un virage grossier à l’extrême droite


À mesure que les idées du Rassemblement national se banalisent dans le débat public — un phénomène renforcé par la concentration des médias aux mains de quelques milliardaires soutenant ces thèses, les partis de droite traditionnels semblent eux aussi se déporter vers cette idéologie. À tel point que le mouvement « Les Républicains », censé être l’héritier du Gaullisme, se rapproche inexorablement du groupe dirigé par Jordan Bardella. Décryptage de cette alliance entre la bourgeoisie et le fascisme.

Indéboulonnable allié du macronisme depuis 2022, LR parle et agit pourtant de plus en plus comme le Rassemblement National, ce qui laisse d’ailleurs songeur sur les passerelles en expansion entre le gouvernement et l’extrême droite.

Aux origines gaullistes de la droite française

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est important de retracer l’historique de ce mouvement qui découle directement de Charles de Gaulle. Après la guerre, ce dernier avait dans un premier temps refusé de créer un parti, mais, face à l’instauration de la quatrième république qu’il désapprouvait, il décida néanmoins en 1947 de lancer une organisation nommée Rassemblement du peuple français.

Réfutant l’étiquette de droite que les observateurs lui attribuent pourtant à raison, De Gaulle tente de s’établir comme « transpartisan, ni de droite ni de gauche » (une posture que reprendra Emmanuel Macron plusieurs décennies plus tard) qui accepterait la double appartenance venue de toutes les formations à l’exception des communistes.

Mais malgré un démarrage prometteur, l’initiative est un échec et le parti est mis en sommeil dès 1955. C’est finalement en 1958 que l’Assemblée nationale décide d’octroyer le pouvoir à De Gaulle pour résoudre la crise algérienne. Dans la foulée, il instaure la Cinquième République, encore en vigueur aujourd’hui, avant d’être élu président par un collège d’électeurs.

Vers la fondation du RPR

La même année, sur les cendres du RPF, naît l’Union pour la Nouvelle République, parti destiné à soutenir l’action du général, bien que celui-ci refuse de s’en revendiquer. En 1959, un autre parti, qui se réclame d’un Gaullisme plus à gauche, apparaît l’Union Démocratique du Travail. Deux groupes qui finiront par s’allier pour porter une seconde fois De Gaulle au pouvoir en 1965, cette fois-ci au suffrage universel. Finalement, en 1968, ce regroupement devient l’Union des démocrates pour la République.

Et, tandis que De Gaulle se retire de la vie politique en 1969 (puis décède quelques mois plus tard) après une défaite lors d’un référendum, cette coalition lui survit et emmène Georges Pompidou, ancien premier ministre de De Gaulle jusqu’à la fonction suprême.

Pourtant, en 1974, l’UDR n’atteint même pas le second tour et une volonté de se refonder naît peu à peu sous l’impulsion de Jacques Chirac. Celui-ci pousse ainsi pour que son mouvement prenne un nouveau nom et, en 1976, apparaît le Rassemblement pour la République (RPR).

De l’UMP à LR

Finalement, en 2002, sous l’impulsion du même Jacques Chirac qui se représente aux élections nationales de l’année, le RPR s’allie à d’autres formations de droite pour constituer l’Union pour la majorité présidentielle (UMP). Sigle qui sera conservé, mais dont la signification changera quelques semaines plus tard pour faire advenir l’Union pour un Mouvement Populaire.

Devenu l’une des formations de masse française, avec des figures comme Nicolas Sarkozy, le groupe se renomme « Les Républicains » en 2015 avant d’entamer un long déclin, à l’image du Parti Socialiste, suite à l’émergence du macronisme en 2017.

– Pour une information libre ! –Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

Des relents d’extrême droite dès les fondations

Officiellement, Les Républicains et ses prédécesseurs se sont systématiquement revendiqué du Gaullisme et de la lutte contre l’extrême droite. En 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen accède pour la première fois au second tour des présidentielles, Jacques Chirac coalise d’ailleurs un grand « barrage républicain » et s’affiche comme un rempart contre cette idéologie.

