« La France, matrice d’un complexe industriel de la censure » : Pascal Clérotte replace les Twitter Files dans cinquante ans d’histoire


Dans un debriefing dense , Pascal Clérotte livre une thèse aussi documentée que dérangeante : la France aurait posé, dès 1972, les bases conceptuelles et pratiques d’un « complexe industriel de la censure », qui s’appuit sur les ONG et contourne l’esprit des démocraties libérales.

Un diagnostic qui bouscule, document à l’appui, le regard habituel porté sur les seules plateformes. « Nous ne prétendons pas détenir la vérité, mais nous proposons une analyse de faits avérés », insiste Pascal Clérotte, coauteur avec Thomas Fazzi d’un rapport de 58 pages publié par Civilization Works, avec le soutien de Michael Shellenberger. « Les Twitter Files ne sont, dans notre travail, que des études de cas. Le système préexiste. » Ce modèle a été exporté puis démultiplié à l’ère numérique par les États-Unis et, aujourd’hui, instrumentalisé à l’échelle européenne.

 

1972: le point de bascule oublié

« En 1972, la France a donné aux ONG le pouvoir d’initier des poursuites pénales dans des affaires de liberté d’expression », explique Clérotte, citant la loi Pleven, inspirée de la Convention de l’ONU sur l’élimination des discriminations raciales. « C’était une surtransposition : la Convention ne prévoyait pas de mesures sur la liberté d’expression, considérant à juste titre que les discriminations sont des actes, pas des paroles. » À ses yeux, ce point de bascule est majeur : des associations « qui ne représentent personne et certainement pas la société tout entière » acquièrent la capacité d’enclencher l’action publique, bouleversant l’équilibre voulu par le législateur de la IIIe République, qui avait « interdit de fait à l’État d’initier des poursuites » en matière d’injure et de diffamation.

Le rapport

Clérotte souligne que l’architecture française — État d’un côté, société civile subventionnée de l’autre — a ensuite servi de modèle, au moins fonctionnel, à des dispositifs observés aux États-Unis, au Brésil et, plus récemment, dans l’Union européenne. « L’acteur absolument central est toujours l’ONG, surtout lorsqu’elle est financée par l’État : elle permet à l’État de faire, de manière oblique, ce que la loi lui interdit de faire. » Un coup de billard à plusieurs bandes.

Si la loi Pleven n’est véritablement activée qu’au milieu des années 1980, Clérotte y voit un tournant politique assumé. L’ascension de SOS Racisme, « opération politique créée à l’Élysée », coïnciderait avec le « tournant de la rigueur » et la recomposition du paysage électoral. « On a vu une utilisation politique délibérée de ces ONG pour diaboliser, fracturer et verrouiller le débat », dit-il, tout en rappelant l’effet de siphonage à droite par le Front national. Il en conclut que « la France est entrée dans une crise démocratique dont elle ne s’est jamais remise ».

Rapport

Des radios libres à la centralisation médiatique

La libéralisation des médias dans les années 1980-1990 n’a, selon lui, pas tenu ses promesses. « On a très vite vu débarquer des grands groupes et la centralisation à Paris de l’information. » Mais le véritable choc viendra du web 2.0, des blogs, puis des réseaux sociaux (2005). « À partir de là, l’establishment a paniqué. N’arrivant plus à contrôler la formation de l’opinion, il n’a eu pour réflexe que la censure. »

Dans ce continuum, 2016 serait l’année pivot : la création par l’administration Obama du Global Engagement Center (GEC), officiellement dédié à la désinformation étrangère, aurait, dit-il, « servi d’officine de censure » visant le public américain en pleine vague Trump/Brexit. Clérotte établit un parallèle avec l’Europe : « L’administration Biden a poussé pour le DSA — en réalité dès Obama — afin de sous-traiter à l’Europe une censure inconstitutionnelle aux États-Unis en contournant le Premier amendement. »

Le rapport, qui s’appuie sur l’accès à des communications internes de Twitter/X et sur « près d’une centaine de sources », traite les Twitter Files comme une « étude de cas » plus que comme une fin en soi. « Emmanuel Macron cherchant à obtenir le numéro de Jack Dorsey est une anecdote. Le président n’est que l’aboutissement d’un système préexistant. » Clérotte replace le virage de la censure en ligne « à partir de 2012”, pointant au passage la demande en 2013 d’une “censure préalable » sur Twitter par une ministre de l’époque. « La censure préalable est strictement interdite en France : le seul à pouvoir ordonner un retrait est le juge », martèle-t-il.

L’épisode Telegram pendant la campagne d’Emmanuel Macron en 2017 est évoqué comme un cas d’école des ambiguïtés technopolitiques. Clérotte met en garde contre une « architecture client-serveur » et un chiffrement propriétaire non audité : « C’est très bien pour des systèmes privés, beaucoup moins pour une communication gouvernementale sensible. » Et d’assumer le paradoxe : « Des gens qui crient ‘Russie, Russie’ pilotent une campagne depuis une application d’origine russe…”

 
Le regard américain sur le rapport ?

« Stupéfaction », résume Pascal Clérotte. « Ils nous disent : ‘On a un très gros problème avec les Européens.’ L’effet de Bruxelles peut forcer une censure inconstitutionnelle aux États-Unis. » Il replace aussi le débat dans le contexte de la fermeture de l’agence USAID sous l’ère Trump, dont le budget (42 milliards de dollars) irrigua longtemps ONG et médias. « L’UE n’a ni les moyens ni l’infrastructure pour remplacer cela, même si elle finance massivement des médias ‘indépendants’ dans les pays de l’Est. Le complexe américain n’est plus alimenté par des fonds publics fédéraux, mais les grandes fondations restent actives — et contestées. »

 

Au cœur de sa thèse : couper les flux.

« Si on veut que la censure s’arrête, il y a un moyen simple : couper les fonds aux ONG militantes. Beaucoup ne sont pas ‘non gouvernementales’ : elles vivent de fonds publics nationaux, européens ou internationaux. » Sans masquer les difficultés pratiques : « La justice est prise au piège. Un procureur qui reçoit un signalement Article 40 n’a pas le choix d’ouvrir une enquête. Il faut revenir à un processus judiciaire, refuser la censure automatique qui produit jusqu’à 80% de faux positifs. »

Pascal Clérotte s’aligne sur une vision plus organique de la vérité publique à l’ère des plateformes. « Sur X, on voit se dérouler en direct le processus d’établissement de la vérité, complexe, contradictoire. Les politiciens qui mentent sont débunkés en quinze secondes. »

Il cite l’exemple du Covid: « La sagesse de la foule n’est pas un mythe. Le consensus social s’est établi : pour l’écrasante majorité, les vaccins ARNm n’apportaient pas l’intérêt promis. » Il met toutefois en garde contre la tentation de faire des autorités les arbitres de la vérité : « En démocratie, personne ne la détient : elle s’établit. »

L’Union européenne reste, à ses yeux, un terrain critique. Il cite le contrat-cadre de 123,6 millions d’euros de la Commission à Havas, juste avant les européennes de 2024, et alerte contre « Chat Control », projet de balayage à grande échelle des communications chiffrées pour lutter contre la pédopornographie. « C’est une horreur : scanner toutes les communications au niveau de l’appareil, c’est tuer l’industrie numérique européenne et piétiner la vie privée. » Les ONG seraient de nouveau dans la boucle des signalements, « sans légitimité démocratique. »

Face aux « experts de plateauqui pillent » le rapport pour valider « des théories fumeuses », Pascal Clérotte appelle à la prudence : « Méfiez-vous de ceux qui le commentent sans l’avoir lu. Nous, nous avons consulté les communications internes, anonymisé des e-mails, croisé des sources. » Et de préciser l’intention : « Il n’y a pas de finalité autre qu’informer. Nous proposons une analyse fondée sur des faits vérifiés. Ce n’est pas la seule possible, c’est la nôtre. »

 
Quelles suites ?

« Nous allons continuer, probablement sur la censure par procuration via les ONG, et revenir sur l’Union européenne, » indique-t-il, citant les travaux de Thomas Fazi sur le financement européen des médias.

Le message aux lecteurs, enfin : « Informez-vous, lisez le rapport, faites-vous votre opinion. Et surtout, ne vous laissez pas censurer. À partir du moment où ceux qui sont payés pour le faire n’auront plus d’argent, cette forme de censure s’éteindra. »

Au-delà des Twitter Files, c’est bien une bataille de structures — légales, financières, culturelles — que décrit Pascal Clérotte. Une histoire longue où l’ONG subventionnée devient l’outil qui permet à l’État d’agir « là où la loi lui interdit de le faire », et où l’Europe, voulant protéger l’espace informationnel, risque d’en miner les fondements. Reste à savoir si le lecteur, auquel Pascal Clérotte rend la parole, saisira le fil et en tirera, à son tour, des conséquences politiques. « L’opinion ne se fabrique pas dans les studios : elle se forge au café, à la messe, et désormais en ligne. C’est là que la vérité finit toujours par se frayer un chemin. »

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Debriefing enregistré le 10 septembre 2025.





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