 2011 sous le titre From Transgender to Transhuman). On lit dans ce dernier :

« À l’avenir, le fait d’étiqueter les gens à la naissance comme « mâle » ou « femelle » sera considéré comme aussi injuste que la pratique sud-africaine, aujourd’hui abolie, qui consistait à apposer la mention « noir » ou « blanc » sur les cartes d’identité des personnes. […] L’apartheid du sexe est tout aussi néfaste, douloureux et oppressif que l’apartheid de la race. »

« L’insistance des féministes à considérer les individus comme des individus, indépendamment de leur biologie sexuelle, peut maintenant être portée à l’étape logique suivante : les individus sont des individus, pas des types de sexe. »

« Au troisième millénaire, l’orientation sexuelle évoluera vers un modèle unisexuel, car les types de sexe « masculin » ou « féminin » disparaîtront. Les personnes, quelle que soit leur caractéristique génitale de naissance, se sentiront libres de s’identifier comme olive, magenta, corail, ébène ou blanc, ou comme femme ou hommasse, dure, tendre ou trans. Avec ce continuum de possibilités sexuelles, les termes « gay », « hétéro » et même « bisexuel » perdront toute signification. » [7]

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Sans surprise, le militantisme transsexualiste s’appuie sur la lutte contre le racisme et contre le sexisme. Il exploite ainsi l’effet cliquet du juridique : un droit acquis n’est jamais remis en question et sert d’appui au combat suivant.

Mais pour comprendre ce qu’il se passe vraiment, il faut aller encore au-delà de l’explication idéologique. Il faut, en quelque sorte, passer de la Raison d’Hegel à la Volonté de Schopenhauer. Au commencement n’est pas l’idéologie, le projet rationnel. Au commencement est la haine du dieu jaloux et sa volonté de nous détruire.

Notes

[1] Selon la légende égyptienne rapportée par Plutarque, Seth, le dieu à tête d’âne, erra en Palestine où il enfanta deux fils, Hierosolymos and Youdaios, soit Jerusalem et Juda. La rumeur rapportée par Tacite et d’autres historiens, selon laquelle le Temple de Jérusalem abritait une tête d’âne en or, est très certainement liée.

[2] Thomas Römer, L’Invention de Dieu, Seuil, 2017, p. 181-183.

[3] Menahem Stern, Greek and Latin Authors on Jews and Judaism (vol. 1), Israel Academy of Sciences and Humanities, 1974, p. 10.

[4] Attilio Mastrocinque, From Jewish Magic to Gnosticism, Mohr Siebeck, 2005, p. 7-10.

[5] Steven Runciman, Le Manichéisme médiéval. L’hérésie dualiste dans le christianisme, Payot, 1949, p. 13.

[6] Blanche Barton, The Secret Life of a Satanist : The Authorized Biography of Anton Szandor LaVey, 1992, p. 13.

[7] Citation tirée de la préface de Harold Brackman à la nouvelle édition (From Transgender to Transhiuman, 2011).



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