Décrocher la Lune, par Nicolas Melan (Le Monde diplomatique, octobre 2025)


La Terre brûle. Jusqu’ici, rien de nouveau sous le soleil. Mais elle ne brûle qu’en surface, là où se déploie le monde de Solaria. Car, à quarante kilomètres sous la croûte terrestre, les métropoles unies de Quondonia, au cœur du globe, ignorées de l’immense majorité des Solariens, subissent un grand refroidissement. Les activistes sous-croûte l’attribuent aux industriels qui n’ont cessé de perforer et d’exploiter le noyau de la planète. La température baisse, les marges de profit des producteurs de verre joyeux, une drogue qui maintient la population bien docile, augmentent.

Les gouvernants quondoniens ont un plan pour remédier au problème. Au lieu de renoncer à l’exploitation minière, ce qui permettrait au noyau de se régénérer, ils se proposent de l’échanger avec la Lune, car elle est bien plus chaleureuse qu’il n’y paraît : son activité volcanique permettra sans aucun doute de redresser les températures. Et pour faire approuver par l’opinion ce plan qui peut surprendre, le gouvernement envoie un émissaire qui ressemble à « un elfe venant de se faire licencier par le père Noël » recruter le Solarien Eamon Keen, ancien porte-plume du président des États-Unis, devenu, par un vague sursaut de moralité, écrivain de fantasy. À charge pour lui de rédiger le discours qui convaincra les Quondoniens. Accompagné de Dalia, auteure de polars inachevés et épatante partenaire, Eamon se lance dans l’aventure sous la surface. Il y croise des militants écolos opposés à l’échange, des chimères monstrueuses et chaotiques qui étaient autrefois des multinationales prospères, un alchimiste tout-puissant, féru de philosophie et rêvant de retourner la croûte terrestre comme un gant, une poignée de grands patrons cryogénisés et une Greta Thunberg alternative, quasi messianique. Le titre original du roman, Madly in All Directions, qu’on pourrait transposer en Dingueries tous azimuts, tient remarquablement ses promesses.

James Morrow est un irrévérencieux. Il a le style exubérant, parfois surréaliste, et la réflexion subtile. Les métaphores énormes, l’invention en roue libre, l’humour satirique, c’est là sa signature. Son multiprimé En remorquant Jéhovah est une critique acide de la religion dans laquelle le corps immense et trépassé de Dieu est repêché dans l’océan avant d’être installé dans un parc d’attractions. Dans Hiroshima n’aura pas lieu, hommage aux séries Z des années 1950, des iguanes géants cracheurs de feu, débarqués sur les côtes japonaises, ont remplacé les bombes atomiques américaines. Cité de vérité met en scène une ville où il est interdit de mentir. L’Arche de Darwin relate les tribulations d’une jeune actrice bien décidée à dérober le manuscrit de la théorie de l’évolution pour remporter le gros lot d’un concours destiné à prouver ou nier l’existence de Dieu. Morrow a ses causes, mais sa fantaisie les déleste de toute pesanteur.

Dans Le Monde et vice versa, l’urgence climatique est traitée avec les codes de la fantasy : un héros élu, entouré de fidèles compagnons, part en quête pour sauver le monde. Morrow pointe l’obsession du capitalisme et de ses émissaires sorciers pour les solutions technophiles absurdes destinées à le préserver. Mais c’est la vitalité de la fable, son imperturbable inventivité, sa richesse comique qui lui donnent une puissance étonnante.



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