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par Franck Pengam
🔥 Les essentiels de cette actualité
- Les affrontements à la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande risquent de dégénérer en guerre, selon le Premier ministre thaïlandais par intérim.
- Plus de 138 000 personnes déplacées et des victimes civiles des deux côtés, alors que les combats s’intensifient.
- Un vieux conflit ravivé par des tensions diplomatiques et des accusations mutuelles autour du temple de Preah Vihear.
- Les dirigeants politiques utilisent le nationalisme comme écran de fumée, alors que les civils paient le prix fort.
Ce vendredi, le Premier ministre thaïlandais par intérim, Phumtham Wechayachai, a lâché une bombe verbale : les affrontements à la frontière «pourraient dégénérer en guerre».
Le genre de phrase qui, ailleurs, sonne comme un signal d’alarme. Ici, elle ressemble à une stratégie politique bien huilée.
Les combats, déclenchés jeudi, sont les plus violents depuis plus d’une décennie. Résultat immédiat : expulsion de l’ambassadeur cambodgien de Bangkok. Réplique de Phnom Penh : rappel de son propre diplomate. Le ton est donné.
Pendant que les chefs paradent, les villages brûlent
Pendant que les gouvernements jouent à la diplomatie de la poudre, le bilan humain grimpe. Plus de 138 000 personnes déplacées côté thaïlandais, dont 14 civils tués et un enfant de huit ans.
Du côté cambodgien, à Oddar Meanchey, un responsable local évoque un mort, cinq blessés et 1 500 familles évacuées. Des chiffres édifiants, relégués au second plan dans les discours officiels.
Sur le terrain, les combats s’étendent à douze points le long de la frontière. L’armée thaïlandaise accuse les Cambodgiens d’avoir pilonné la zone avec de l’artillerie lourde et des roquettes BM-21. En réponse, Bangkok affirme avoir riposté de manière «appropriée à la situation tactique».
Traduction : l’escalade est assumée, les frappes se multiplient. Vendredi matin, des affrontements ont encore été signalés dans les provinces d’Ubon Ratchathani et de Surin.
Deux vieux chefs, un vieux conflit, et toujours les mêmes dégâts
Cette violence n’est pas sortie de nulle part. En mai, déjà, un échange de tirs avait coûté la vie à un soldat cambodgien. Mercredi dernier, cinq soldats thaïlandais sautaient sur une mine.
Bangkok accuse Phnom Penh d’avoir miné la zone récemment. Réponse du Cambodge : déni en bloc. L’épisode a suffi à raviver la tension. L’expulsion des diplomates n’a été qu’un accélérateur.
Mais ce conflit, ce n’est pas seulement une histoire de frontières. C’est aussi un bras de fer entre deux vieux loups de la politique.
Hun Sen, toujours dans l’ombre du pouvoir à Phnom Penh, même après avoir officiellement passé la main à son fils. En face, Thaksin Shinawatra, figure populiste thaïlandaise, dont la fille Paetongtarn dirige désormais le gouvernement.
Jeudi soir, Thaksin publie un message incendiaire :
«Nous devons laisser l’armée thaïlandaise faire son travail et donner une leçon à Hun Sen.»
Hun Sen contre-attaque sur Facebook : il dénonce le «ton belliqueux» de Thaksin, l’accuse de vouloir déclencher une guerre par pure revanche personnelle et d’en faire payer le prix au peuple.
Une guerre coloniale qui ne veut pas mourir
Au cœur du conflit : un territoire de 4,6 km² autour du temple de Preah Vihear, classé à l’UNESCO.
En 1962, la Cour internationale de justice l’a attribué au Cambodge, mais la Thaïlande continue de contester l’accès. Une dispute vieille de plus d’un siècle, fondée sur des cartes coloniales dont personne ne veut assumer les conséquences.
Voilà ce que ça donne quand les cicatrices de l’histoire sont ignorées : elles s’infectent. Et elles explosent.
En 2008, déjà, des morts. En mai dernier, encore un mort. Aujourd’hui, c’est une poudrière.
Avec deux gouvernements politiquement instables – un cabinet intérimaire à Bangkok, un pouvoir transmis dynastiquement à Phnom Penh – personne ne semble avoir intérêt à calmer le jeu.
Mieux : la guerre semble devenir une option politique.
Un écran de fumée qui sent la poudre
Difficile de ne pas voir dans cette flambée une manœuvre. Quand les dirigeants sont fragiles, le nationalisme devient l’outil parfait.
Rien de tel qu’un temple sacré pour détourner l’attention des problèmes intérieurs. Mais à qui profite vraiment ce conflit ? Certainement pas aux civils.
Pendant que les gouvernants fanfaronnent, un hôpital est bombardé dans la province de Surin. Le ministre thaïlandais de la Santé parle de «crime de guerre».
Et pendant ce temps, la diplomatie internationale fait mine de s’alarmer.
Les grandes puissances sortent les communiqués, pas les solutions
Le Conseil de sécurité de l’ONU devait se réunir vendredi.
À New York, les paroles sont bien huilées. «Gravement préoccupés»… «profondément attristés»… Tommy Pigott, porte-parole adjoint du département d’État américain, a appelé à la fin des hostilités. De son côté, la Chine promet d’»œuvrer à sa manière» pour promouvoir le dialogue. Un mot de trop, un missile de moins, et rien ne change.
Pendant ce temps, Phumtham accuse l’autre camp d’utiliser des armes lourdes hors des zones de combat. Il parle de violations du droit international. Puis affirme :
«Ce qui s’est passé était une provocation et nous avons dû nous défendre.»
Voilà comment on justifie une guerre.
Le ministère britannique des Affaires étrangères, de son côté, déconseille désormais tout voyage non essentiel dans plusieurs zones des deux pays.
Comme si fuir les zones rouges suffisait à échapper au cynisme politique.
Sur le terrain, ce sont les civils qui trinquent
Tandis que les élites s’invectivent sur les réseaux sociaux, les habitants, eux, se cachent ou fuient. Dans les collines khmères, le fracas des roquettes remplace les voix. Les tranchées ne sont plus une métaphore. La paix ? Une promesse qu’on sort à la fin des communiqués.
Ce conflit, on le connaît. On l’a vu ailleurs. On le voit encore. Mais tant qu’on continuera à ignorer les véritables causes, à se contenter d’accuser l’autre et à recycler les vieilles haines au nom de la patrie, rien ne changera. Et les morts continueront de tomber, loin des caméras et des conférences de presse.
source : Géopolitique Profonde