Le Two-man-show, par Lotfi Hadjiat



Le Two-man-show, par Lotfi Hadjiat

J’veux partir, loin, loin du gouffre qui nous attire toujours plus fort. Ce gouffre du pouvoir occulte. Partir loin où le soleil ne se couche ni ne se lève, flottant dans une onde indicible de clarté douce aux couleurs indistinctes. Partir vers l’horizon de l’esprit pour tutoyer l’éternité. Partir pour ne jamais revenir. Laisser les mondanités, laisser loin derrière moi Meyer Habib et Gérard Larcher. Figurez-vous que ça va faire trois semaines que je les harcèle sans réponse, trois longues semaines que je leur propose un texte pour un one-man-show, enfin, un two-man-show. Gérard et Meyer en spectacle ! Le duo comique enfin sur scène. Le two-man-show du siècle ! Je vous vois venir, ne me parlez pas du Truman show, de Jim Carrey ou pas carré, non, là on est dans le réel, dans le lourd. Et justement, le seul défi avant de faire monter ces deux illustres politiciens sur les planches, c’est que précisément les planches ne s’effondrent pas. Mais pas d’affolement, avec la fine équipe de Bouygues, Lafarge et Unibéton, ça devrait tenir. Au moins une heure et demi, en tous cas… avec un renforcement à l’entracte quand même… Mais encore eût-il fallut qu’ils acceptassent… Je ne comprends toujours pas leur refus obstiné, mon texte était pourtant très drôle. Vous allez me dire qu’ils sont déjà populaires, qu’ils n’ont pas besoin d’un succès à Bobino ou au Point-Virgule. Pas faux. Mais c’est dommage, mon texte était taillé pour eux, serré au bide et large aux épaules. Je dis « était » car j’ai brûlé mon chef-d’œuvre cette nuit sous les regards de la lune attristée. Qui n’a pas connu le crépitement douloureux d’un manuscrit sous les assauts des flammes dans la nuit sans étoiles du désespoir, n’a rien vécu. Les deux plus illustres personnages de l’histoire de France ne veulent pas de moi…, les deux derniers héros européens me rejettent… les deux derniers… qu’adviendra-t-il de nous après leur mort ?… « Un peuple qui n’a plus de héros finit toujours par adorer ses bourreaux », disait Jean Cauquin. Bref, c’est décidé, je m’exile. Je pars, loin, loin au-delà des mers, dans la brume opaque de la folie des hommes. Avouez tout de même qu’ils ont un air de famille ces deux-là, un air …in, un air qui semble dire après des décennies de dévouement et d’abnégation : rajoutez-moi des vol-au-vent. Alors quand j’entends de pauvres contribuables vouloir priver d’alcool à la buvette cette noble et glorieuse corporation parlementaire sous prétexte que c’est eux qui lui payent cet alcool alors qu’ils ne peuvent déjà pas se nourrir eux-mêmes… je ne sais plus quoi dire ! On aura tout vu !… Non vraiment, c’est fini, je pars, pour ne plus revenir, ne plus revoir ce monde d’ingratitude. Je ne supporte de toutes façons plus cette humanité qui ose ne pas reconnaître mon génie, et je me supporte à peine. J’ai été trop patient. Fatiguez-vous à trouver des répliques percutantes sur une scène de théâtre, cassez-vous la cervelle à trouver des dialogues aux petits oignons… ah tiens, peut-être que j’aurais dû lui envoyer avec le manuscrit un plat aux petits oignons, à son bureau au Sénat. Mais il aurait sans doute bouffé le papier, croyant à un nouveau met. Tant pis, je pars digne. Je ne m’arrêterai pas sur le chemin. Enfin, disons que je prendrai quand même un p’tit crème, pour la route, pour regarder une dernière fois l’agitation parisienne perpétuelle, qui ne porte rien, et pour laisser une dernière chance au destin, espérer une ultime réponse… Mais c’est d’ma faute, tout ça. Je me suis obstiné à chercher la reconnaissance. C’est quand même dingue de ne pas pouvoir savourer la vie sans la reconnaissance, les honneurs… Allez, j’y vais… Je laisse sans regret cette humanité perdue obsédée, aliénée au jugement du public encore plus perdu, et m’en vais m’exposer au jugement divin, m’en vais loin expier ma quête malsaine d’honneurs. « Les honneurs ? Des grelots qu’on attache au cou des poètes pour qu’ils ne mordent plus », disait Musset. Effectivement, mais un peu de reconnaissance ne me ferait pas de mal. En y réfléchissant, j’aurais pu attirer ces deux riflards au Caveau de la République, pour les piéger ensuite au Caveau des Oubliettes… Bon. Allez, n’y pensons plus… « la rancune est une dépense d’esprit dont on ne retire jamais rien », disait La Rochefoucauld. Que cette fin d’automne est triste. Je voulais justement ce two-man-show insolite pour exorciser cette horrible tristesse. Le destin en décida autrement. Dès lors, comment exorciser cet horrible gouffre de désespoir qui engloutit tout ?… En écoutant la sonate pour deux pianos Köchel 448 de Mozart ?…, merveilleusement interprétée par Murray Perrahia et Radu Lupu. Ou After you’ve gone par Fats Waller accompagné par Benny Payne… Les langueurs maladives de l’automne commencent à me les briser. Est-ce la saison qui est malade ? Ou le gouvernement ?… ou l’Exécutif ?… l’État ? La cinquième république ? La république ?… Le moyen le plus sage de guérir cette république c’est de la démolir, la brûler jusqu’aux cendres…

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