Le Pentagone (aujourd’hui le département de la Guerre) dépoussière le concept de « Méditerranée américaine » de Spykman



J’ai des raisons de supposer que la stratégie nationale de défense des États-Unis, élaborée par le Pentagone, rebaptisé département de la Guerre [1], qui se concentre (ou se concentrera) sur le Mexique et les Caraïbes, exhume les théories du Néerlando-États-unien Nicholas Spykman (1893-1943).

Le stratège civil du Pentagone, Elbridge Colby, aujourd’hui aligné sur le vice-président JD Vance — auquel s’est également joint le magnat Elon Musk en échange de l’abandon de la création d’un nouveau parti —, cherche désormais à retirer les forces militaires états-uniennes de plusieurs régions du monde afin de stabiliser son front intérieur instable et de défendre sa frontière avec le Mexique et son « soft belly » (ventre mou) : dans le golfe du Mexique/golfe des États-Unis (Trump dixit) et dans la région sensible des Caraïbes.

Il convient de noter que sous Trump 1.0, Colby avait publié son ouvrage fondateur de 2021 The Strategy of Denial : American Defense in an Age of Great Power Conflict (Une stratégie de déni : La défense américaine à l’ère du conflit entre les grandes puissances [2], dans le but d’arrêter l’ascension irrésistible de la Chine, à laquelle les démocrates étaient plus favorables avec l’ancien conseiller à la sécurité nationale, le Polono-Canado-États-unien Zbigniew Brzeziński.

Trois ans plus tard, Colby préconise le retrait de l’armée états-unienne hors de plusieurs régions du monde et s’inspire, à mon avis, des concepts de Nicholas Spykman.

J’ai découvert Spykman lorsque je suis allé donner une conférence au département de géographie de l’université de São Paulo [3] — la mieux classée parmi les universités latino-américaines — où il est largement pris en compte.

Deux concepts de Spykman — le Rimland (« terre riveraine » [4] et celui de Méditerranée américaine — ont eu un fort impact sur la pensée des stratèges et il est probable que Colby se soit inspiré de ces deux notions.

Le Rimland n’est pas spécifiquement mentionné dans la stratégie de défense nationale de 2025, mais il y a une référence ultérieure [5]. Il suffit de noter que Spykman avait entrevu la bataille entre les États-Unis et la Chine pour le contrôle de la côte asiatique (voir « Le concept et les caractéristiques de la Méditerranée américaine » [6]).

En revanche, l’approche de Colby, concepteur de la stratégie de défense nationale états-unienne, pourrait être interprétée comme une reprise de Spykman et de sa Méditerranée américaine, mettant l’accent, outre le renforcement militaire national, sur une prédilection stratégique pour la frontière avec le Mexique et une offensive pour assiéger au plan militaire et civil le bassin Caraïbe, notamment sur la côte vénézuélienne.

Dans mes exposés antérieurs, j’ai fait valoir que la Méditerranée américaine – qui comprend le golfe du Mexique (« golfe des États-Unis », selon Trump) et la mer des Caraïbes – constitue un bassin de 4,2 millions de km2 [7], soit pratiquement le double du territoire mexicain.

Il y a 13 ans (sic), l’Israélo-États-unien Robert Kaplan, ancien militaire en Israël, publiait « The Source of American Power » (La source du pouvoir états-unien) [8] dans lequel il affirme que « les États-Unis dominent la Grande Caraïbe, mais ne peuvent garantir leur stabilité dans cette région (…) », ce que j’avais commenté dans la section « Bajo la Lupa  » du quotidien mexicain La Jornada quelques jours plus tard : « Les États-Unis et l’« anarchie à venir » en Colombie et au Venezuela, selon Robert D. Kaplan, de Stratfor » [9].

À ce moment-là, je reprenais l’affirmation de Kaplan : « malgré l’hégémonie états-unienne dans la Grande Caraïbe et son contrôle géopolitique jusqu’à la frontière amazonienne, où aucune puissance significative ne peut défier les États-Unis », paradoxalement « les États-Unis ne peuvent pas compter sur la stabilité de la Colombie ou du Venezuela, alors même que la guerre contre la drogue se poursuit à leur frontière ».

Kaplan définit la Grande Caraïbe comme s’étendant de Yorktown aux Guyanes, c’est-à-dire « des États situés au milieu de l’océan Atlantique jusqu’à la côte, et jusqu’aux forêts du nord de l’Amérique du Sud (?) », en s’appuyant sur une extension du concept d’« hémisphère occidental » du géostratège Spykman en 1942.

La Grande Caraïbe de Kaplan entre en collision avec la définition de « l’Amérique du Sud » tant appréciée des géopoliticiens brésiliens. À propos, la ligne Yorktown-Guyanes atteint la frontière du Brésil et englobe toutes les îles de la Grande Caraïbe.



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