« Ce qui est inquiétant, c’est notre dépendance à la technologie, qui nous déconnecte des gestes fondamentaux appris avec notre environnement. En tant qu’auteur, c’est fascinant, mais en tant qu’humain, c’est préoccupant. »
Texte: La Relève et La Peste
Zep n’est pas que le papa de Titeuf. Il explore aujourd’hui des récits puissants, entre S.F., écologie et philosophie, porté par un regard mature et une envie intacte de raconter le monde. Propos recueillis par Alexandre Sauzedde, pour la radio indépendante Wave Radio, avec laquelle La Relève et La Peste collabore depuis plusieurs années.
Cet entretien a initialement été publié dans le magazine Wave Radio, que vous pourrez retrouver dans sa version digitale gratuite en cliquant ici. La Relève et La Peste collabore depuis plusieurs années à sa rubrique Environnement.
Après Titeuf, qu’est-ce qui vous a poussé à explorer des récits plus adultes, centrés sur les enjeux environnementaux ?
J’abordais déjà ces thèmes dans Titeuf car ils s’imposent naturellement à un auteur. Même en fiction, on reste lié à l’époque dans laquelle on vit, influencé par le contexte social. L’idée, c’était de montrer les préoccupations actuelles à travers le regard d’un enfant, avec une approche plus légère et rassurante.
En vieillissant, j’ai eu envie de parler de choses plus graves, plus adultes. J’aime la science-fiction, l’anticipation : c’est une excellente façon de questionner le présent. Imaginer le futur, c’est réfléchir aux enjeux d’aujourd’hui et à ce qu’ils peuvent produire.
C’est ça, le rôle de la science-fiction : proposer des hypothèses, alerter parfois, et nous faire penser à la société qu’on construit.

Avec des récits plus réalistes et engagés comme « The End » ou « Ce que nous sommes », vous avez pris un tournant. Comment a-t-il été perçu par vos éditeurs, le public et les médias ?
Ce tournant s’est fait en douceur. J’avais déjà en tête des récits plus réalistes, que je notais dans des carnets sans vraiment les revendiquer. Je me voyais surtout comme un auteur d’humour, une posture que j’avais adoptée dès l’enfance pour faire face à une certaine inquiétude face au monde.
L’humour était une façon de tenir à distance l’angoisse. Puis, avec le temps, cette peur s’est estompée.
J’ai commencé à regarder le monde avec plus de recul, parfois même d’émerveillement, malgré la conscience aiguë des menaces qui pèsent sur lui. Ce regard plus mature m’a donné envie de traiter des sujets humains et sociétaux sous un autre angle.
Naturellement, mon dessin a suivi cette évolution, avec un style plus réaliste, ancré dans l’observation. L’accueil a été plutôt positif. Il y a eu de la surprise, évidemment, mais aussi de la curiosité. On m’a demandé si j’abandonnais l’humour, mais non : pour moi, c’est toujours la même envie de raconter.
Ces albums ont aussi touché un nouveau public, parfois éloigné de la B.D., attiré par le format roman graphique, cette étiquette qui rend peut-être la B.D. plus accessible à certains.

Pensez-vous que la fiction peut avoir un impact sur la prise de conscience écologique ?
La fiction a un impact profond car elle nous immerge dans les histoires de manière émotionnelle, contrairement aux informations qu’on regarde souvent avec distance.
Prenez un sujet comme le clonage. Quand j’étais ado, c’était une question qui revenait souvent dans les débats éthiques, mais ça restait un peu abstrait. Puis vous voyez Blade Runner, et tout à coup, la question vous percute. Elle devient personnelle, émotionnelle.
C’est cette capacité de la fiction à engager et à faire ressentir qui est essentielle. Elle joue un rôle majeur dans la prise de conscience sur des sujets comme la guerre, l’écologie ou les inégalités.
Aux États-Unis, la fiction a parfois eu plus d’impact que les manifestations, en touchant des personnes qui n’étaient pas déjà convaincues et en ouvrant leurs yeux sur l’inacceptable.
Passer de l’humour à des récits plus sombres et philosophiques, ça a changé votre façon d’écrire et de dessiner ?
Oui, complètement ! Ces récits disent autre chose que Titeuf. L’objectif, ce n’est pas de faire peur aux jeunes, mais de les rassurer, de leur montrer qu’ils peuvent agir. Dans Titeuf, il s’agit de comprendre, d’observer le quotidien. Dans The End, on passe à un récit plus apocalyptique, qui fait un peu peur — et c’est aussi ce qu’on cherche en science-fiction.
On aime frissonner, pas forcément être rassuré. Quand la S.F. parle d’extraterrestres, on garde de la distance. Mais dès qu’on touche à l’écologie ou au climat, ça devient très concret. Les scientifiques posent les faits. Nous, auteurs, on a la liberté d’imaginer jusqu’où ces faits pourraient aller. C’est la force de la fiction.
Et quand elle s’appuie sur du réel, oui, elle peut — et peut-être doit — faire un peu peur. C’est une manière de provoquer une prise de conscience.

Dans The End, la nature est presque un personnage à part entière. Comment avez-vous travaillé cette idée ?
Ça commence toujours par un instinct.
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source : La Relève et La Peste, publié le 15 juillet 2025
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