Le goût de l’Enfer, par Lotfi Hadjiat



Le goût de l’Enfer, par Lotfi Hadjiat

Imaginez une situation vraiment sans issue. Sans brèche, sans espoir, sans la moindre éclaircie. Une situation où même la mort n’est plus l’ultime issue. Une situation abominable où vous n’arrivez pas à vous donner la mort pour que cesse l’horreur, même en vous plantant le cœur à coups de couteau avec acharnement. Une situation où toute prière, toute imploration, tout supplication reste sans réponse, où l’idée même d’un dieu sauveur n’est même pas envisageable. Imaginez, en un mot, une situation où l’éternité devient la détresse suprême. Cette éternité, cette vie éternelle dont on rêve lorsqu’on vit sur Terre. Ou dont on se moque. Imaginez une situation où vous vous souvenez de votre vie sur Terre comme d’un rêve, et où vous comprenez que cette vie sur Terre n’était finalement qu’un rêve et que l’horreur sans issue que vous vivez maintenant est le réel. Le seul réel, où le doute n’est plus permis, comme sur Terre… le réel le plus implacable. Sans limites. Sans collines, sans vallées, chaos infini. À l’horizon duquel il n’y a que ténèbres, abjections et souffrances. Un réel sans la moindre lueur de joie, sans la moindre éclaircie, sans la moindre trace d’amour. Sans cycle de jour et de nuit. Sans jour. Je ne sais pas si vous parvenez à imaginer cela. Ce qui nous permet sur Terre de supporter l’horreur c’est de savoir qu’elle cessera à notre mort. Mais cela devient insupportable lorsque nous savons que cela ne cessera pas, puisqu’il n’y a plus de mort. Imaginez donc une situation où la vie est insupportable en permanence, au milieu d’un déferlement de haine incessant venant de toutes parts de créatures effroyables, vous dévorant et s’entre-dévorant entre elles, mais ne mourant jamais. Où la douleur infinie de l’âme précède l’immense et inarrêtable souffrance de la chair. Où l’âme souffre le plus horriblement de ne pas pouvoir mourir, et de ne pouvoir faire mourir la chair. Où la prière la plus profonde est celle de demander la mort, en vain… Où vous ne faites qu’un avec le désespoir. Où il n’y a plus de mensonge, et où la seule vérité est celle du chaos abominable sans issue. Où rien n’est voilé. Où l’on ne peut rien cacher, préserver, et encore moins réparer. Où la notion d’intimité est violée brutalement, inlassablement. Où toute idée de justice ou de révolte est vaine, absurde, tout comme l’idée d’innocence… où la seule certitude est votre souffrance éternelle, et où le mal est la seule réalité, et où le bien n’est que le fruit de votre imagination. Imaginez une situation sans repos, sans sommeil pour oublier… Une situation où l’on ne peut rien apprendre, rien comprendre au milieu d’un chaos sans histoire, sans origine, sans destin… une situation où l’idée même de sagesse est absurde, où l’idée même d’harmonie ou de mesure est grotesque et où la laideur triomphe partout. Où satisfaction et insatisfaction n’ont aucun sens, où les mots deviennent ineptes, où le langage n’éclaire plus l’âme. Où plus rien n’a de sens. Où raisonner devient insensé, où rien n’est sensé. Où l’humour est impossible. Où les notions de chance ou de hasard périssent au profit de la seule nécessité. Nécessité du pire, où tout va en perdition. Imaginez cette vie insoutenable où vous vous demandez incessamment de quoi vous êtes coupable pour mériter cette expiation démesurée, et où la notion même d’expiation perd tout son sens. Où le pouvoir de dire non devient ridicule. Où l’humilité n’a aucun sens. Et où l’humiliation la plus cruelle et la peur la plus envahissante deviennent l’air que l’on respire. Imaginez une situation où tout est démesure, une situation de terreur déchaînée perpétuelle, sans ailleurs, sans appel, sans recours, sans passé, sans future, sans logique, sans le moindre sens… où toute idée de quête, de recherche d’un mieux est vaine… imaginez que votre imagination abdique… imaginez un monde où le seul pouvoir est celui de la haine, pouvoir discrétionnaire… où le plus haineux n’est jamais assez haineux pour être toujours le maître… où il n’y a pas de maître, pas d’autorité, pas de hiérarchie… où orgueil et fierté sont inexorablement noyés dans la fureur destructrice d’un océan de puanteur… et où le seul prix et la seule valeur ne peuvent être que la haine… et où vous vous mettez vous-même à haïr, tout et rien, à haïr intégralement, absolument, au point de vous haïr vous-même, jusqu’à ne faire qu’un avec la haine, mais sans jamais tomber dans la folie, ou l’inconscience… imaginez au contraire que vous ayez pleinement conscience de cet enfer brûlant et dévorant où rien ne tient et tout rompt, où rien ne vous appartient excepté votre souffrance, où vous ne vous reconnaissez pas en autrui ni en rien, où l’identité se perd dans l’altérité la plus monstrueuse, où la seule création possible est la création de souffrance, pour soi et pour les autres et où la liberté de choix n’a plus aucun sens… Imaginez seulement que cette infernale situation soit possible… infernales souffrances dont vous seriez seul responsable… et qu’un dieu infiniment bon puisse mettre fin à vos souffrances, en vous invitant à la bonté… Feriez-vous alors le choix de la bonté ?…

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