poser la bonne question, par Benoît Bréville (Le Monde diplomatique, août 2025)


En 2017, le Portugal comptait 400 000 étrangers et l’extrême droite était inexistante. Huit ans plus tard, il en abrite près de 1,6 million (15 % de la population totale) et l’extrême droite s’est imposée comme la deuxième force au Parlement. Attestée un peu partout en Europe, la corrélation entre l’augmentation des flux migratoires et l’ascension des formations xénophobes semble presque mécanique (1). « Le peuple français ne veut plus d’immigration », en déduit Mme Marine Le Pen, avant d’appeler à un référendum. Mais quelle question faudrait-il poser ?

Revenons au Portugal, en 2008, bien avant le récent boom migratoire. Le pays, frappé par la crise financière, se trouve au bord de la banqueroute. En échange de leur aide, le Fonds monétaire international et l’Union européenne exigent des réformes : Lisbonne doit « moderniser » son économie, c’est-à-dire privatiser, sabrer dans les dépenses publiques, déréguler le marché du travail. Il faut gagner en compétitivité, afin d’attirer les investisseurs. Le Portugal se plie en quatre pour faire rentrer de l’argent frais. Il crée, en 2009, le statut de « résident non habituel », destiné à appâter les cols blancs et les retraités étrangers moyennant une exonération fiscale de dix ans. Un succès immédiat. Trois ans plus tard, il lance un « visa doré » (ou « autorisation de résidence pour activité d’investissement ») avec un accès privilégié à la citoyenneté pour les étrangers qui sortent le carnet de chèques. Une pluie de capitaux s’abat sur le secteur immobilier. Enfin, les gouvernements successifs misent tout sur la manne touristique. Ils ouvrent des liaisons aériennes low cost et libéralisent les locations de courte durée. Les vacanciers débarquent par millions, avec leurs devises.

La thérapie paraît porter ses fruits. Le Portugal renoue avec la croissance en 2014, sa balance courante devient excédentaire, son déficit public se réduit d’année en année. L’ancien cancre fait figure de modèle. Mais, derrière les indicateurs flatteurs, une autre réalité s’impose. Depuis la crise financière, le pays connaît un exode considérable de sa population, avec un pic de 120 000 départs en 2013, et toujours 75 000 en 2023, en majorité des jeunes diplômés. Privés de perspectives dans cette économie d’emplois de services déqualifiés, ils ne parviennent plus à se loger dans les grandes villes, où les loyers ont doublé en moins de dix ans. Près d’un tiers des Portugais âgés de 15 à 39 ans vivent aujourd’hui à l’étranger.

Cette émigration a accéléré le vieillissement du pays, qui compte désormais deux seniors pour chaque jeune, avec un indice de fécondité parmi les plus bas d’Europe. Or ce ne sont pas les septuagénaires qui vont faire la plonge dans les restaurants, nettoyer les chambres des hôtels ou ramasser des framboises. À l’orée des années 2020, on a donc fait venir des Brésiliens, des Angolais, des Indiens, des Sri-Lankais, des Marocains…

Au petit jeu des chiffres, certaines études montrent également une corrélation, plus étroite encore que la première, entre l’émigration (intérieure comme internationale) et la progression de l’extrême droite (2). À la fois parce que ces départs privent certains territoires d’électeurs jeunes et diplômés, moins enclins à voter pour des partis xénophobes, et parce qu’ils modifient le comportement politique des populations restées sur place, dans une région qui s’enfonce dans la crise. Alors, si le Portugal devait organiser un référendum sur les migrations, quelle en serait la question ? Voulez-vous renvoyer la main-d’œuvre étrangère corvéable et sous-payée, devenue indispensable à l’économie d’un pays en déclin démographique ? Souhaitez-vous mettre fin aux politiques qui engendrent l’exode de la jeunesse en transformant le pays en villégiature pour retraités aisés et nomades numériques ?



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