Une loi sucrée comme la mort, par Philippe Descamps (Le Monde diplomatique, août 2025)


«La question que je me pose face à [cette pétition], c’est “est-ce que l’on veut encore des agriculteurs en France ?” », assurait le 22 juillet dernier M. Olivier Leducq, directeur général du groupe Tereos, sur BFM Business. Les entretiens très complaisants de cette chaîne avec les industriels présentent l’avantage de montrer au grand public les visages des marchands de doute et des groupes de pression qui agissent généralement dans l’ombre des ministères.

L’intérêt de la scène tient moins à l’indigence des propos du patron du deuxième groupe sucrier mondial qu’à l’affichage médiatique de l’obscurantisme qui a présidé au vote de la loi Duplomb, remettant sur le marché un pesticide dangereux. Car, si cette loi est « une aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire », comme l’ont soutenu près de deux millions de pétitionnaires en une seule semaine, les premières victimes en seraient les paysans, par une recrudescence de cancers et la disparition des insectes pollinisateurs.

Un angle mort des protestations réside dans l’identification des rares bénéficiaires — à court terme — de la réintroduction de ce néonicotinoïde : les producteurs de betterave à sucre. Champions du libre-échange et de l’export, ces derniers subissent la concurrence de l’Ukraine et la suppression des droits de douane européens concernant ce pays depuis 2022. Mais affirmer que ces producteurs représentés par M. Leducq participeraient à la « souveraineté alimentaire » relève de la gageure, alors que les produits issus de leur filière — sucre, alcool et amidon — posent tous de considérables problèmes de santé publique.

Dans les années 1950 et 1960, l’industrie sucrière américaine soudoyait des chercheurs pour détourner l’attention vers les matières grasses et minimiser les effets délétères du sucre sur les maladies coronariennes. Depuis une décennie, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande de réduire considérablement l’apport en sucre dans l’alimentation des enfants et des adultes, notamment dans les produits transformés et les boissons. Aujourd’hui, on connaît mieux sa responsabilité dans la pandémie mondiale d’obésité et les mécanismes cérébraux du plaisir qui mènent à la dépendance. Dans son laboratoire du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le spécialiste de l’addiction Serge Ahmed a donné à ses rats le choix entre le sucre et la cocaïne (1). Les rongeurs ont toujours préféré la poudre de betterave.



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