Mais, dans les faits, il a cependant toujours existé des courants et des figures très proches de milieux identitaires dans ce mouvement, et ce, dès le départ. Dans le premier parti du général, on trouvait ainsi déjà des personnalités d’extrême droite, comme le monarchiste Pierre de Bénouville.

Longue Histoire d’ambiguïté

Et, tout au long de l’histoire du parti, de nombreuses émanations n’ont rien eu à envier au RN d’aujourd’hui. De Gaulle, héros national et résistant au nazisme, a souvent été invoqué comme une caution morale, y compris par des courants très éloignés de son humanisme affiché. Cette référence permettrait, selon certains, de légitimer des positions réactionnaires sans assumer une filiation directe avec l’extrême droite.

Ainsi, pour certains, se revendiquer d’un résistant au nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale servirait de caution pour s’éviter toute accusation d’extrême droite. Un exemple parfait de la corruption du langage et de la réalité dont cette branche est si friande, allant jusqu’à repeindre le nazisme en courant de gauche ou à traiter les antifascistes de « collabos ». Mais pour autant, c’est bien dans le camp de cette droite dite « républicaine » et « gaulliste » qu’une multitude de propos racistes, homophobes, autoritaires, sécuritaires, réactionnaires ou sexistes a bien été tenue.

Le RN fait exploser la fenêtre d’Overton

De fait s’il a toujours existé une partie de la population adhérant aux thèses simplistes de l’extrême droite, c’est d’abord parce que ses doctrines prospèrent sur la misère sociale générée par les politiques de la droite dite de « gouvernement ». Et si les facteurs restent multiples, celui-ci demeure sans doute l’un des principaux.

La droite traditionnelle a donc décidé de reprendre à son compte plusieurs de ses idées pour continuer à faire parler d’elle et à conserver le pouvoir, élargissant de la sorte la fenêtre d’Overton du côté de l’extrême droite. La droite ayant constamment tenté d’entretenir une image de « rempart », adepte du raisonnable contre « l’extrémisme », elle a désormais déplacé le rempart contre l’extrême gauche, établissant une inversion de la dangerosité de l’extrême droite.

Une passerelle de plus en plus large

Et pourtant, les transfuges du parti vers des mouvements identitaires ont été légion, bien souvent avec des courants devenus autonomes. Dans les années 90, on se souvient particulièrement de Charles Pasqua d’abord représentant de la droite dure au sein du RPR avant de fonder son organisation indépendante aux côtés de Philippe De Villiers.

Dès 1983, le RPR avait d’ailleurs localement noué une alliance avec le FN à Dreux, sans que cela n’émeuve les instances nationales. Jacques Chirac déclare alors : « Je n’aurais pas du tout été gêné de voter au second tour pour la liste [RPR-FN]. Cela n’a aucune espèce d’importance d’avoir quatre pèlerins du FN à Dreux, comparé aux quatre ministres communistes au Conseil des ministres. ».

Le même Jacques Chirac, souvent présenté comme un rempart contre l’extrême droite, qui stigmatisait pourtant en 1991 des populations issues de l’immigration post-coloniale en parlant du « bruit » et de « l’odeur » qui auraient pu gêner les classes populaires occidentales.

Et si ce genre de rapprochement n’était pas si exceptionnel jusqu’à la fin des années 90, il s’est cependant raréfié après 2002. Ce qui n’a pas empêché certains membres du parti de tenir des propos dignes du FN. On pense particulièrement à Nicolas Sarkozy et sa « droite décomplexée » qui voulait « nettoyer la banlieue au Kärcher» ou Brice Hortefeux et sa célèbre phrase à propos des personnes d’origine arabe « quand il y en a un, ça va, c’est quand il y a en a beaucoup qu’il y a des problèmes ».

