Quand l’expansionnisme japonais inspire les adversaires de l’unité chinoise


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par Bruno Guigue

À la veille de la commémoration de la victoire de 1945, rappelons que le discours qui nie l’intégrité territoriale de la Chine puise ses origines dans l’expansionnisme nippon.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’en faisant la promotion du séparatisme au Xinjiang et au Tibet, les officines occidentales qui accusent la Chine d’opprimer ses minorités ethniques s’en prennent ouvertement à sa souveraineté nationale et à son intégrité territoriale. S’immisçant dans les affaires intérieures de la Chine, elles prônent le démembrement d’une nation qui s’est construite durant deux millénaires en agrégeant des populations diverses réunies dans le creuset d’une culture commune. Ce qu’elles prennent pour cible, c’est le fruit d’une construction nationale pluri-millénaire qui a été parachevée par la République populaire de Chine. Car celle-ci a garanti l’égalité entre tous ses citoyens, quelle que soit leur origine, et promu le développement de toutes ses régions dans le cadre d’un État multiethnique rejetant toute forme de discrimination. En soutenant les revendications séparatistes et sécessionnistes, la propagande étrangère se livre, consciemment ou non, à une négation insidieuse de la Chine comme État souverain, unitaire et doté de frontières intangibles.

Ces faits sont assez bien connus. Ce qui l’est moins, c’est que cette attaque en règle contre l’intégrité territoriale de la Chine reproduit les présupposés d’une doctrine élaborée au début du XXe siècle par les thuriféraires de l’expansionnisme japonais. Déterminés à justifier la mainmise de l’Empire nippon sur le territoire chinois, en effet, ces derniers explorèrent l’histoire et la géographie pour trouver des arguments invalidant l’appartenance à la Chine de la Mandchourie, de la Mongolie, du Tibet, du Xinjiang et de Taïwan. Dans un climat international marqué par les rivalités entre impérialismes, les ambitions japonaises paraissaient aussi légitimes, aux yeux des intellectuels nippons, que les convoitises européennes. Ils n’eurent donc aucun scrupule à prétendre que la Chine n’avait pas les caractéristiques d’un État-nation et n’exerçait sur ses provinces périphériques qu’une autorité factice, leur rattachement temporaire à l’ensemble chinois relevant de simples circonstances. Servant les intérêts de la clique militariste qui prit le pouvoir à Tokyo dans les années 1930, ce discours pseudo-historique niait l’existence d’une Chine souveraine et unitaire.

Après la première guerre sino-japonaise de 1894 qui a vu le Japon s’emparer de Taïwan, celui-ci n’a cessé d’avancer des revendications sur le sol chinois. Les savants japonais ont alors utilisé le concept occidental d’État-nation pour dénier cette caractéristique à l’Empire Qing et le réduire à un régime dynastique. Dans cette conception, la «véritable Chine» se voyait réduite à la «Chine des Han», dont le territoire était compris entre la Grande Muraille et le plateau tibétain. Aux confins du pays chinois, les populations vivant en Mandchourie, en Mongolie, au Tibet et au Xinjiang étaient définies comme des populations périphériques dont les caractéristiques ethniques et culturelles ne justifiaient nullement leur appartenance à la «Chine». Une théorie dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’était pas désintéressée : pour Fukuzawa Yukichi, qui écrit en 1898, «le Japon devrait s’engager dans la lutte avec les puissances occidentales pour contrôler ces territoires périphériques». Poussant encore plus loin le raisonnement, les experts japonais estimaient que la Mandchourie, la Mongolie, le Xinjiang et la Corée, en définitive, étaient «comme le territoire japonais».

