
Figure radicale de l’avant-garde berlinoise, Else Lasker-Schüler (1869-1945), toujours sans le sou, toujours flamboyante, fut libre en amour comme en pensée, et suscita admiration et rejet. Sa poésie, qu’elle proférait avec chants ou instruments de musique, est à son image, étonnante, étincelante, intense, comme on le découvre dans Les Poésies d’amour (1). Son écriture, entre réel et imaginaire, est aussi bien traversée par le symbolisme du XIXe siècle que par une modernité qui tord la syntaxe, en rupture avec les conventions, en adéquation avec sa vision du monde. Elle témoigne de son attirance pour le mysticisme et les religions, chrétienne et surtout juive, qui imprègne sa vision du monde. La figure de la mère y occupe une place centrale. Son lyrisme se nourrit d’idéalisme mais s’inscrit aussi dans la souffrance — elle connut les deux guerres mondiales. Sa vie bascule lorsque les nazis prennent le pouvoir en 1933. Pour échapper à la déportation, elle s’enfuit en Suisse, puis en Palestine via l’Égypte. Elle y survivra dans la précarité, avant de mourir, apatride et seule, à Jérusalem, laissant derrière elle une œuvre qui la fit reconnaître comme l’une des plus grandes poétesses de son époque.

Anne Sexton (1928-1974) a traversé les combats de son siècle aux États-Unis, contre la guerre, les discriminations et pour les droits des femmes (2). La fougue et la puissance de son écriture s’expriment dans une poésie où sa douleur de vivre et ses questionnements viennent troubler voire bouleverser ses lecteurs. Elle explore crûment la sexualité et manifeste la fantaisie et la violence de son désir, allant à l’encontre de tout ce qui prétendait assigner les femmes au silence et à la soumission. Prières, incantations, psaumes, chez elle le poème se tient autant dans le rythme et la forme que dans le sens, il se compose et se décompose, entre ombre et lumière. Ses vers ou sa prose deviennent des braises révélant son attente d’un apaisement qui ne vient pas, ses blessures et sa fragilité, sa désorientation face à un monde où elle ne trouve pas sa place. Ce recueil rassemble des œuvres tardives : Le Livre de la folie (1972), Les Carnets de la mort (1974) et L’Épouvantable Traversée à la rame jusqu’à Dieu (1975), écrites durant les deux dernières années de sa vie. On y prend la mesure de ce corps-à‑corps obsédant avec la mort, à laquelle elle finit par se rendre, en se suicidant. L’ensemble est nourri de désespoir et d’hallucinations, mais aussi d’une parole forte, subversive, qui étreint.