80 %. C’est le pourcentage d’espèces « vivantes » qu’abritent forêts et sols français, mais aussi celui de l’augmentation de la mortalité des arbres en 10 ans, d’après l’inventaire forestier national. Deuxième puits mondial de carbone après l’océan, la forêt séquestre 1,5 fois plus de carbone que ce que les États-Unis émettent annuellement. Beaucoup d’essences sont concernées : incendies, faible résistance à la chaleur, vulnérabilité aux maladies ou aux parasites. Mais comment sauver nos forêts ?
L’inventaire forestier national est sans appel : les conséquences du changement climatique se traduisent par une très forte augmentation de la mortalité des arbres, passant de 7,4 millions de mètres cube par an (Mm3/an) entre 2005 et 2013 à 13,1 Mm3/an entre 2013 et 2021. Leur croissance est aussi impactée, avec une baisse significative de 4 % : « la surface forestière touchée actuellement par le dépérissement est équivalente au cumul des surfaces touchées par les incendies de ces 35 dernières années », conclut sinistrement l’inventaire.
Des essences particulièrement touchées
Sur le podium des espèces les plus touchées par la mortalité se retrouve d’abord l’épicéa, devant le châtaignier et le frêne. Sur la période 2018-2022, la production de bois d’épicéa est inférieure aux coupes et à la mortalité, très fortement liées à un petit coléoptère, le scolyte, qui profite du prolongement des saisons chaudes et des hivers doux pour proliférer, se loger et se nourrir dans les épicéas communs.
Roulement de tambours : comment lutte-t-on à l’heure actuelle contre les scolytes ? En faisant des coupes d’épicéa. Un cercle vicieux donc, comme on en compte beaucoup dans les problématiques du changement climatique.

De la même manière, le frêne souffre de la chalarose, causée par le champignon Hymenoscyphus fraxineus, qui apprécie la compagnie d’un autre coléoptère : l’agrite du frêne. Aucune mesure de traitement n’existe en dehors de coupes et d’abattage pour éviter la propagation de ce duo meurtrier.
Certains frênes montrent heureusement une résistance naturelle à la maladie, un espoir pour la sélection et la plantation de souches plus résistantes, et pour le phénomène de « résistance croisée » – la résistance à l’un aide à résister à l’autre – selon le chercheur Michael Eisenring.
Enfin, le châtaignier dispute la troisième place avec le pin, le chêne, le sapin, et bien d’autres, tous victimes de parasites, sécheresses et feu de forêts.
Le déclin des puits de carbone
Les forêts françaises ne font pas exception et les mêmes constats sont dressés partout dans le monde. Sans parler de la déforestation qui a augmenté, en Amazonie, de 33 % par rapport à 2023 selon les données de l’Institut National de Recherche Spatiales (INPE), l’Afrique n’est pas en reste, avec, sur la période 2010-2020, une disparition nette de 3,94 millions d’hectares de forêts, un chiffre en hausse par rapport aux décennies précédentes et très supérieur à celui de l’Amérique du Sud (2,60 millions d’hectares), selon la fondation FARM.

Il fut un temps où, basé sur les « performances » des puits de carbone des dernières décennies, on crut à l’augmentation infinie de leur capacité à le séquestrer. Malheureusement, ces capacités ont chuté en 2023, entre autres, à cause des sécheresses et incendies. (De quoi nous rappeler certains scenarii sur la croissance infinie). Les premières hypothèses avancèrent que 2023 était l’année la plus chaude jamais enregistrée, avec une très forte concentration de CO2 dans l’atmosphère – près de 86 % par rapport à 2022 – jusqu’à ce que l’été 2024 dépasse celui de 2023.
L’inventaire forestier national de l’IGN confirme ces données sur la dernière décennie étudiée : « le puits [ndlr les forêts] s’est établi à 40 millions de tonnes de CO2 par an en moyenne sur la période 2013-2021, diminuant d’un tiers en une décennie ». Pire, certaines forêts pourraient émettre plus de CO2 qu’elles n’en capturent, ce qui, d’après Philippe Ciais, du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, pourrait se produire d’ici 2026, si les tendances observées depuis quinze ans se poursuivent.
Et si on arrêtait le massacre ?