En 1923, l’universitaire japonais Yano Jin’ichi (1872-1970), à son tour, affirma que la Chine ne pouvait être qualifiée d’État-nation et que les territoires périphériques n’en faisaient pas partie. Durant la guerre, en 1943, il prononça une série de conférences dans lesquelles il proposait de «concevoir une histoire de la grande Asie orientale» qui résonnait avec le projet expansionniste nippon de la «sphère de co-prospérité asiatique» sous tutelle impériale japonaise. Pour cet auteur, les choses tombaient sous le sens : «la Chine n’a pas de frontières» et «la Chine n’est pas un État». À sa suite, les chercheurs japonais ont démenti le récit traditionnel chinois selon lequel les dynasties successives ont constitué un État unifié associant des peuples d’origines diverses. Comme le montre l’histoire de la Chine, cette unification territoriale s’opérait de manière variable, et la cohésion de l’empire reposait sur la diffusion d’une culture commune imprégnée de l’éthique confucéenne. Mais les idéologues japonais ont délibérément passé sous silence cette histoire complexe et récusé toute prétention de la Chine républicaine, après 1912, à fonder son unité politique et son intégrité territoriale sur l’héritage des Qing.

Cette représentation japonaise de la Chine, par la suite, a justifié un expansionnisme dont les Chinois ont fait les frais, sans discontinuer, de 1931 à 1945. Allié de l’Allemagne hitlérienne et de l’Italie fasciste, le Japon militariste des années 1930 a exercé contre le peuple chinois une violence d’autant plus débridée qu’il réunissait les principales caractéristiques d’un fascisme analogue à celui de ses homologues européens : une mystique de la race nippone, vouée en vertu de sa supériorité guerrière à dominer toute l’Asie, un dévouement absolu à l’Empereur, cette incarnation divine de la nation, une militarisation intégrale de la société et une compulsion irrésistible à la guerre de conquête, la violence de l’agresseur étant sacralisée au point de justifier par avance les pires brutalités contre les populations civiles. Avec le déferlement des forces nippones sur l’ensemble du territoire chinois, à partir de 1937, la résistance chinoise donna naissance au premier grand champ de bataille de la Seconde Guerre mondiale. Et de juillet 1937 à l’attaque de Pearl Harbor en décembre 1941, quatre années durant, la Chine ne put compter que sur elle-même pour affronter l’envahisseur.

Si les temps ont changé, et fort heureusement, il est frappant de constater que l’élaboration doctrinale qui visait autrefois à justifier l’expansion japonaise a des résonances très contemporaines. Comme par hasard, la «nouvelle histoire des Qing» (New Qing History) développée dans les milieux universitaires américains depuis une trentaine d’années semble converger avec cette narration aujourd’hui un peu oubliée, mais dont les schémas intellectuels pèsent encore sur la représentation de l’histoire chinoise. Thèse désormais à la mode au Japon comme aux États-Unis, l’idée que «l’Empire mandchou n’était pas la Chine» reprend la vieille théorie selon laquelle la dynastie Qing était une «dynastie étrangère», un «règne de conquérants», le peuple mandchou jouissant d’une «singularité ethnique et culturelle» irréductible à toute sinisation. Que la dynastie Qing ait été perçue de la sorte par certains Chinois n’est pas faux, mais l’opposition au régime qui triomphe en 1644 n’en a pas fait pour autant un corps étranger dans la Chine de l’époque. La réussite des grands règnes du XVIIIe siècle (Kangxi, Qianlong), au contraire, témoigne de la capacité de la dynastie d’origine mandchoue à assimiler avec succès la culture chinoise, à procurer sa stabilité à l’État impérial et à garantir une relative prospérité matérielle.

