
Dila. — Illustration de couverture du « cordel » « A chegada de Lampião no inferno » (L’arrivée de Lampião en enfer), vers 2010
© Jonas / La Collection
L’année 1958 a été décisive dans l’histoire brésilienne, et pas seulement en raison de la première victoire de la Seleção à la Coupe du monde de football, portée par la joie pure de Pelé et les feintes d’épaule de Garrincha. Quelques jours après, João Gilberto commençait les sessions d’enregistrement de Chega de Saudade à Rio de Janeiro, avec son toucher de guitare et son chant murmuré si particuliers. C’était l’acte de naissance de la bossa nova, le genre musical avec lequel l’optimisme, le dynamisme urbain et la modernité du Brésil des années Kubitschek — du nom du président de la République élu en 1955 — ont conquis le monde.
Dans ce contexte euphorique, en partie sans doute utopique — 1964 verra l’instauration brutale de la dictature par un coup d’État militaire —, Jorge Amado publie Gabriela, girofle et cannelle, « uma pedra no meio do caminhosa », une pierre au milieu du chemin d’une carrière marquée, à sa façon, par l’influence du réalisme socialiste, depuis Cacao (1933).
Né en 1912, au cœur des cacaoyères de la forêt tropicale humide, fils d’un propriétaire terrien d’Ilhéus, « la ville joyeuse, tournée vers la mer », l’écrivain âgé de 46 ans demeurait fasciné par « la vie, le pittoresque, l’étrange humanité de la Bahia », au cœur de son élan créateur. Mar morto (« mer morte », 1936) brosse un tableau du quotidien des putains et des marins de la basse ville de Salvador. Capitaines des sables (1937) célèbre la débrouillardise des enfants des rues, avec un réalisme dynamisé par un message de dénonciation assumé, et un sens épique certain : « Ils étaient les capitaines des sables, les rois de la rue, les seigneurs de la ville. »
Comme toutes les créatures d’Amado, Pedro Bala, le chef de bande des meninos de rua de Salvador est fier, digne, mais aussi humilié — assurément moins « résilient » que « résistant »… Du Pays du carnaval (1931) à La Découverte de l’Amérique par les Turcs (1994), la trentaine de romans publiés en six décennies (…)
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