Forêts françaises : quand la logique du profit épuise le temps long des arbres


Les forêts françaises s’étendent, mais elles s’affaiblissent. En dix ans, la mortalité des arbres a augmenté de 125 %, selon un rapport récent de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). Si l’on évoque souvent les aléas climatiques pour expliquer cette dégradation, un autre facteur, plus silencieux mais tout aussi dévastateur, réside dans notre manière de gérer la forêt.

Une gestion tournée vers le rendement rapide, qui sacrifie le temps long nécessaire à la vie des arbres.

Le bois avant la forêt

Dans une interview sur Reporterre, Marie-Stella Duchiron, experte forestière et auteure de Sylviculture d’écosystème, tire la sonnette d’alarme : « Nous avons des forêts beaucoup trop jeunes, avec des arbres qui croissent vite, mais qui n’atteignent jamais leur maturité, car ils sont coupés avant, pour répondre aux objectifs économiques de la filière bois. »

Autrement dit, la forêt devient un champ de production. Une ressource calibrée, gérée au rythme du marché plutôt qu’à celui de la nature. Les coupes répétées, de plus en plus rapprochées, empêchent les arbres d’acquérir la solidité et la complexité qui leur permettraient de résister aux agressions — qu’elles soient biologiques, hydriques ou mécaniques.

Le court-termisme d’une sylviculture industrielle

Cette course à la rentabilité se traduit par des pratiques de coupe intensive, souvent rase, qui bouleversent tout l’écosystème forestier.

Quand on ouvre brutalement la canopée, le sol se dessèche, le microclimat disparaît et les racines nourricières meurent. La forêt perd sa capacité à retenir l’eau et à se régénérer.

Ces méthodes transforment les forêts en exploitations artificielles : « On se retrouve avec des champs d’arbres, tous de la même espèce, tous à la même hauteur », constate Duchiron.

Un alignement parfait pour les engins et les bilans comptables, mais désastreux pour la biodiversité et la santé du milieu.

La monoculture, maladie du bois

Le modèle dominant de monoculture forestière — hêtres, pins ou épicéas plantés à perte de vue — rend les arbres particulièrement vulnérables aux maladies et aux insectes parasites. Les scolytes, par exemple, prolifèrent sans frein dans ces peuplements uniformes.

La métaphore est parlante : « Comme pour les humains, si l’on est nombreux au même endroit, on attrape plus facilement des maladies et on se les transmet. »

À l’inverse, la diversité des essences, des tailles et des âges d’arbres crée une forêt résiliente. Elle amortit les chocs, répartit les ressources, et offre abri et nourriture à une faune variée. La complexité devient la meilleure assurance contre l’effondrement.

Redonner du temps à la forêt et réapprendre à cultiver avec lenteur

Face à cette situation, Duchiron prône une sylviculture d’écosystème — une approche qui redonne à la forêt son rythme naturel.

Il ne s’agit pas de renoncer à toute exploitation, mais d’en repenser la temporalité et l’intensité : espacer les coupes, laisser vieillir les peuplements, préserver les grands arbres qui forment la charpente vivante du milieu.

« Pour qu’une forêt accède à un vrai équilibre écologique, il faut au moins 45 à 50 ans sans intervention humaine, parfois un siècle », explique-t-elle.

Cette vision heurte la logique économique dominante, mais elle seule permet une production durable et de qualité. Car une forêt en bonne santé produit mieux, plus longtemps, et avec moins de risques de perte.

La forêt n’est pas une usine. Elle se construit sur des décennies, parfois des siècles. La sylviculture du futur devra donc concilier économie et écologie, en privilégiant le temps long, la diversité des essences, et la sobriété des prélèvements. Les arbres meurent de notre impatience : il est temps de réapprendre à attendre.





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