C’est pourquoi les révolutionnaires de 1911, après un temps d’hésitation qui s’explique par leur hostilité à l’égard d’une dynastie en phase terminale, vont s’approprier cet héritage, reprenant sous la bannière de la République proclamée en 1912 le principe unificateur adopté par le régime monarchique. L’édit proclamant l’abdication du dernier empereur des Qing en 1911 appelait à «préserver le modèle des cinq nations mandchou, han, mongol, hui et tibétain». En 1912, lors de la création de la République de Chine, Sun Yat-sen, alors président par intérim, déclare qu’il accepte à son tour «le programme des cinq nations sous une seule République». Et dans son discours inaugural, il s’engage à «unifier le territoire chinois en combinant les terres des Han, des Mandchous, des Mongols et des Tibétains en un seul État». De l’empire des Qing à la jeune République fondée par une nouvelle génération révolutionnaire, la transmission du pouvoir s’accompagne ainsi d’une responsabilité particulière, celle de préserver l’intégrité territoriale de la Chine et l’unité de ses composantes ethniques. Recueillant cet héritage, Sun Yat-sen et ses successeurs tenteront, au prix de mille difficultés, de maintenir les acquis de l’extraordinaire brassage ethnique et culturel qui a forgé l’identité chinoise depuis des millénaires et qui constitue toujours le fondement inébranlable de son unité.

Il faut reconnaître l’importance de ce long processus d’acculturation et d’unification progressive, en effet, pour comprendre le passé comme le présent du monde chinois. Comme le rappelle l’historien Ge Zhaoguang, «quelque soit la manière de fonder les dynasties, toutes se considéraient comme étant la Chine ou l’empire du milieu. Elles se sont légitimées en utilisant les concepts traditionnels figurant dans la représentation cosmologique et politique chinoise». Lorsqu’il prétendait que l’échec des tentatives unificatrices des Wei du Nord, des Liao, des Jin, des Yuan et des Qing s’expliquait par «l’amollissement de la dynastie régnante d’origine étrangère sous l’influence de la culture chinoise», le discours pseudo-savant des intellectuels nippons, au contraire, relevait manifestement de l’affabulation idéologique. Et on se demande ce que l’empereur Qianlong (1735-1796), souverain cultivé et pétri de culture chinoise, aurait pensé de telles affirmations.

C’est grâce à l’assimilation de la culture chinoise par les élites dirigeantes, en effet, que chaque dynastie a pu consolider sa position politique et l’inscrire dans la durée. Mais peu importe la réalité des faits. Cherchant avant tout à justifier la domination japonaise, les auteurs de cette fable historique conçue à Tokyo par «l’Institut de recherches sur l’Asie de l’Est» durant la Seconde Guerre mondiale ne pouvaient concevoir de souveraineté sur la Chine que radicalement étrangère à la Chine elle-même. De même qu’il fallait des Mandchous pour dominer la Chine et l’unifier de l’extérieur, il faudrait désormais la suprématie japonaise pour intégrer la Chine à la nouvelle Asie orientale, la principale différence étant que sous la tutelle nippone, la Chine serait vouée à un démembrement systématique conforme aux intérêts japonais, la Mandchourie sur laquelle Tokyo avait fait main basse dès 1931 n’étant qu’un hors d’œuvre pour l’impérialisme nippon.

C’est donc en infligeant à la Chine un formidable déni de souveraineté que l’idéologie expansionniste japonaise prétendait justifier ses prétentions territoriales : si la Chine n’est pas vraiment «un État», si elle n’a pas vraiment de «frontières», et si ses provinces périphériques ne lui appartiennent que sur le papier, quel argument de droit pourrait-on opposer à l’annexion par l’Empire nippon de pans entiers de son territoire, lesquels passeraient en définitive d’une domination à une autre, celle du Japon présentant en outre l’avantage (auto-proclamé) d’un degré supérieur de civilisation ? On voit tout l’intérêt d’une telle affabulation pour ceux qui rêvaient cyniquement, hier, de démembrer la Chine afin d’accaparer son territoire. On devine aussi les dividendes que peuvent en tirer, aujourd’hui, ceux qui caressent l’espoir de la déstabiliser en activant ces forces centrifuges que constituent les séparatismes. Il n’est donc pas surprenant que la propagande anti-chinoise, de nos jours, reproduise peu ou prou les arguments avancés par les théoriciens de l’expansionnisme nippon au siècle précédent.

