Une page de l’histoire se tourne dans le silence « assourdissant » d’un atelier vidé de ses machines. Le 23 octobre 2025, le tribunal de commerce de Grenoble a prononcé la liquidation judiciaire des aciéries de Bonpertuis, l’une des plus anciennes entreprises industrielles de France.
Fondées en 1434 par les pères chartreux, ces forges, établies au cœur du Grésivaudan, ont traversé les siècles, les guerres et les crises. La tradition locale raconte même que l’épée de François Iᵉʳ y aurait été forgée — une légende qui en dit beaucoup sur l’aura de ce site où, depuis le XVᵉ siècle, le métal se liait à l’histoire du pays.
Un site unique, entre patrimoine et industrie
Bonpertuis n’était pas qu’une usine. C’était un patrimoine vivant, témoin de la longue tradition métallurgique dauphinoise. Son four conique de 1859, vestige du procédé de puddlage, est classé monument historique. Jusqu’à 500 salariés y travaillaient dans les années 1970, produisant des aciers spéciaux, inoxydables ou d’outillage exportés dans plus de 50 pays.
Encore 68 employés restaient en activité jusqu’à cet automne, entre les sites d’Apprieu et de Domène, avant que la décision de justice ne vienne mettre un terme à une histoire commencée sous la Renaissance.
Une conjoncture plus forte que le savoir-faire… quoi qu’il en coûte
Pour expliquer cette fin, les causes s’additionnent : hausse vertigineuse du coût de l’énergie, prix des matières premières en explosion, investissements reportés et absence de perspectives claires dans un marché mondialisé.
Les dirigeants, relayés par les syndicats, évoquent une “situation devenue intenable” malgré les tentatives de relance. Les aciéries de Bonpertuis avaient pourtant résisté à tout : à la révolution industrielle, aux guerres mondiales, à la désindustrialisation des Trente Glorieuses. Elles n’auront pas survécu à la flambée énergétique de 2024 et au poids croissant de la concurrence étrangère, bref à cette Europe décadente qui finit par tuer même ce qui avait résisté à tout, et à une France incapable de prendre conscience de l’or qu’elle a dans ses mains.
Une liquidation au goût amer – La « réindustrialistion » en question
Dans la région, l’émotion est palpable. “C’est un savoir-faire unique qui s’éteint”, confiait un ancien ouvrier à France Bleu Isère. Le Dauphiné libéré rappelait qu’“après six siècles d’existence, la plus vieille entreprise du département n’a pas trouvé de repreneur”.
Au-delà de la symbolique, cette fermeture résonne une fois de plus comme un contre-exemple de ces promesses de réindustrialisation portées par Macron depuis 2017.
Alors que le gouvernement multiplie les annonces de “retours d’usines”, la disparition d’un site comme Bonpertuis souligne un paradoxe : on parle de souveraineté industrielle, mais on laisse mourir ceux qui la bâtissent depuis six siècles.
Les aciéries de Bonpertuis ne disparaissent pas à cause d’un modèle dépassé, mais faute d’un environnement économique viable : énergie trop chère, fiscalité lourde, marché instable, concurrence mondiale exacerbée.