Madagascar en chute : l’Afrique nous appelle, la France se tait ?


Au cœur de la nuit du 12 au 13 octobre, sous un ciel d’Antananarivo chargé de fumées de barricades enflammées, un avion militaire français atterrit en urgence sur le tarmac du palais présidentiel. À son bord, Andry Rajoelina, le président malgache, fuit son propre pays, exfiltré manu militari par Paris dans un tourbillon de cris et de coups de feu. Ce n’est pas un film d’espionnage, mais la réalité brute d’une île-continent au bord du gouffre. Tandis que les manifestants, épuisés par des années de promesses trahies, assiègent les rues, l’armée malgache prend le pouvoir le 14 octobre, votant la destitution de Rajoelina par 130 voix sur 163 au Parlement, et libérant des milliers de prisonniers politiques dans un chaos libérateur. Les militaires promettent des élections, un rétablissement de la démocratie – mais à quel prix ? Et surtout, quel rôle y joue la France, cette « grande sœur » qui, hier encore, le soutenait à bout de bras ?

Cette exfiltration n’est pas un sauvetage improvisé ; c’est le point d’orgue d’une relation franco-malgache empoisonnée par l’ambiguïté. Rajoelina, cet ancien DJ devenu président en 2019 via un coup d’État déguisé en élection contestée, avait Paris pour ange gardien. La France, soucieuse de ses intérêts stratégiques dans l’océan Indien – bases militaires, ressources minières, influence face à la Chine croissante –, l’avait arrosé de soutiens : aides militaires, prêts concessionnels, et surtout, un voile pudique sur ses dérives autoritaires. Mais, le vent a tourné. Face à des manifestations massives, nées de la pauvreté galopante (80 % de la population sous le seuil de pauvreté) et d’une corruption endémique, Macron a choisi le repli. L’avion français, contourne les failles du contrôle aérien malgache pour évacuer son poulain, laissant derrière lui un vide que l’armée comble dans l’urgence. Rajoelina, depuis son exil forcé, dénonce un « coup d’État » et appelle au respect de la Constitution, mais qui croira encore à ses mots quand Paris l’a littéralement emporté dans les airs ?

Ce rôle ambigu de la France n’est pas un accident. N’est-ce pas la marque d’un néocolonialisme résiduel, masqué sous le vernis humanitaire de l’aide au développement ? Prenez l’Agence Française de Développement (AFD), cet outil tentaculaire financé par nos impôts – 13 milliards d’euros par an, dont 2,4 milliards de subventions directes en 2020 –, censée combattre la pauvreté et promouvoir la durabilité. À Madagascar, pays prioritaire parmi une quinzaine d’États vulnérables, l’AFD a injecté des centaines de millions d’euros dans des projets pharaoniques, souvent inutiles ou carrément désastreux, proppant ainsi le régime de Rajoelina sans jamais questionner sa légitimité. Des enquêtes récentes, menées par le Collectif citoyen de France-Soir, révèlent un rôle opaque, pour ne pas dire sulfureux : des « avant-projets » financés à coups de millions sans aboutir, des intermédiaires « aux compétences questionnables » (souvent français sans expertise locale) qui seraient en mesure de siphonner les fonds via des commissions occultes, et une opacité comptable qui rend impossible toute traçabilité pour le citoyen qui cherche à comprendre. Et ceci, malgré les déclarations de l’AFD sur son site internet. Et quand on enquête sur l’AFD, outre le fait qu’elle refuse de répondre aux demandes d’informations alors qu’elle prône la transparence, la CADA donne raison à certaines de nos demandes ! Et cerise sur le gateau l’AFD n’hésite pas à tenter une procédure baillon contre France-Soir.

Enquete AFD - le financement

Regardez le téléphérique d’Antananarivo : 152 millions d’euros déboursés en 2022 par l’AFD et BPI France pour un gadget censé décongestionner la capitale, malgré un avis défavorable du Sénat français et une pétition de 5 000 riverains alertant sur les risques de glissements de terrain. Résultat ? Un billet à 1,67 euro par jour, inabordable pour des Malgaches gagnant moins de 2 euros par mois, et un projet qui ne circule même pas. Ou le stade de Tananarive, rénové pour 77 millions de dollars en 2020 par une entreprise chinoise choisie par l’AFD : construit 15 cm sous le niveau du Grand Lac, il s’inonde à chaque mousson, rendant pelouse et vestiaires inutilisables. Non homologué par la CAF ou la FIFA, il a même causé 13 morts lors d’une bousculade en 2023. Et que dire de la voie express Antananarivo-Toamasina, budgétisée à 924 millions de dollars pour 260 km, mais qui, après quatre ans, n’a vu que 80 km de terrassement pour un surcoût de 1,3 milliard, avec des commissions estimées à 4-5 % – soit 38 à 45 millions d’euros dans les poches de qui ? (enquête France-Soir). L’AFD, tutelée par les ministères des Affaires étrangères et de l’Économie, ignore les alertes environnementales et locales, finançant ainsi une dépendance structurelle qui profite plus à des intérêts hexagonaux (BTP, exportations) qu’à la population. Ces pratiques, que l’on pourrait dénoncer comme des « dessous pas très propres » – parfois offshore avec des filiales comme Proparco qui malgré leurs obligations réglementaires s’affranchissent aisément de la transparence en se cachant derrière le secret bancaire, avec d’éventuels conflits d’intérêts familiaux au sommet –, exposent les contribuables français à des risques colossaux : prêts risqués, annulations de dettes via les Contrats de désendettement et de développement (C2D), et une influence géopolitique que certains n’hésitent pas à qualifier « d’ingérence ».

L'agence française du developpement

Cette crise malgache n’est pas isolée ; elle résonne dans toute l’Afrique en ébullition. Les élections au Cameroun le 12 octobre, marquées par des tensions ethniques et des accusations de fraude, ou les affrontements Pakistan-Afghanistan aux confins du continent, rappellent un Sahel et une Afrique de l’Est fracturés par des ingérences étrangères. La France, avec son AFD comme bras armé économique, oscille entre soutien à des régimes chancelants et retraits paniqués – comme à Bamako ou Niamey ces dernières années. Sommes-nous complices de ces chutes, en finançant des tyrans pour sécuriser nos minerais et nos bases ? Ou pouvons-nous redevenir des alliés véritables, dans une diplomatie décolonisée qui respecte la souveraineté africaine ?

Le 16 octobre, alors que Rajoelina rumine son exil et que l’armée malgache jure fidélité à la Constitution, l’Afrique nous lance un appel pressant : arrêtez les jeux d’échecs impériaux ! Auditez l’AFD sans complaisance. Cela devient un must en demandant la transparence sur les mouvements financiers tels que ce fut fait aux Etats-Unis pour l’USAID,- ils saignent nos budgets pour engraisser des élites dont les liens d’intérêts s’apparentent à de la corruption -, et soutenez une transition malgache, sans parachutes dorés pour les fuyards.

Madagascar n’est pas un pion ; c’est un continent entier qui se redresse, et la France doit choisir : l’ombre du passé ou la lumière d’une solidarité panafricaine. Les Français se réveilleront-ils, avant que l’Histoire ne nous juge en silence.





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