Une question de survie

Finalement, c’est bien après 2017, et l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, que Les Républicains ont pris un virage de plus en plus franc vers l’extrême droite. Déjà à ce moment-là, c’est le très conservateur François Fillon qui avait représenté le parti aux présidentielles et avait échoué de peu aux portes du second tour.

Mais face à la montée en puissance du RN de Marine Le Pen, LR n’a pas hésité à poursuivre sa chute en avant. Si la plupart des libéraux traditionnels ont quitté la formation à cette époque pour rejoindre Emmanuel Macron, les plus réactionnaires ont eux entamé une course effrénée avec le RN.

Vers une vague de transfuges ?

Dans les deux dernières décennies, les départs des Républicains vers l’extrême droite semblent se multiplier. Au rang des plus célèbres, on peut par exemple citer Nicolas Dupont-Aignan, fondateur de son propre mouvement, d’ailleurs associé au RN.

Mais on peut aussi évoquer d’autres noms, comme Sébastien Chenu, Thierry Mariani, ou Guillaume Pelletier, qui sont autant de transfuges de LR vers l’extrême droite. Et plus récemment, c’est bien le cas d’Eric Ciotti qui a sans doute le plus marqué les esprits.

Dirigeant des Républicains lors des dernières présidentielles, il n’a pas hésité à nouer une alliance avec le RN aux législatives, contrairement à l’avis du reste de son parti. Finalement exclu, il a tout de même emmené avec lui quelques figures de LR pour créer son propre mouvement d’extrême droite, inféodé au RN.

Blanc bonnet et bonnet blanc

Mais le plus ironique dans l’histoire reste sans doute le fait que les différences idéologiques entre Éric Ciotti et d’autres membres estomaqués par son attitude semblent complètement inexistantes.

En effet, on a pu entendre des individus comme Laurent Wauquiez qui souhaite créer des camps de détention pour les OQTF à Saint-Pierre et Miquelon, François-Xavier Bellamy et ses positions anti-avortement, ou encore David Lisnard appeler à « une aide tant psychologique que juridique à celles et ceux qui sont victimes de la tyrannie woke ». Et force est de constater que chacun d’entre eux ne ferait pas tache au sein du Rassemblement National.

Retailleau, la nouvelle star ?

Dans toutes ces nuances de bruns, c’est pourtant bien l’un des membres de l’actuel gouvernement qui a pris le pouvoir au sein du parti : Bruno Retailleau. Le ministre de l’Intérieur s’est lui aussi mis en avant avec des propos à faire pâlir de jalousie Éric Zemmour. En croisade contre les musulmans et les immigrés, il s’est illustré à divers moments par des déclarations xénophobes, allant même jusqu’à faire seins des discours nationalistes historiques sur les « Français de papier ».

Quoi qu’il en soit, au sein de LR, tous paraissent à présent valider les marottes de Marine Le Pen : théorie complotiste et raciste du grand remplacement, obsession sécuritaire, islamophobie pathologique, guerre contre le « wokisme », défense des plus riches et haine de la gauche. Absolument tout semble réunir LR et le Rassemblement National.

Vers une fusion inévitable ?

Depuis longtemps, certaines figures de l’extrême droite, comme Marion Maréchal, rêvent d’unir « toutes les droites », tel que cela s’est souvent fait dans d’autres pays, par exemple en Italie. Les déclarations de certains d’une violence inouïe à l’égard de la gauche, montre d’ailleurs que le « barrage républicain » s’inverse contre elle plutôt que contre le RN.

Un constat s’impose : à mesure que les différences idéologiques s’estompent, il devient de plus en plus difficile de distinguer LR du Rassemblement national. Reste à savoir si cette convergence relève d’une stratégie électorale ou d’une réelle mutation idéologique.

Simon Verdière


Photo de couverture : De gauche à droite, Bruno Retailleau, Jean-François Copé, Othman Nasrou, Michel Barnier, François-Xavier Bellamy. Wikimedia.

– Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous –

Donation



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *