L’usage des VPN explose dans le monde entier. En quête de sécurité, de confidentialité et de liberté, des millions d’internautes se tournent vers ces outils qui permettent de protéger leur navigation, s’affranchir de la surveillance ou contourner les blocages géographiques. La demande a littéralement explosé ces dernières années, portée à la fois par les inquiétudes liées à la surveillance numérique et par la montée des cyberattaques. Cependant, cette croissance soulève quelques questions cruciales concernant la confidentialité et l’indépendance des services proposés.
Derrière la promesse d’anonymat se cachent bien des zones d’ombre. Un VPN n’est jamais hors du cadre légal : les sociétés qui les exploitent doivent rendre des comptes aux États dont elles dépendent, et peuvent être contraintes de transmettre journaux de connexion, métadonnées ou activités en ligne sur réquisition. Plusieurs exemples récents ont montré que des fournisseurs, parfois présentés comme neutres et indépendants, entretenaient en réalité des liens directs ou implicites avec des gouvernements ou de grandes entreprises capables d’exiger l’accès aux données. L’idée d’une protection absolue est donc plus qu’illusoire. Dès lors, la question n’est pas seulement technique, mais profondément politique : qui détient ces VPN, à qui obéissent-ils, et dans quelle mesure peut-on totalement leur confier notre liberté numérique ?
Free, le groupe fondé par Xavier Niel, a récemment fait savoir qu’il comptait offrir ce service à ses abonnés. Une annonce qui interroge autant qu’elle séduit. Car un VPN repose sur des infrastructures coûteuses, exige une maintenance permanente et mobilise des ressources humaines qualifiées. Or, rien n’est jamais véritablement gratuit, et ce vieil adage s’applique avec force ici : « si c’est gratuit, c’est vous le produit ».
La question est alors de savoir ce que Free fera de ces flux de données, potentiellement sensibles, qui transiteront par ses serveurs. Peut-on se fier à une entreprise aussi puissante, dirigée par un homme dont les liens politiques et économiques nourrissent depuis longtemps les soupçons ? Xavier Niel n’est pas qu’un entrepreneur visionnaire. Son nom revient régulièrement dans les analyses qui décrivent le réseau d’influence entourant Emmanuel Macron. Comme l’a documenté l’avocat et essayiste Juan Branco, le patron de Free a participé, aux côtés de son beau-père Bernard Arnault, à soutenir et à propulser l’actuel président de la République. Ces connexions, entre télécoms, médias et politique, brouillent encore davantage la frontière entre indépendance affichée et proximité avec le pouvoir.
Dans ce contexte, la promesse d’un VPN gratuit fourni par Free ne peut être reçue sans un minimum de scepticisme. Certes, l’outil répond à une demande croissante de protection et pourrait séduire des millions d’abonnés. Mais il met aussi entre les mains d’un acteur déjà incontournable des télécommunications un nouveau levier sur la vie numérique de ses clients. La transparence devrait être totale, or rien ne garantit que ce sera le cas.
En Israël, Kape Technologies contrôle plusieurs VPN majeurs, dont ExpressVPN, CyberGhost, Private Internet Access (PIA) et ZenMate, totalisant environ 6 millions d’utilisateurs. Cette concentration suscite des inquiétudes en raison des liens de ses dirigeants avec les services de renseignement israéliens : l’ancien PDG Ido Erlichman, vétéran de l’unité d’élite Duvdevan, et plusieurs employés issus de l’Unit 8200, une division de cyber-renseignement de l’armée israélienne. Ces connexions alimentent les craintes d’une surveillance potentielle. En septembre 2021, Edward Snowden a averti dans un tweet : « Si vous êtes client d’ExpressVPN, vous ne devriez pas l’être », soulignant les risques liés à Daniel Gericke, alors CIO d’ExpressVPN, impliqué dans des opérations de piratage controversées pour les Émirats arabes unis, ainsi qu’au passé de Kape, anciennement Crossrider, associée à des malwares. De plus, des rapports ont suggéré que Kape possédait également des sites de critiques de VPN, ce qui soulevait des questions sur l’objectivité de ces évaluations.
Aux États-Unis, bien que la loi n’impose pas la conservation obligatoire des données, des agences comme la CIA peuvent accéder aux informations hors cadre judiciaire. En Russie, les autorités exigent des VPN qu’ils bloquent certains contenus et collaborent avec les services de renseignement. En Chine, les VPN doivent obtenir une autorisation gouvernementale, ce qui peut les obliger à partager des données avec les autorités. Ces différences juridiques soulignent l’importance de comprendre l’impact des cadres réglementaires sur la confidentialité offerte par les services VPN.
Finalement, la majorité des VPN ne garantissent ni anonymat absolu ni indépendance totale. La concentration du marché, les liens de certaines entreprises avec des États ou des services de renseignement, et les cadres légaux variés — des États-Unis à la Chine en passant par Israël et la Russie — montrent que la liberté promise reste conditionnelle. À mesure que l’usage des VPN se généralise, il devient indispensable de s’interroger non seulement sur la fiabilité technique de ces outils, mais aussi sur leur portée politique : à qui confions-nous réellement notre vie numérique ? Derrière l’écran protecteur, la question reste la même : cherchons-nous une véritable liberté en ligne, ou déplaçons-nous simplement notre confiance vers d’autres puissances, parfois invisibles, mais tout aussi présentes ? Dans le cas de Free, la réponse reste à écrire. Mais une chose est certaine : lorsqu’un service vous est offert sans contrepartie apparente, c’est rarement un cadeau.