Au bord du bassin de Corbières, dans les quartiers nord de Marseille, une trentaine d’enfants glissent leurs premières brassées. Âgés de 6 à 12 ans, ils viennent de La Castellane, de Saint‑Antoine ou de Kalliste. Pour beaucoup, c’est leur premier contact avec l’eau… et peut-être leur premier sentiment d’appartenance à leur ville.
Depuis 25 ans, L’association Le Grand Bleu milite pour que ces enfants apprennent à nager et, plus largement, deviennent citoyens à part entière. Fondé le 18 mai 2000 par Brahim Timricht, éducateur sportif de formation et ancien moniteur de kayak, le projet est simple : faire de la mer un espace d’inclusion sociale. « Je suis né ici. J’ai vu trop de gamins regarder la mer comme un truc pour les autres », explique-t-il.
Marseille compte 14 piscines municipales pour 900 000 habitants, soit seulement 6 m² de bassin pour 1 000 personnes (contre 15‑18 m² ailleurs). Dans les quartiers nord, plus de 40 % des habitants sont en dessous du seuil de pauvreté, et un enfant sur deux ne sait pas nager en entrant au collège. Pour répondre à ces inégalités, l’association a recruté 32 salariés, œuvre dans toutes les piscines, de La Busserine à Corbières, et bénéficie de la générosité du Sofitel Marseille Vieux‑Port. « Les clients sont contents de voir des enfants émerveillés dans un lieu qui pouvait leur paraître inaccessible », souligne Caroline Prodhon, directrice de la communication de l’hôtel et plongeuse passionnée.
Du baptême à la formation : un parcours concret
L’an dernier, 2 200 enfants ont appris à nager grâce au Grand Bleu. Mais l’effort va au‑delà des cours de natation : depuis trois ans, l’association est devenue organisme de formation, avec un pôle dédié aux métiers de la natation et du secourisme marin. « On forme des maîtres‑nageurs sauveteurs en dix mois, via un contrat d’apprentissage. Et certains décrochent des CDI dans les piscines ou sur les plages privées », raconte Brahim.
L’action s’exporte même hors de France. Fin avril, 50 enfants algériens ont bénéficié du même programme au Sofitel d’Alger, en partenariat avec l’Éducation nationale algérienne. « On forme aussi le personnel de l’hôtel et les piscinistes. La plupart sont des filles, d’ailleurs », précise Brahim, sourire en coin.
En parallèle, l’association a investi en 2023 une ancienne poste dans les quartiers nord pour y créer un tiers‑lieu : espace de formation, de vie collective, de transmission. C’est là que se croisent aujourd’hui jeunes en formation, mamans engagées, et anciens élèves devenus enseignants.
Une reconnaissance qui donne de la voix
En 2024, One Provence, l’agence de valorisation du territoire métropolitain Aix‑Marseille‑Provence, a distingué Brahim comme « acteur des transitions ». Ce label n’apporte pas d’argent, mais confère visibilité, légitimité et ouverture auprès des institutions. « Je ne cours pas après les médailles. Mais ce soutien aide vraiment à ouvrir des portes », reconnaît‑il.
Dans une ville marquée par de fortes inégalités, l’action du Grand Bleu rejoint un combat majeur : le droit à la mer et aux équipements communs. Ici, apprendre à nager, c’est se donner les clés de l’émancipation, de l’intégration, de la sécurité. Ce n’est pas un luxe : c’est un droit.