L’opérateur postal britannique Royal Mail, racheté en début d’année par le milliardaire tchèque Daniel Křetínský, vient d’écoper d’une amende de 21 millions de livres (24 millions d’euros) infligée par l’Ofcom, le régulateur britannique du secteur. En cause : les retards massifs dans la distribution de “millions de lettres importantes”. Une sanction qui s’ajoute à une série d’amendes déjà prononcées en 2023 et 2024, pour un total de plus de 16 millions de livres.
Depuis plusieurs années, Royal Mail accumule les défaillances : seulement 77 % du courrier prioritaire livré dans les délais, bien loin de l’objectif fixé à 93 %. “Ces manquements persistants sont inacceptables, et les clients attendent et méritent mieux”, a rappelé Ian Strawhorne, un responsable de l’Ofcom, exigeant des “améliorations concrètes et significatives”.
Mais au-delà de ces chiffres, cette situation illustre un problème plus profond : celui du passage du public au privé, toujours justifié au nom de l’efficacité, mais qui finit trop souvent par saper la qualité du service. Royal Mail, institution vieille de plus de cinq siècles, fonctionnait depuis des décennies comme un pilier du service public britannique. Or, chaque fois que la logique du profit prend le pas sur celle de la mission collective, ce sont les usagers qui en paient le prix.
Certes, les résultats financiers sont revenus dans le vert : Royal Mail, grâce à sa branche internationale GLS, a vu ses bénéfices multipliés par sept, atteignant 367 millions de livres (422 millions d’euros). Mais ce redressement s’est fait au détriment de la qualité du service et de la proximité (économies imposées, suppressions de tournées, réduction de la fréquence du courrier non prioritaire ) qui faisaient la force du réseau postal.
Le courrier, les lettres, le papier ne sont pas de simples reliques d’un autre temps. Ils constituent un lien tangible entre les personnes, une trace physique dans un monde saturé de communication numérique instantanée mais souvent dénuée d’humanité. L’érosion du service postal n’est pas qu’une question logistique : c’est aussi une atteinte à notre ancrage collectif, à la possibilité d’un échange matériel, lent, réfléchi — tout ce que le “tout numérique” tend à effacer.
Le cas Royal Mail rappelle une leçon déjà connue : le service public n’a pas besoin de dividendes, il a besoin de confiance. Et tant que l’on confondra rentabilité et efficacité, tant qu’on laissera le capital s’approprier ce qui relevait du bien commun, nous verrons se répéter la même histoire : celle de structures solides et durables que la recherche du profit finit toujours par fragiliser.