Au lendemain de la Libération, l’épopée des commissions d’épuration de la presse
Après la défaite des nazis et de leurs collaborateurs français, était-il concevable que des journalistes dont les médias avaient recommandé l’exécution des résistants et la déportation des Juifs reprennent leur travail comme avant ? Réponse négative. La Libération fut donc suivie d’une épuration générale de la profession. Parfois très détaillés, les dossiers d’instruction sont disponibles. Leur dépouillement nous apprend beaucoup.

Massinissa Selmani. – « No Plan Is Foolproof #1 » (Aucun plan n’est infaillible), 2019
Ces œuvres sont composées à partir de coupures de presse superposées et réinterprétées.
© ADAGP, Paris, 2025 – Courtesy Selma Feriani Gallery, La Goulette, Londres
Été 1944. L’épuration professionnelle des journalistes commence. En province, elle est conduite par les commissions « presse » des comités départementaux de libération (CDL). À Paris, elle est organisée par le directeur de cabinet du secrétaire général à l’information, Paul-Émile Dizard, un des animateurs dans la clandestinité du Comité d’action socialiste (CAS).
Qui sont les journalistes concernés ? Tous ceux relevant du statut professionnel édicté en 1935, c’est-à-dire ceux qui exercent cette profession comme « activité principale, régulière et rétribuée », et disposent par conséquent d’une carte d’identité de journaliste. Une ordonnance du 30 septembre 1944 (lire « Ordonnance du 30 septembre 1944 ») la rendra obligatoire pour travailler. L’objectif est de s’assurer qu’ils n’ont collaboré ni avec l’occupant ni avec Vichy. « Mais, précise l’historien de la presse Christian Delporte, dans les faits cette première épuration se révèle aussi peu équitable qu’efficace. Aucune règle n’est établie pour mesurer la gravité du délit, et la sanction dépend entièrement de l’appréciation des juges départementaux. » La commission dite Dizard a toutefois eu le temps d’accorder moult cartes provisoires d’identité professionnelle, d’en refuser, de prononcer des sanctions. Les documents qu’elle a produits ainsi que ses résultats sont conservés dans les locaux de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP). Descendons dans ses archives et ouvrons les dossiers.
Un formulaire demande le « détail de l’activité jusqu’à fin juin 1940 » et le « détail de l’activité pendant l’Occupation ». Parfois, le postulant joint à sa demande une lettre de recommandation. Parfois, la commission éprouve le besoin de le mettre en garde : « La Commission désire que vous lui fournissiez une déclaration exacte de vos occupations pendant la guerre. La Commission ne statue que sur des dossiers établis avec franchise et elle exclut d’autorité les journalistes qui croient devoir faire de fausses (…)
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Anne Mathieu
Historienne du journalisme, maîtresse de conférences à l’université de Lorraine. Auteure de Sur les routes du poison nazi. Reporters et reportrices de l’Anschluss à Munich, Syllepse, Paris, 2024.