En poussant un peu plus loin l’analyse, on voit aussi que cette construction imaginaire d’une Chine sans souveraineté et sans frontières a pour corollaire la théorie, également très en vogue dans le discours universitaire nippo-occidental, qui postule son impossibilité congénitale à atteindre le stade suprême de l’existence politique que représenterait «l’État-nation». Tout se passe, en d’autres termes, comme si on voulait bien concéder à la Chine le statut de «civilisation» (il est difficile de faire autrement), mais au prix d’un déni de maturité politique qui interdit d’y voir un «État-nation» à proprement parler.

La question qui se pose, évidemment, est celle de savoir si une telle théorie a le moindre rapport avec la réalité historique. Particulièrement intéressante, à ce sujet, est la réponse circonstanciée du grand historien chinois que nous avons déjà cité, Ge Zhaoguang. Mettant en question l’application de cette grille de lecture occidentale à la situation de la Chine, il souligne qu’«après l’âge d’or des dynasties Han et Tang, suivi par la dynastie Song, un sentiment de la nation s’est constitué progressivement, sur le plan politique, économique et culturel». La Chine disposait en effet «d’une identité culturelle, d’une histoire commune, d’une référence éthique, d’un système étatique et d’institutions politiques rigoureusement établies, et encore d’un territoire administratif grosso modo bien défini. Pour toutes ces raisons, la formation de l’État-nation moderne en chine n’était pas nécessairement liée à une prétendue modernité à l’européenne». Forte de son «homogénéité civilisationnelle», la Chine réunissait «le caractère d’un État impérial traditionnel et la connotation d’un État-nation moderne». C’est pourquoi «la théorie qui établit une distinction entre l’empire traditionnel et l’État moderne ne correspond pas aux faits historiques de la Chine».

En bref, on aura beau asséner des contre-vérités, leur répétition inlassable n’en fera pas pour autant des vérités. Si la Chine est aujourd’hui un État souverain, unitaire et multiethnique, ce n’est pas en vertu d’une anomalie que ses soi-disant bienfaiteurs japonais n’ont pas réussi à corriger en lui imposant leur domination, mais parce que la permanence exceptionnelle de la civilisation chinoise et l’action vigoureuse des hommes qui ont présidé aux destinées de la Chine depuis des millénaires en ont décidé ainsi :

«Malgré les périodes de division et d’éclatement dans l’histoire ancienne chinoise, la Chine possédait un pouvoir fort et centralisé depuis les dynasties des Qin et des Han», explique Ge Zhaoguang. «L’unité culturelle s’est formée progressivement à partir des dynasties des Tang et des Song, et la dynastie Ming a rétabli une dynastie unifiée basée principalement sur le peuple Han. Après avoir franchi la Grande Muraille et pénétré sur le territoire Han, les Mandchous ont fondé leur pouvoir à Pékin et intégré les Mongols dans la dynastie. Ils ont transformé les gouvernements locaux des régions périphériques et administrations régulières, contrôlé le Xinjiang, stationné des troupes au Tibet et établi l’institution du processus de sélection et d’intronisation des lamas par le Vase d’or. Un immense empire composé des peuples mandchou, mongol, hui, tibétain, han et miao a été formé, donnant son cadre territorial à la Chine moderne».

Ce qui a forgé une communauté de destin pour les ethnies qui composent le peuple chinois, c’est un extraordinaire creuset culturel et un sens de l’organisation sociale hors du commun qui ont produit leurs effets dans la très longue durée. Certes la Chine a connu des périodes d’union et de division, de progrès et de décadence. Mais avec la République populaire de chine et le socialisme aux caractéristiques chinoises, elle a atteint un degré de cohésion, un niveau de développement et une confiance en soi sans précédent. Des guerres de l’opium aux intrigues de la CIA en passant par l’expansionnisme japonais, son intégrité territoriale, à l’époque moderne, a toujours été la cible de l’impérialisme. Nul doute qu’elle saura résister, aujourd’hui comme hier, aux tentatives de ceux qui rêvent de la déstabiliser.

Bruno Guigue

source : Bruno Guigue



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