L’idée est simple comme bonjour : planter des arbres adaptés aux nouvelles conditions climatiques d’un lieu donné. Par exemple, dans la moitié nord de la France, qui subit aussi des sécheresses de plus en plus fréquentes, les chênes verts ou tauzins qui consomment peu d’eau, pourraient assister leurs cousins locaux. Une équipe de scientifiques a créé les jardins partagés, espaces de cohabitation entre des espèces d’ici et d’ailleurs.
Alexis Ducousso, généticien à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, raconte :
« Nous y avons planté 107 populations d’arbres venant de toute l’Europe, avec l’objectif d’évaluer ce “mélange” sur trente ans. Nos résultats montrent notamment que le chêne sessile est particulièrement adaptable : il s’épanouit sans broncher de l’Écosse à la Turquie. De même, le sudiste chêne pubescent peut migrer vers les Hauts-de-France sans trop de problème. »
Malheureusement, la migration montre ses limites : un arbre qui a besoin de moins d’eau pour vivre en bonne santé humidifie moins la forêt. Pour les autres essences ou pour les animaux, aussi ceux que nous sommes, ce type d’arbres serait moins efficace pour contrer les canicules, et pourrait même accélérer les sécheresses. Idem, si l’on donne plus de place aux pins et aux eucalyptus, très inflammables, ne pourrait-on pas augmenter les feux de forêts ?

La mangrove, superstar et super stock (de carbone)
La mangrove – écosystème côtier tropical typiquement caractérisé par des arbres et des arbustes adaptés à des conditions de variations de salinité et de niveaux d’eau – stocke jusqu’à 4 fois plus de carbone que les forêts.
En plus de stocker du carbone, les mangroves protègent les littoraux des tempêtes, freinent l’érosion des côtes, filtrent les pollutions et sont de véritables nurseries pour la biodiversité marine. Pourtant, on ne cesse de les détruire partout dans le monde, pour l’élevage intensif de crevette en Asie ou pour le charbon de bois en Afrique, si ce n’est pour les constructions littorales déjà fragilisées par l’érosion.

La liberté des forêts !
Restaurer les écosystèmes forestiers à leur état sauvage permet de créer des forêts diversifiées. Ces forêts sont naturellement caractérisées par une multitude de processus écologiques complexes qui leur confèrent une grande résilience face aux perturbations.
Parmi les défenseurs les plus remarquables de cette cause se trouve le botaniste Francis Hallé. Particulièrement connu pour son engagement en faveur du retour des forêts primaires en Europe, Hallé souligne que les forêts primaires, qui n’ont jamais été touchées par les activités humaines, sont essentielles non seulement pour la biodiversité, mais aussi pour la santé écologique globale de la planète. Elles agissent comme des réservoirs de biodiversité, des puits de carbone et des protecteurs naturels contre l’érosion des sols et les catastrophes naturelles.

En Europe, l’une des dernières forêts considérées véritablement primaires celle de Bialowieza, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, n’a subi aucune transformation anthropique depuis au moins huit cents ans. Sa protection est donc cruciale, non seulement pour la conservation de ses centaines d’espèces de faune et de flore, mais aussi comme symbole et modèle de ce que pourraient être d’autres forêts si elles étaient laissées à leur propre dynamique.
La forêt, une zone de droits et de capital ?
Pourtant, certains défendent l’idée de donner un prix, et donc une valeur aux forêts, pour les faire « exister » dans le système capitaliste actuel. Dans un podcast de France Culture, intitulé faut-il donner un prix à la nature pour la protéger ?, Catherine Aubertin, économiste de l’environnement explique le concept de service écosystémique de la manière suivante : « Les écologues ont introduit la notion de service écosystémique afin de défendre la nature. Cette notion englobe l’ensemble des services que la nature peut fournir aux populations, comme par exemple la production alimentaire. Le concept a été créé pour capter l’attention des décideurs politiques. Aujourd’hui, on assiste à l’émergence du principe du pollué-payeur… » L’une des approches consiste à attribuer un prix ou une valeur monétaire à la nature, de façon similaire à ce qui a été envisagé pour la problématique climatique.

Parce qu’aujourd’hui, dans de nombreux pays, les entreprises sont des personnes, alors que ni les animaux, ni les végétaux ne le sont, l’avocat sud-africain Cormac Cullinan, fondateur du mouvement des droits du vivant, cherche à donner une personnalité juridique à la forêt.
De nombreuses initiatives vont déjà dans ce sens : la Nouvelle-Zélande accorde au fleuve Whanganui le statut d’entité vivant en 2017, l’Ouganda reconnaît des droits à la nature en 2019, la lagune espagnole Mar Menor obtient le statut de personnalité juridique en 2022. De quoi inspirer les Français, qui ont demandé une déclaration des droits de la Loire en 2024.
– Maureen Damman
Photo de Ron Lach. Pexels.
