La Ciotat, la renaissance d’un port grâce au combat de ses ouvriers


De la fermeture annoncée à la gloire mondiale du yachting, les anciens chantiers navals de La Ciotat ont connu l’une des plus spectaculaires reconversions industrielles françaises. Une victoire arrachée par la ténacité de 105 ouvriers qui ont refusé d’abandonner leur outil de travail. Aujourd’hui, le site poursuit sa mue sans renier ses origines.

L’été 1988 marque un tournant dramatique pour La Ciotat. Après des décennies de prospérité, la crise du secteur naval, les délocalisations et la fin des grandes commandes militaires ou pétrolières précipitent la chute des chantiers. Le 31 juillet 1988, le dernier navire quitte le bassin : rideau de fer, silence sur le port. L’annonce est brutale : plus de 6 000 emplois supprimés. Les docks, jadis pleins de marteaux et de chalumeaux, deviennent friches et souvenirs.

Mais dans ce chaos, 105 ouvriers décident de ne pas lâcher. Ils refusent la fatalité, s’organisent, occupent le site, tiennent des assemblées. Parmi eux, Pierre Tidda, figure syndicale CGT, incarne cette résistance. « Je suis fier de ce que nous sommes arrivés à faire. C’est une victoire contre le “tout-tourisme” d’avoir maintenu cette activité navale », confiera-t-il plus tard. Pendant dix ans, ces ouvriers se battent. Ils interpellent l’État, médiatisent leur cause, résistent aux pressions immobilières. Leur lutte devient emblématique : symbole d’une France ouvrière qui refuse d’être effacée des cartes industrielles.

En 1994, un accord historique est signé entre les collectivités et les représentants des salariés : le site ne deviendra pas un complexe de luxe, mais restera port industriel. La société d’économie mixte SEMIDEP est créée pour orchestrer la reconversion.

Des cales à pétrole aux yachts des milliardaires

La reconversion est lente, méthodique, exemplaire. Les chantiers abandonnent la construction de pétroliers pour s’imposer dans un marché de niche : la rénovation et la maintenance de yachts de luxe, ce qu’on appelle le refit. Sur ces quais où l’on assemblait autrefois des coques d’acier, on polit aujourd’hui des carènes de titane et on remplace des hublots panoramiques sur des embarcations valant plusieurs dizaines de millions d’euros.

La Ciotat devient une référence mondiale : plus de 1500 personnes y travaillent désormais, réparties entre entreprises locales et filiales internationales spécialisées. « Nous avons su transformer une histoire de lutte en modèle de réussite », explique Olivier François, le nouveau directeur général, arrivé en 2025. « L’histoire du site, sa conversion et son évolution m’ont profondément touché. J’ai été impressionné par la détermination de ces ouvriers et par la continuité qu’ils ont su créer. Mon rôle aujourd’hui est de consolider cette réussite».

La Ciotat Shipyards s’est aujourd’hui fixé plusieurs priorités : moderniser les infrastructures, accueillir de nouvelles entreprises dans le Yachting Village et réduire l’empreinte environnementale du site. « Le développement durable n’est pas une option : c’est une condition pour exister dans le monde d’aujourd’hui », ajoute-t-il.

Un symbole français de résilience industrielle

Trois décennies après sa fermeture annoncée, La Ciotat est redevenue un port mondialement connu. Des yachts de 70 mètres, parfois la propriété de Steven Spielberg ou de Jeff Bezos, viennent y faire peau neuve. Les entreprises locales se sont spécialisées dans la mécanique fine, la peinture, la sellerie ou l’électronique embarquée, transformant le site en écosystème industriel complet.

Mais derrière les chiffres, demeure une mémoire vivante. Chaque ouvrier, chaque grue, chaque hangar raconte l’histoire de ces hommes et femmes qui ont refusé d’être rayés de la carte. Au cœur du site, visible à des kilomètres à la ronde, le grand portique marqué « 105 » veille toujours sur les cales : symbole d’un territoire qui a préféré se battre plutôt que se vendre. Un symbole qui rappelle à tous les visiteurs que ce port a d’abord été une conquête ouvrière avant d’être un pôle de luxe.

Aujourd’hui, Olivier François résume la philosophie du lieu en une phrase : «La Ciotat n’est pas qu’un chantier naval, c’est une leçon de persévérance. » Et c’est sans doute cette persévérance, transmise de génération en génération, qui fait de ce port provençal un phare de la reconquête industrielle française, tourné vers la mer et l’avenir.

 





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