Bioéthique, es-tu là ?, par Jacques Testart (Le Monde diplomatique, octobre 2022)


Idéologie, enjeux économiques et absence de délibérations démocratiques

La biologie moléculaire a ouvert ces dernières décennies des perspectives vertigineuses : il est désormais possible de modifier le patrimoine génétique d’un embryon. En le corrigeant pour son bien, expliquent certains chercheurs ; au risque d’alimenter un marché de l’humain sur mesure, rétorquent d’autres. Comment informer la population et fixer des limites à ces pratiques ?

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Jacques Prévert. — « Homme, femme et enfant », non daté

© Jacques Prévert – Adagp, Paris, 2022 – Photographie : Adagp

Il existe depuis quelques années des perspectives vertigineuses pour trier dans l’œuf les enfants à venir. En 2016, au Japon, des cellules de peau de souris « reprogrammées » ont pu être transformées en gamètes, lesquels ont généré des embryons viables à l’origine de souris fertiles. Appliquée à notre espèce, cette technologie pourrait bouleverser la pratique du diagnostic préimplantatoire (DPI) en générant des embryons en abondance puisque les cellules de peau constituent une ressource illimitée. Si l’on dispose d’une quantité importante d’embryons, la possibilité de sélectionner ceux qui portent certaines caractéristiques s’accroît considérablement. Pareille évolution ouvrirait la voie au remodelage génétique de l’espèce en quelques générations.

Devant un tel risque anthropologique, on aurait pu croire que les autorités politiques et éthiques mondiales réagiraient comme elles le firent en 1996, après l’irruption médiatique du premier mammifère cloné, la brebis Dolly, en justifiant l’interdiction de toute recherche sur le clonage dans l’espèce humaine. Tout au contraire, en France, la loi de bioéthique du 2 août 2021 autorise désormais la création d’embryons transgéniques et encourage la fabrication de gamètes humains in vitro (articles 20 et 21) en même temps que la création de chimères humain-animal.

Cette ouverture législative à l’humain génétiquement modifié reflète la crainte de se retrouver à la traîne dans un domaine où plusieurs pays ont déjà franchi le pas — une considération économique sans grand rapport avec l’éthique. Comme on a pu le constater tout au long du processus « démocratique » de révision de la loi, depuis les états généraux de la bioéthique en 2018 jusqu’aux débats parlementaires, les experts choisis pour informer la population ou les élus s’exposent rarement à une argumentation contradictoire et assènent leur vérité comme indiscutable puisque dictée par la science. Certains se montrent remarquablement actifs. Le Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies, chargé (…)

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