Tunisie-France : un paradoxe historique et contemporain
« Rien de rien… » chantait Édith Piaf. Pourtant, ce « rien » ne rend pas justice à l’effort immense de nos pères après la colonisation. Dans un pays marqué par la pauvreté, des infrastructures insuffisantes et des contraintes sociales, ils ont posé les bases d’un État moderne : écoles, routes, institutions… construits malgré des conditions difficiles.
Le lien entre la Tunisie et la France reste profondément paradoxal. Officiellement indépendants depuis 1956, nous avons vécu une « indépendance encadrée ». Même affaiblie après la Seconde Guerre mondiale, la France a conservé une influence forte sur ses anciennes colonies, à travers des liens économiques, culturels et militaires. La souveraineté politique n’a jamais été totale ; elle coexiste avec une dépendance implicite.
Ce paradoxe se poursuit aujourd’hui. Certains dirigeants ou acteurs sociaux entretiennent l’illusion d’une grandeur personnelle à travers ce lien, donnant parfois l’impression d’un ego surdimensionné, masquant une dépendance réelle. Ce phénomène dépasse la Tunisie : l’Afrique francophone vit encore la dynamique connue sous le nom de « Françafrique ». Derrière ce terme se cache un réseau de relations politiques, économiques et militaires, souvent opaques, qui permet à la France de maintenir son influence, parfois au détriment de l’autonomie des États africains.
L’asymétrie économique est flagrante. Nos pays fournissent matières premières et main-d’œuvre, tandis que la France et d’autres acteurs transforment ces ressources pour générer une forte plus-value, avant de les revendre souvent aux mêmes nations qui les ont produites. Ce modèle, simple mais efficace, favorise les bénéfices de l’ancien colonisateur et freine le développement local.
Sous le couvert d’ONG ou de programmes de coopération, la France a cru pouvoir « vendre » ses valeurs, masquer ses intérêts économiques et orienter le développement selon sa propre vision. Derrière ces discours humanitaires ou culturels se cache une logique d’influence et de contrôle subtile mais persistante, prolongeant, sous une forme moderne, les rapports de domination hérités de l’époque coloniale.
Enfin, les structures et règles instaurées par la puissance coloniale ne disparaissent pas automatiquement avec l’indépendance. Se libérer réellement de toute ingérence exige vigilance et discernement. Certains dispositifs ou accords agissent comme de véritables chevaux de Troie : sous couvert de coopération ou de modernisation, ils maintiennent une influence discrète mais efficace de l’ancien colonisateur.
Reconnaître ce paradoxe n’est ni un regret ni une condamnation : c’est un constat. Nos sociétés ont hérité d’un passé complexe, où souveraineté politique et dépendance économique coexistent, et où la mémoire coloniale continue d’influencer perceptions et stratégies. Le « rien de rien » de Piaf devient alors une métaphore : malgré les obstacles et contradictions, beaucoup a été construit, et beaucoup reste à construire pour un futur tunisien pleinement autonome et conscient de son histoire.