10 milliards pour un mega-canal mortifère


Un canal de 107 km, près de 10 milliards d’euros engloutis, des millions de mètres cubes d’eau pompés : le projet Seine-Nord Europe (CSNE) est présenté comme le « chantier du siècle » par ses promoteurs. À l’heure où la France fait face à l’urgence climatique, ce canal ressemble moins à une transition qu’à une fuite en avant logistique au service de l’agro-industrie et du commerce mondialisé.

Le CSNE serait une alternative écologique à la route, un maillon essentiel pour relier la Seine aux ports titanesques d’Anvers et de Rotterdam.

Mais derrière ces « promesses vertes » se cache une réalité bien plus sombre : destruction de terres agricoles, accaparement de l’eau, biodiversité menacée et gouffre financier. Décryptage.

L’illusion écologique aux commandes

La construction du canal Seine-Nord Europe est justifiée, en théorie, par ce que les technocrates appellent le « report modal » : transférer une partie du fret routier vers le fluvial, supposément plus écologique. Les défenseurs du canal avancent ainsi qu’il permettrait une réduction des camions sur l’autoroute A1, et plus de péniches sur l’eau.

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En pratique, la promesse est trompeuse. Le canal ne transportera pas les biens de consommation courants que l’on trouve habituellement dans les camions, mais surtout des matériaux lourds comme les granulats, ou des productions agro-industrielles vouées à l’export.

« le projet nécessiterait plus de 8 millions de trajets de camions supplémentaires par an pour alimenter les quais du canal ».

Pire : loin de réduire la circulation routière, le projet nécessiterait plus de 8 millions de trajets de camions supplémentaires par an pour alimenter les quais du canal. L’effet net pourrait donc être une hausse des flux routiers, et non leur diminution. 

@Emilie Fenaughty

D’autre part, plutôt que de soutenir la petite batellerie existante, le projet pousse les transporteurs à investir dans des bateaux géants au gabarit du canal, creusant l’écart entre les gros acteurs de la logistique et les bateliers indépendants déjà fragilisés. Dans le même temps, le fret ferroviaire, déjà marginalisé, est sacrifié, alors qu’il constitue une solution beaucoup plus sobre en carbone et en infrastructures. Bref, un greenwashing logistique grandeur nature.

Un gouffre financier payé par les citoyens

Au-delà de l’écologie de façade, le projet est d’abord une saignée financière. Le coût estimé s’élève à près de 10 milliards d’euros d’argent public. Un chiffre vertigineux, justifié par ses promoteurs au nom d’une rentabilité future… que la Cour des comptes européenne a elle-même jugée « irréaliste ». L’argent des contribuables sert donc ici à subventionner un mégaprojet qui profitera avant tout aux grands groupes du BTP et aux multinationales de l’agro-industrie.

Dans un contexte de services publics en crise – hôpitaux sous-financés, écoles délabrées, trains supprimés – le contraste est saisissant. Alors que les moyens manquent cruellement pour répondre à l’urgence sociale et écologique, on choisit d’investir des milliards dans un canal au bénéfice discutable. Et comme d’habitude, riverains et contribuables ne sont que peu mis au courant des conséquences néfastes de ce mégaprojet sur leur lieu de vie et sur leurs impôts. 

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Eau, terres et biodiversité sacrifiées

Le chantier n’est pas seulement coûteux : il est dévastateur pour le vivant. Pour remplir le canal et son bassin réservoir, il faudra stocker 35 millions de m³ d’eau – l’équivalent de 55 fois la mégabassine de Sainte-Soline. Dans une région, celle des bassins versants de l’Oise, déjà marquée par les sécheresses, cela risque d’assécher les nappes phréatiques et d’aggraver les conflits d’usages entre agriculture, habitants et industrie.

« le projet implique la destruction de plus de 3000 hectares de zones agricoles et naturelles, parmi les plus fertiles de France ».

Côté terres, le projet implique la destruction de plus de 3000 hectares de zones agricoles et naturelles, parmi les plus fertiles de France. Au total, ce seront 78 millions de m3 de terre qui seront terrassées : les plus grands travaux jamais réalisés en France.

@Emilie Fenaughty

En d’autres termes, des paysages remodelés à coups de bulldozers, alors que nous avons plus que jamais besoin de protéger les sols nourriciers. La biodiversité paiera également le prix fort : près de 200 espèces protégées sont menacées par la destruction de leurs habitats, tandis que l’Oise, partiellement rebouchée et déplacée, subira une transformation radicale.

Un projet d’un autre temps

Le canal Seine-Nord Europe a été déclaré d’utilité publique il y a plus de 17 ans. Depuis, le monde a changé : crise climatique, raréfaction de l’eau, urgence à réduire les émissions. Pourtant, aucune étude actualisée, aucun nouveau débat citoyen n’a eu lieu. Les avis défavorables émis par plusieurs organismes d’État (CNPN, OFB, Cour des comptes, IGF) ont été soigneusement ignorés.

Ce projet incarne la persistance d’un modèle productiviste hérité du XXe siècle : celui d’une France transformée en plaque logistique pour le commerce mondialisé. La Picardie devient encore une fois un « territoire servant », sacrifié pour fluidifier les flux entre la capitale et les ports du nord. À l’heure où l’urgence écologique impose de relocaliser la production et de réduire les transports inutiles, ce mégacanal se barde d’un anachronisme criant.

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Des alternatives existent

Pourtant, d’autres voies possibles existent : moderniser et renforcer le fret ferroviaire, réhabiliter les canaux existants, utiliser le port du Havre plutôt que de dépendre des géants d’Anvers et de Rotterdam, relocaliser les flux de marchandises et l’alimentation. Autant de solutions moins coûteuses, moins destructrices, et bien plus alignées sur les impératifs climatiques qui devraient guider nos décisionnaires. 

Plutôt que de sacrifier des milliards et des hectares pour une utopie logistique, pourquoi ne pas investir dans une véritable transition écologique, qui favorise la proximité, la sobriété et la résilience ?

Derrière de beaux discours sur l’écologie se cache une mécanique bien connue, où l’argent public sert les intérêts privés, où la nature est réduite à une variable d’ajustement pour fluidifier des flux commerciaux absurdes. À l’heure où chaque euro devrait être investi pour préparer un avenir viable, ce mégaprojet illustre jusqu’à la caricature l’aveuglement d’un système incapable de rompre avec le béton et la mécanique mondialisée.

Fin août, une vingtaine de militants ont pris la route à vélo pour retracer le parcours du mégacanal et rencontrer les riverains. Une mobilisation relayée par les Soulèvements de la Terre aura également lieu en Picardie le week-end des 10-12 octobre. Un seul mot pour nous rallier tous·tes : Mégacanal, non merci !

– Emilie Fenaughty


Image d’entête Canal Rotterdam @mitchell nijman/Unsplash

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