En 2012, éclate en Syrie une longue guerre durant laquelle le nord du pays devient le Rojava, région dans laquelle est expérimenté un nouveau mode de gouvernance écologique, féministe, multiculturel, fondé sur un système de fédération de communes : le confédéralisme démocratique. Parfois, on lʼappelle la Commune du Rojava.

À lʼété 2013 en Turquie, Istanbul voit la résistance au plan dʼurbanisation du parc Gezi se transformer en une révolte dʼampleur contre lʼaustérité et lʼautoritarisme dʼErdogan ; la place voisine de Taksim devient un lieu dʼauto-organisation et de solidarité, que certain·es surnomment la Commune de Taksim. En janvier 2020, une assemblée des « Communes libres » et listes municipales citoyennes issues du mouvement des Gilets Jaunes se réunit à Commercy : la Commune des Communes.
Ces initiatives sont toutes différentes. Elles se réclament pourtant dʼune même idée : la « Commune ». Ce terme, qui imprègne dʼune façon quasi mystique la culture militante, nʼest pas pris au hasard. Il invoque un événement majeur de lʼHistoire sociale française, que lʼécole républicaine se garde dʼailleurs bien d’enseigner : la Commune de Paris de 1871.
L’héritage de 1871
La Commune de Paris, c’est la première tentative dʼauto- gouvernement populaire socialiste, expérience de seulement 72 jours tuée dans le sang. Elle a marqué de son empreinte les luttes dʼémancipation qui lʼont suivie. Mais elle nʼest pas elle-même un évènement historique isolé, elle est lʼhéritage dʼune idée aux racines profondes, traversant le Moyen-Âge et la Révolution française.
Suivre lʼhistoire de cette idée, cʼest comprendre comment un symbole dʼémancipation se façonne, évolue, et se rend capable de transformer le monde. Cʼest aussi sʼoutiller pour comprendre ce qu’il peut en être fait aujourdʼhui.

La commune médiévale bourgeoise
Originellement, la commune est le serment dʼassistance mutuelle que se prêtent à partir du XIe siècle les membres dʼune bourgeoisie naissante, contre lʼarbitraire seigneurial ou clérical et contre lʼinsécurité qui menace un commerce en plein essor. À lʼépoque, cette bourgeoisie nʼest pas une classe possédante. Faite de pauvres comme de riches, elle est le nouveau peuple de villes alors en plein développement : artisans et commerçants, marchands et percepteurs de taxes, avocats et médecins.
Premier pas vers la conquête de leur autonomie, la commune nʼest alors pas une ville ou un village, un corps administratif ou une communauté. « Faire commune », cʼest réellement constituer une « association jurée », solidaire, liant sur une base égalitariste des individus réclamant de prendre en charge eux-même leurs intérêts. Dans une société dʼOrdres où il nʼexistait de pouvoirs institués que par la noblesse et le clergé, cʼest un fait absolument nouveau, et tout-à-fait révolutionnaire.

Lorsquʼelle nʼest pas réprimée, on lui reconnaît une existence officielle sous la forme dʼune charte, établissant par écrit un ensemble de privilèges obtenus : allègement fiscal, droit à sʼarmer, gestion partielle des affaires de la ville, etc. Jusquʼau XVIIIe siècle, des dizaines de communes existent en France, partout différentes. Mais ce mouvement est rapidement récupéré par la royauté, qui trouve dans cette relative indépendance urbaine un moyen utile dʼaffaiblir à son profit les seigneuries locales.
Sous lʼaction du roi, les institutions municipales établies par les chartes voient leur autonomie rognée et leur pouvoir progressivement accaparé par une oligarchie bourgeoise riche, généralement capitaliste, qui sʼen transmet héréditairement les charges. Le serment communal est tué, la bourgeoisie capitaliste est née.